6.5.8 Techniques particulières

Plusieurs améliorations techniques se sont greffées sur le cathéter artériel pulmonaire pour en augmenter les performances. Ces innovations occasionnent une ascension des coûts souvent importante. La portée thérapeutique de certaines de ces mesures reste difficile à estimer. 
 
Cathéter oxymétrique
 
La mesure de la saturation veineuse centrale (SvO2) se fait dans l’artère pulmonaire, à l’extrémité du cathéter, là où le sang des différentes parties de l’organisme est mêlé. Normalement, le contenu en oxygène de la veine cave inférieure est plus élevé que celui de la veine cave supérieure, parce que les reins ont un débit sanguin très important mais une faible activité métabolique. Par spectrophotométrie de réflection, il est possible d’analyser la SvO2 en continu. Une lumière rouge et infrarouge, caractérisée par deux ou trois longueurs d’onde, est émises par des lampes diodes et transférée à l’extrémité de la sonde au moyen de fibres optiques. L’intensité de la réflexion lumineuse est proportionnelle au taux d’hémoglobine réduite du sang. Comparés à la co-oxymétrie, les valeurs obtenues sont fiables (r = 0.96) sauf lorsque la SvO2 est très basse ou le patient très anémique [9]. L'oxymètre par réflectance doit être étalonné avant son insertion; il est judicieux de le recalibrer in vivo régulièrement en cas d'utilisation prolongée en le comparant à un prélèvement de sang capillaire pulmonaire. Ce prélèvement doit se faire en position non bloquée, ballonnet dégonflé et en présence d'une courbe d'AP, pour garantir un échantillonnage de sang veineux mêlé; en position bloquée, le cathéter aspirerait du sang partiellement artérialisé [20].
 
Si l'on ne tient pas compte de l'O2 dissout, la SvO2 se définit selon la formule:  
 
SvO2 = (SaO2 - VO2) / DC • 1.36 • Hb
 
La SvO2 est indépendante de la PaO2, sauf lorsque celle-ci est très basse (< 60 mmHg) ou que la FiO2 est de 1.0 [17]. A la différence de celle du DC, la mesure de la SvO n’est pas influencée par la présence d’une insuffisance tricuspidienne. Bien qu’elle ne donne pas d'indications sur l'extraction régionale de territoires ischémiques ou défaillants, la SvO2 reflète l'extraction d'O2 de l'organisme entier et représente un monitorage intégratif de quatre ensembles, comme le démontre la formule ci-dessus : le débit cardiaque (DC), les échanges gazeux (SaO2), la consommation d’oxygène (VO2) et le taux d’hémoglobine (Hb). Elle surveille l’adéquation de l’hémodynamique par rapport aux besoins de l’organisme, ce qui est une donnée capitale pour le monitorage des cas difficiles. Elle est un signal d'alarme performant parce que ses modifications précèdent celles de l'hémodynamique [20].
 
La SvO2 est bien corrélée au débit cardiaque (DC) si la VO2 est maintenue constante et s’il n’y a ni anémie, ni hypotension, ni modification des échanges gazeux [9]. La relation qui les unit varie en fonction de la VO2. Le lien entre la SvO2 et la PvO2 est fonction de l’affinité de l’Hb pour l’oxygène ; ainsi, en cas d’hypothermie, la SvO2 sera plus élevée pour la même PvO2. Chez l’insuffisant cardiaque, chez qui la courbe de dissociation de l’Hb est déplacée vers la droite, la SvO2 sera plus basse pour la même PvO2 [2]. Une valeur inférieure à 70% signale une augmentation de l'extraction d'O2 (baisse du débit cardiaque ou augmentation de la VO2), une diminution de son apport (baisse du débit pulmonaire ou de la ventilation) ou de son transport (Hb). En-dessous d’un seuil critique, DO2 et VO2 deviennent couplés; la SvO2 ne peut guère descendre au-dessous de cette valeur critique (située vers 30-40%), même si l’oxygénation tissulaire continue à se détériorer [10]. La baisse de la consommation d’oxygène due à l’anesthésie élève cette valeur-seuil à environ 60% [13].
 
Les malades en insuffisance cardiaque augmentent leur extraction d’oxygène au repos, mais le seuil critique de leur SvO2 reste aux environ de 60%; celle-ci est un indice très fiable des modifications hémodynamiques, car elle est bien corrélée au débit cardiaque [11]. C’est un monitorage très précoce des altérations circulatoires qui en fait un système de surveillance précieux en anesthésie cardiaque, mais essentiellement chez les patients qui présentent une dysfonction sévère: ses variations surviennent avant les modifications de la pression systémique ou de la PAPO. La SvO2 n’est pas utilisable pendant la CEC, mais peut servir de critère pour l’extubation en phase postopératoire: le patient est sevrable si sa SvO2 reste supérieure à 60% [1]. Même si le taux de modifications thérapeutiques basées sur la SvO2 s'élève jusqu’à 57%, le devenir des patients n'en n'est pas modifié pour autant [18]. Vu son coût, son utilisation n’est pas une routine dans les cas standards, mais ces cas tendent de toute manière à ne plus être équipés de cathéter pulmonaire. Dans les cas à haut risque, par contre, l’impact de la SvO2 est considérable, ce qui fait que la proportion de Swan-SvO2 (Vigilance™, OptiQ™) tend à augmenter [4]. Lorsqu’on juge nécessaire de mettre en place un cathéter pulmonaire en soins intensifs ou au bloc opératoire, il devient une routine d’utiliser une mesure continue de la SvO2 plutôt qu'un système de simple mesure du DC.
 
Lors de spoliation sanguine, le coefficient d’extraction d’oxygène dans les tissus augmente; une perte rapide de 15% du volume circulant induit une baisse de la SvO2 de 10%, tous les autres paramètres étant maintenus constants [6]. Lors d’hémorragies massives, la capacité d’extraction d’oxygène est diminuée vu le raccourcissement du temps d’équilibration dans les capillaires à cause de l’accélération du flux. Certaines situations critiques sont caractérisées par une SvO2 élevée: sepsis, shunt porto-cave, cirrhose hépatique, shunt G→D, empoisonnement au cyanide (nitroprussiate de Na) ou au CO [19]. La sepsis augmente la VO2 et élève le seuil critique de DO2; le premier devient plus rapidement dépendant du second; les mécanismes d’utilisation périphérique de l’oxygène sont secondairement altérés. Les perturbations introduites par la sepsis tout au long de la chaîne de transport et d’utilisation de l’oxygène rendent la mesure de la SvO2 peu fiable pour juger de l’adéquation métabolique et circulatoire; seules ses variations peuvent avoir une signification clinique.
 
On peut résumer les indications à l’oxymétrie veineuse centrale continue de la manière suivante:
 
  • La surveillance précoce des altérations du rapport DO2/VO2 et de l’hémodynamique chez les patients en choc cardiogène ou septique, chez les polytraumatisés sévères, et chez les brûlés graves [21].
  • L’évaluation du débit cardiaque dans les cas d’arythmies ou de régurgitation tricuspidienne, situations qui altèrent la mesure par thermodilution.
  • La définition de la limite inférieure du bas débit tolérable lors de situations critiques (pontage à coeur battant, assistance ventriculaire) [5] et lors de sevrage difficile du ventilateur ou de l’assistance ventriculaire.
  • Autres indications : transplantation pulmonaire, diagnostic de shunt par une CIV, recherche de la meilleure PEEP chez les patients hypoxémiques en insuffisance respiratoire [9]. 
 
Oxymétrie du sang veineux mêlé (SvO2)
SvO2  =  SaO2 - VO2 / (DC • 1.34 • Hb) (norme : ≥ 65 %). La SvO reflète l’adéquation de l’hémodynamique aux besoins de l’organisme.
SvO2 < 65% : augmentation de l'extraction d'O2 (↓ DC ou ↑ VO2), diminution de son apport  (↓ débit pulmonaire ou ↓ ventilation) ou de son transport (↓ Hb). Non fiable en CEC (variations T°C).
SvO2 > 75% : hypothermie, sepsis, shunt  G→D, intoxication CN- ou CO.
SvO2 < 40%: seuil critique en-dessous duquel DO2 et VO2 sont liés (sous anesthésie: 50-55%).
 
La SvO2 est un indicateur du rapport DO2/VO2 tissulaire et un signe d'alarme très précoce des déséquilibres hémodynamiques.
 
 
Débit cardiaque continu
 
L'injection intermittente de liquide froid peut être remplacée par une pulsation thermique induite par un fil chauffant (T° < 44° C) situé dans l'OD et le VD. Elle provoque de petites modifications thermiques qui sont repérées par le thermistor distal. En corrélant la quantité d’énergie libérée par le fil chauffant (environ 7.5 W) et les variations de température repérées dans l’artère pulmonaire, l’ordinateur peut calculer le débit cardiaque moyen de la période analysée. L'instrument réactualise toutes les 30 secondes l’affichage du débit cardiaque moyen des dernières minutes [22]. Le délai pour afficher une modification du DC varie de 4 à 12 minutes à cause du moyennage nécessaire pour se débarrasser des artéfacts [15]. La corrélation avec le calcul habituel par thermodilution est excellente (r = 0.94), mais elle dépend de la stabilité thermique du flux dans l’artère pulmonaire; des perfusions froides accélérées (cristalloïdes, sang, PFC) ou le réchauffement après une CEC hypothermique affectent considérablement la fiabilité de la lecture, alors qu’une fièvre stable (T° > 39°C) ne l’influence pas [3]. La valeur affichée a malheureusement toujours plusieurs minutes de retard par rapport à la situation actuelle, ce qui rend le système peu performant en cas de variations hémodynamiques brusques (sortie de CEC, mise en place d'assistance circulatoire).
 
Fraction d'éjection du VD
 
La forme complexe du ventricule droit enroulé en croissant autour du VG rend sa mesure de surface et de volume difficile à l’échocardiographie (voir Figures 5.14 et 5.110) ; le calcul de sa fraction d’éjection est trop complexe pour une utilisation de monitorage. Par contre, l'analyse en fréquence rapide de la courbe de température enregistrée lors du passage de l'injectat froid pendant un cycle cardiaque permet d'en dériver la fraction de volume restant dans le VD après l'éjection ; en l'absence d'arythmie ou de régurgitation tricuspidienne, l’ordinateur peut déduire la température résiduelle et, par ce biais, la fraction d’éjection du VD [14]. Il calcule également le volume télédiastolique en divisant le volume d’éjection par la fraction d’éjection. Les modifications par rapport à un système standard sont un triple orifice proximal pour l'injectat, un thermistor rapide (mesure toutes les 52 msec), un enregistrement simultané de l'ECG et le programme informatique adéquat. Etant une pompe à basse pression, le VD est extrêmement sensible à la postcharge ; sa performance systolique baisse si les RAP augmentent. Les modifications de sa fraction d'éjection ne traduisent donc pas que les modifications de sa contractilité. La valeur normale de la FEVD est de 0.4 - 0.5 [7,12]. 
 
Le volume télédiastolique d’un ventricule (Vtd) est un meilleur indicateur de sa précharge que la pression de remplissage. La corrélation du Vtd du VD avec le débit cardiaque est bien supérieure à celle de la PVC ou de la PAPO [8]. Elle reste excellente lorsque les malades sont ventilés en pression positive avec PEEP, alors que la PVC et la PAPO ne présentent plus de corrélation valable dans ces circonstances. Le Vtd normal du VD est de 60 - 100 mL/m2. Une valeur supérieure à 120 mL/m2 correspond à une dilatation [14]. 
 
Les critiques de ce type de mesure, sophistiquée et onéreuse, tiennent  au fait que la fraction d’éjection du VD est très dépendante de sa postcharge et ne mesure pas réellement sa contractilité, et que le couplage entre le Vtd et le débit cardiaque tient à la formulation mathématique du calcul: le Vtd étant calculé  à partir de la FE et du volume systolique, on compare deux variables dont l’une est utilisée dans le calcul de l’autre. La corrélation avec le débit cardiaque n’est valable que dans la mesure où les méthodes de calcul pour le débit et la fraction d’éjection sont différentes. D’autre part, l’échocardiographie transoesophagienne  permet d’apprécier les volumes cardiaques de manière moins compliquée et plus économique ; leur corrélation avec le débit cardiaque est excellente (r = 0.9) [6]. 
 
Cathéter pulmonaire pace-maker
 
Une lumière supplémentaire permet d'introduire une sonde de pace-maker jusque dans le VD. Bien que coûteux, ce système n'est pas plus cher qu'un pace-maker endoveineux traditionnel. Son taux de succès dans l'entraînement ventriculaire est de 96% [16]. Des sondes munies d’un canal pour une électrode supplémentaire permettent le pacing séquentiel auriculo-ventriculaire. Vu le risque thrombotique, ce type de sonde ne doit pas être laissé en place plus de trois jours. 
 
Les indications à la Swan-pace sont ceux du pacing temporaire: bradyarythmies sysmptomatiques, anamnèse ou présence d’un BAV complet, nouveau bloc bifasciculaire ou Mobitz II en présence d’un infarctus aigu. En chirurgie cardiaque, il s’agit essentiellement  d’indications concernant les arythmies survenant avant la CEC ; après celle-ci, les malades sont munis d’électrodes épicardiques, dont seul le dysfonctionnement justifie d’autres techniques d’entraînement [16]. 
 
 
Applications particulières
Débit cardiaque continu: mesure par thermodilution continue et affichage permanent du DC, mais avec 4-12 minutes de retard sur la valeur réelle.
 
Fraction d'éjection du VD: par thermodilution, calcul de la FE et du volume télédiastolique du VD, mais la FE droite est très dépendante de la postcharge (PAP).
 
Swan-pace: une lumière supplémentaire permet d'introduire une sonde de pace-maker jusque dans le VD.


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Août 2017
 

Références
 
 
  1. ARMAGANIDIS A, DHAINAUT JF. Sevrage de la ventilation artificielle: intérêt du monitorage continu de la SvO2. Ann Fr Anesth Réanim 1989; 8:708-15
  2. BEAUSSIER M, CORIAT P. Monitorage cardio-vasculaire spécifique de l’opéré à risque. III: Monitorage de la saturation veineuse en oxygène du sang veineux mêlé. in: CORIAT P. Les contraintes circulatoires et le risque cardiaque de l’anesthésie. Arnette, Paris, 1997, pp 185-213
  3. BOLDT J, MENGES T, WOLLBRUCK M, et al. Is continuous cardiac output measurement using thermodilution reliable in the critically ill ? Crit Care Med 1994; 22:1913-8
  4. BOYLAN JF, TEASDALE SJ. Perioperative continuous monitoring of mixed venous saturation should be a routine in high-risk cardiac surgery. Con. J Cardiothor Vasc Anesth 1990; 4:651-4
  5. CHASSOT PG, VANDERLINDEN P, ZAUGG M, MUELLER X, SPAHN DR. Physiologic and anaesthetic management for off-pump coronary artery bypass surgery. Brit J Anaesth 2004; 92:400-13
  6. CHEUNG AT, SAVINO JS, WEISS SJ, et al. Echocardiographic and hemodynamic indexes of left ventricular preload in patients with normal and abnormal ventricular function. Anesthesiology 1994; 81:376-87
  7. DHAINAUT JF, BRUNET F, MONSALIN J, et al. Bedside evaluation of right ventricular performance using a rapid computerized thermodilution method. Crit Care Med 1987; 15:148-52
  8. DIEBEL LN, WILSON RF, TAGETT MG, et al. End-diastolic volume: A better indicator of preload in the critically ill. Arch Surg 1992; 127:817
  9. DIVERTIE MB, McMIHAN JC. Continuous monitoring of mixed venous oxygen saturation. Chest 1984; 85:423-8
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  11. GUTIERREZ G, BISMAR H, DANTZKER DR, et al. Comparison of gastric intramucosal pH with meassures of oxygen transport and consumption in critically ill patients. Crit Care Med 1992; 20:451-7
  12. HADDAD F, COUTURE P, TOUSIGNANT C, DENAULT AY. The right ventricle in cardiac surgery, a perioperative perspective: I. Anatomy, physiology and assessment. Anesth Analg 2009; 108:407-21
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  16. RISK SC, BRANDON D, D’AMBRA MN, et al. Indications for the use of pacing pulmonary artery catheters in cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 1992;  6:275-9
  17. ROUBY JJ, POETE P, BODIN L, et al. Facteurs influençant la SvO2 en réanimation. Ann. Fr. Anesth. Réanim. 1989; 8:703-7
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