3.2.1 Facteurs de risque préopératoires

Certaines pathologies décelables en préopératoire sont des facteurs de risque pour la morbidité et la mortalité postopératoire. D’une manière générale, la mortalité opératoire des pontages aorto-coronariens (PAC) est de 0.5 à 3% selon les catégories de risque dans les cas électifs, et de 6-8% pour les interventions en urgence ou chez les malades polyvasculaires [2,8,10] ; en cas d'angor instable, la mortalité est de 4-20%. Le risque d'infarctus postopératoire est de 2-9% [1,8]. La mortalité du remplacement valvulaire aortique (RVA) simple est en moyenne de 2%, celle du remplacement valvulaire mitral (RVM) de 3-8%, et celle de la plastie mitrale (PVM) de 1-4% [12]. Pendant quelques années, la mortalité des PAC et des valves a eu tendance à augmenter de 1-2%, parce que l’on s'est mis à opérer une population à plus haut risque (dysfonction ventriculaire, diabète, maladie coronaire étendue, âge avancé). Elle tend actuellement à diminuer, parce que la qualité de la prise en charge s'est progressivement améliorée: la mortalité ajustée au risque a baissé de près de la moitié malgré une augmentation de la prévalence d'obésité, de diabète, d'insuffisance cardiaque et de pathologie du tronc commun [3,5,7,9].
 
Facteurs de risque

Certains facteurs présentent un risque opératoire particulier. Ce sont, par ordre décroissant (les chiffres mentionnés sont des valeurs moyennes, qui sont variables selon les institutions) [4,5,8,10] :
 
  • Insuffisance cardiaque décompensée : malades en choc cardiogène, sous assistance ventriculaire ou soutien inotrope massif (mortalité augmentée 5-7 fois). La CIV postinfarctus augmente la mortalité de 10 fois. La mortalité opératoire des PAC est directement liée à la fonction ventriculaire gauche :
    • FE ≥ 0.6           mortalité < 1% ;
    • FE 0.4 – 0.5    mortalité 2% ;
    • FE 0.2 – 0.4    mortalité 4% ;
    • FE < 0.2           mortalité 8%.
  • Opérations en urgence : angor instable, valvulopathie décompensée, échec d’angioplastie percutanée. La mortalité opératoire est augmentée de 3 fois. 
  • Insuffisance rénale : la mortalité croît avec la créatininémie. 
    • Créatinine normale            mortalité < 2% ; 
    • Créatinine > 200 μmol/L   mortalité 8% ;
    • Créatinine > 400 μmol/L   mortalité 20% ;  
  • Dialyse préopératoire:                 mortalité augmentée de 3 fois.
  • Age : le vieillissement physiologique accroît linéairement le risque (valeurs pour les PAC).
    • < 65 ans                             mortalité < 2%, séquelles neurologiques 1% ;
    • > 75 ans                             mortalité 4.6%, séquelles neurologiques 4-9%.
  • Réopération : la mortalité est doublée, et croît avec le nombre de reprises.
  • Status polyvasculaire : mortalité doublée.
  • Pneumopathie : mortalité multipliée par un facteur de 1.7.
  • Diabète insulino-requérant : mortalité multipliée par un facteur de 1.5 si la glycémie est > 15 mmol/L.
  • Sexe féminin : l’augmentation de morbidité et de mortalité chez les femmes tient en grande partie à la présence de davantage de facteurs de risque que chez les hommes (maladie cérébrovasculaire, diabète, insuffisance rénale, obésité, hypertension et maladie vasculaire périphérique) ; même lorsque les deux catégories sont stratifiées par valeur des scores préopératoires, la différence de mortalité et de morbidité persiste (facteur 1.5 – 1.9). 
L'âge nominal n'est pas l'âge physiologique. Ce dernier est mieux exprimé par la notion de fragilité (frailty). La fragilité représente une vulnérabilité extrême conduisant à l'incapacité du malade à maintenir son homéostase face aux modifications de son environnement, aussi bien physique que psychique. Elle est liée à l'effet cumulatif du déclin de nombreux systèmes avec l'âge. Sa prévalence est de 16% entre 80 et 84 ans, et de 26% au-delà de 85 ans [11]. Cette perte de la résilience entame tellement les réserves physiologiques que des stresseurs minimes peuvent déclencher des altérations disproportionnées de l'état clinique. Elle se présente sous forme de différents éléments: faiblesse, fatigabilité, chutes répétitives, inactivité, perte pondérale, malnutrition, sarcopénie, rapetissement corporel, dépendance, lenteur de la marche (> 6 sec pour 5 m), dépression, altérations cognitives, épisodes de délire, anémie, immunodéficience [6]. Chez les malades dont l'indice de fragilité est élevé, le hazard ratio (HR) est de 4.9 pour les complications cardiovasculaires; pour la mortalité, il est de 2.6 – 3.7 dans les opérations en CEC et de 3.2 - 4.2 dans les TAVI [11].

La symptomatologie clinique détermine quatre classes selon deux échelles, l’une pour l’activité physique (NYHA, New York Heart Association) et l’autre pour l’angor (Canadian Cardiovascular Society Score).
 
Classe     NYHA                                              
   I            Pas de limite à l'activité physique   
   II           Limitation physique légère              
   III          Limitation sévère de l'activité          
   IV          Incapacité physique,                       
                 dyspnée au repos 

 Classe    Canadian Cardiovascular Society
   I            Angor à l'effort intense seulement
   II           Angor à l'activité ou au froid
   III          Angor au moindre effort
   IV         Angor au repos, angor instable

L’angor stable (stade I-II) se présente comme une douleur thoracique rétrosternale en étreinte pouvant irradier dans la mâchoire, l’épaule et le bras gauches, ou dans le dos et l’abdomen supérieur. Il survient à l’effort, au stress, au froid ou après la digestion. Pour le décrire, le patient a un mouvement de main en griffe autour du thorax antérieur gauche ; au contraire, l’indication d’un point thoracique précis avec un doigt caractérise la douleur rhumatismale chondro-costale antérieure (rhumatisme de Thietze). L'angor instable (stade IV) se définit comme un angor d'apparition récente (< 2 mois), une aggravation d'un angor déjà présent, une douleur allant crescendo, une non-réponse à la thérapeutique, ou des crises de plus de 30 minutes accompagnées de modifications du segment ST et de l'onde T. L’angor stable correspond le plus souvent à des sténoses coronariennes serrées et fixes limitant l’apport d’O2 lorsque la demande augmente, alors que l’angor instable est caractéristique des plaques instables (voir Ischémie & infarctus périopératoires). L’ischémie peut être silencieuse, particulièrement chez les diabétiques et les personnes âgées, ou se manifester par des équivalents non spécifiques (inconfort digestif, douleur maxillaire). En cas d’angor instable, l’incidence d’infarctus et de mort subite est significativement plus élevée, et la mortalité opératoire des PAC est 3.5 fois plus haute.
La symptomatologie de l'insuffisance systolique est dominée par la fatigabilité, l’intolérance à l’effort et la dysfonction éventuelle des organes-cibles. La dyspnée signe une insuffisance diastolique. Une dysfonction diastolique sévère est un facteur de décompensation cardiaque postopératoire et une cause d’accroissement significatif de mortalité au même titre que l’insuffisance systolique.

 
Facteurs habituels de risque en chirurgie cardiaque (par ordre décroissant)
Choc cardiogène, insuffisance ventriculaire (FE < 0.3) 
Opération en urgence
Insuffisance rénale (créatinine > 200 μmol/L)
Age (> 75 ans)
Réopération
Status polyvasculaire
Pneumopathie
Diabète
Sexe féminin


© CHASSOT PG, DELABAYS A, SPAHN D, Mars 2010, dernière mise à jour, Août 2019
 

Références
 
  1. BARI Investigators. The Bypass Angioplasty Revascularization Investigation investigators. Seven-year outcome in the bypass angioplasty revascularization investigation by treatment and diabetes staus. J Am Coll Cardiol 2000; 35:1122-9
  2. BRIDGEWATER B. Almanac 2012 – adult cardiac surgery: the National Society Journals present selected research that has driven recent advances in clinical cardiology. Heart 2012; 98:1412-7
  3. CORNWELL LD, OMER S, ROSENGART T, et al. Changes over time in risk profiles of patients who undergo coronary artery bypass graft surgery. JAMA 2015; 150:308-15
  4. DUPUIS JY, WANG F, NATHAN H, et al. The cardiac anesthesia risk evaluation score. A clinical useful predictor of mortality and morbidity after cardiac surgery. Anesthesiology 2001 ; 94:194-204
  5. FILSOUFI F, RAHMANIAN PB, CASTILLO JG, et al. Results and predictors of early and late outcomes of coronary artery bypass graft surgery in octogenarians. J Cardiothorac Vasc Anesth 2007; 21:784-92
  6. KOH LY, HWANG NC. Frailty in cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2019; 33:521-31
  7. KRISTENSEN SD, KNUUTI J, SARASTE A, et al. 2014 ESC/ESA Guidelines on non-cardiac surgery: cardiovascular assessment and management. Eur Heart J 2014; 35:2383-431
  8. NALYSNYK L, FAHRBACH K, REYNOLDS MW, ZHAO SZ, ROSS S. Adverse events in coronary artery bypass graft (CABG) trials: a systematic review and analysis. Heart 2003; 89:767-72
  9. NASHEF SAM, ROQUES F, SHARPLES LD, et al. EuroSCORE II. Eur J Cardiothorac Surg 2012; 41:734-45
  10. ROQUES F, NASHEF SAM, MICHEL P, et al. Risk factors and outcome in European cardiac surgery: analysis of the EuroSCORE multinational database of 19030 patients. Eur J Cardiothorac Surg 1999; 15 :816-23
  11. SEPEHRI A, BEGGS T, HASSAN A, et al. The impact of frailty on outcomes after cardiac surgery. A systematic review. J Thorac Cardiovasc Surg 2014; 148:3110-7
  12. Society of Thoracic Surgeons Database. Executive summary 2013