5.5.2 Relation pression – volume (P/V)

Boucle Pression / Volume
 
La définition physique du travail est le produit d’une force (F) par un déplacement (D) ou d'une pression (P) par un volume (V):  
 
  • Travail = Force • Distance        en: g • cm
  • Travail = Pression • Volume     en: (g / cm2) • cm3 (= g • cm)
Un graphique comportant le volume ventriculaire en abscisse et la pression générée en ordonnée illustre un cycle cardiaque sous la forme d’une boucle quadrilatère dont la surface est l’équivalent du travail éjectionnel et dont les côtés correspondent à la contraction isovolumétrique, à l’éjection systolique, à la relaxation isovolumétrique et au remplissage diastolique (Figure 5.52A). Au cours d'un cycle cardiaque, le ventricule parcourt la boucle en sens inverse des aiguilles d'une montre [9].  

Figure 5.52 : Boucle pression – volume. A : Boucle posée sur la courbe de compliance diastolique. 1 : point télédiastolique. 1 → 2 : contraction isovolumétrique. 2 : début de l’éjection. 2 → 3 : phase de l’éjection systolique. 3 : point télésystolique. 3 → 4 : relaxation isovolumétrique. 4 : début du remplissage. 4 → 1 : remplissage diastolique. B : Construction de la pente d’élastance maximale Emax, ou élastance télésystolique Ets (en bleu), par l’alignement des points télésystoliques d’une famille de courbes obtenues à des précharges différentes chez le même individu. V0 : volume ventriculaire résiduel à pression nulle.
 
En variant la précharge de l’individu observé, on obtient une famille de courbes isomorphes mais de surfaces différentes correspondant à des remplissages différents. Cependant, tous les points télésystoliques (points 3) apparaissent alignés sur une quasi-droite (Figure 5.52B). Cette courbe est l’élastance maximale (Emax) ou élastance télésystolique (Ets) du ventricule, dont la pente est une expression de la contractilité du ventricule ; sa valeur normale est 4.0 - 5.5 mmHg/ml pour le VG [1,8,10]. Elle a été dénommée élastance par analogie à un élastique qui serait tendu en télédiastole et dont le retour à la dimension de base représenterait l’éjection systolique. A la fin de la systole, la contraction a produit une grande augmentation de pression par unité de changement de volume; l'élastance est donc maximale et représente l'intensité de la tension de paroi systolique du ventricule. Elle est indépendante de la précharge, mais faiblement sensible à la postcharge. Cette ligne ne rejoint pas l'abscisse (volume) au zéro de l'ordonnée (pression), mais à un point V0 non-nul, qui représente le volume ventriculaire résiduel ou volume en-dessous duquel le ventricule ne développe aucune pression; ce dernier varie selon le degré de dilatation du ventricule, et déplace l'ensemble de la boucle vers la droite lorsqu'il augmente [8]. La pente de l'élastance venticulaire (Ets ou Emax) est définie par le rapport entre le point télésystolique et le volume résiduel (en mmHg/mL): Ets = Pts/Vts. Elle exprime la performance systolique du ventricule comme résultante de la contractilité intrinsèque du myocarde et de sa structure fonctionnelle caractérisée par sa tension de paroi et sa géométrie, mais elle est pratiquement indépendante des conditions de charge. Les schémas utilisés pour représenter la boucle P/V sont une approximation géométrique de l'image réelle obtenue en clinique, qui est plus complexe et moins lisible (Figure 5.53) [4].
 
     

Figure 5.53: Exemples d'enregistrements réels de boucles P/V. Chaque famille de boucles est obtenue en variant la précharge (gonflement d'un ballon dans la veine cave inférieure); les points télésystoliques sont alignés sur la droite d'élastance télésystolique (Ets) ou élastance maximale (Emax). A: individu normal. B: effet d'un effort isométrique (augmentation de postcharge) [extrait de: Kawaguchi M, et al. Combined ventricular systolic and arterial stiffness in patients with heart failure and preserved ejection fraction. Circulation 2003; 107:714-20]. Pression en mmHg, volume en mL.
 
Une augmentation de la précharge déplace le point télédiastolique (point 1) vers le haut et vers la droite en suivant la relation pression-volume diastolique qui n’est autre que la compliance ventriculaire. Cette dernière est curvilinéaire : très horizontale à bas volume de remplissage, elle se redresse progressivement lorsque le volume ventriculaire augmente (voir Figure 5.76). Si la contractilité reste inchangée, une diminution de postcharge augmente le volume éjecté alors qu'une augmentation le diminue; ce dernier phénomène est beaucoup plus marqué à basse contractilité, puisque la pente Ets est faible et que de petites variations de l'ordonnée (pression) se traduisent par de fortes variations de l'abscisse (volume) [3]. 
 
Le travail cardiaque externe (TCE) est défini par la surface de la boucle pression-volume (Travail = Pression • Volume) ; c’est le travail fourni lors de l’éjection. Le travail cardiaque interne (TCI) est représenté par la surface triangulaire comprise entre la compliance, l'élastance et la ligne de relaxation isovolumétrique (triangle compris entre les points 0 – 4 – 3) (Figure 5.54A). Il représente le travail nécessaire à la mise sous pression du système ventriculaire. D'un point de vue énergétique, le travail cardiaque externe nécessité par l'éjection consomme les 30-40% de la mVO2 totale. Le travail interne de pression consomme également 30-40% de la mVO2, et les flux ioniques intracellulaires le 20% restant. Seule la composante éjectionnelle fournit un travail externe. L’efficience du moteur ventriculaire est le rapport du travail fourni (éjection) par rapport à la mVO2 totale (TCE + TCI) ; elle est donc de 30-40%, ce qui est un bon rendement pour un moteur [7]. Une surcharge de pression déplace la boucle P/V éjectionnelle vers le haut et vers la droite (Figure 5.54B); pour conserver la même surface (travail éjectionnel identique), la boucle devient plus étroite. Le volume éjecté est alors plus petit. Par contre, le travail interne de pression a augmenté de manière considérable. L’efficience du ventricule a diminué. La surcharge de pression est énergétiquement plus coûteuse qu'une surcharge de volume, et la postcharge a une influence considérable sur l'efficience mécanique du myocarde et sur sa consommation d’O2. Les ventricules sont plus performants comme pompe-volume que comme pompe-pression. On comprend dès lors l'importance de baisser la postcharge lors d'insuffisance ventriculaire. 
     

Figure 5.54 : Définition du travail ventriculaire (Pression • Volume). A. Le travail éjectionnel externe (Téj) est équivalent à la surface du quadrilatère de la boucle P • V. Le travail interne de pression (Tpr) est équivalent à la surface du triangle compris entre la pente Emax, la courbe de compliance et le point V0 correspondant au volume ventriculaire à pression nulle. Flèche jaune : volume systolique (VS). B. Travail ventriculaire lors d’augmentation de la postcharge (hypertension artérielle, sténose aortique, clampage de l’aorte). La pente Emax (contractilité) est identique. La surface du quadrilatère reste la même, mais il est allongé vers le haut (haute pression) et déplacé vers la droite ; le travail externe (Téj) reste le même, mais le volume éjecté est plus faible (flèche jaune, VS). Par contre, le triangle représentant le travail de pression (Tpr) a considérablement augmenté. Le rapport Téj / Ttotal est plus faible, donc l’efficience du moteur ventriculaire a baissé. La mVO2 augmente pour fournir le même travail éjectionnel.
 
Lorsqu’on dispose d’un cathéter pulmnaire de Swan-Ganz, on peut calculer le travail ventriculaire par la formule : LVSW (left ventricular stroke work) =  [1.36 • (PAM – PAPO) • VS] / 100  (en g•m).
 
La relation pression-volume télésystolique est un excellent indice de l'état inotrope du ventricule: une intervention inotrope positive augmente la pente de la courbe Emax, donc augmente le travail fourni et la pression télésystolique (Pts) atteinte par le ventricule, alors qu'un effet inotrope négatif les abaisse. La pente de la courbe diastolique (compliance) peut être modifiée par la pathologie ou la thérapeutique; un effet lusitrope positif déplace la relation pression-volume diastolique vers le bas et vers la droite (compliance augmentée). Un effet lusitrope négatif déplace la courbe vers le haut et vers la gauche (compliance diminuée): les pressions de remplissage sont plus élevées. Lors d’insuffisance cardiaque, la pente Emax est abaissée et la courbe de compliance élevée. Le volume systolique est abaissé, et le travail éjectionnel fourni est minime. Dans un ventricule insuffisant, l’efficience devient très faible parce que le volume éjecté est petit mais les pressions de remplissage sont élevées ; le TCE est beaucoup plus petit que le TCI (Figure 5.55) [2].
     

Figure 5.55 : Boucle Pression • Volume lors d’insuffisance ventriculaire. La baisse de la pente Emax et la restriction de la compliance ventriculaire diminuent le volume éjecté et le travail externe fourni. Trois exemples de boucles Pression • Volume illustrent cette variation chez un même patient: en situation normale, sous stimulation catécholaminergique et sous β-bloqueur ; cette dernière image est identique à celle de l’insuffisance ventriculaire [extrait de: Gorcsan J, et al. Left ventricular pressure-volume relations with transesophageal echocardiography automated border detection: comparison with conductance-catheter technique. Am Heart J 1996; 131:544-52].
 
Valvulopathies
 
La boucle P/V est très utile pour illustrer les conditions hémodynamiques créées par les valvulopathies [5,6,7,11]. 
 
  • Sténose aortique (Figure 5.56) : surcharge de pression. L’augmentation du stress de paroi oblige le VG à travailler à très haute pression ; à travail externe identique, le volume éjecté est plus faible. Le travail interne de pression étant très augmenté, l’efficience du VG est diminuée bien que la pression générée soit élevée ; la compliance est diminuée à cause de l’hypertrophie concentrique.
  • Sténose mitrale (Figure 5.57) : précharge restrictive. Le remplissage du VG est défectueux, le volume éjecté est faible, le VG est petit ; le travail externe est faible.
  • Insuffisance mitrale (Figure 5.58) : surcharge de volume à basse pression. La précharge est élevée mais elle a lieu sous faible pression (pression moyenne de l'OG) ; la postcharge est très basse et la phase de contraction isovolumétrique est quasi-absente parce que l’IM laisse fuir le volume éjecté dès que la pression du VG dépasse celle de l'OG, largement avant l’ouverture de la valve aortique.  Les conditions de travail du VG sont excellentes (postcharge basse, précharge élevée) et le volume éjecté est élevé (mais une partie retourne en arrière dans l’OG). La fraction de régurgitation est proportionnelle à la PA systémique: l'IM augmente si les RAS s'élèvent.
  • Insuffisance aortique (Figure 5.59) : surcharge de volume à la pression aortique diastolique. La précharge est excessive à cause du remplissage diastolique par la fuite aortique qui a lieu sous une pression élevée (PA diast), ce qui déplace la courbe de compliance vers le haut. Le volume du VG est très augmenté (l’IA induit les plus volumineux VG); le stress de paroi est augmenté à cause de la dilatation ventriculaire. La postcharge, qui dépend des résistances artérielles, règle le volume éjecté. Si les RAS s’élèvent, la régugitation augmente.

Figure 5.56 : Boucle Pression • Volume en cas de sténose aortique. L’augmentation de postcharge déplace la boucle PV vers le haut et vers la droite. La pente de l’élastance maximale (Emax) est inchangée, mais la courbe de compliance est anormale. A surface équivalente (travail externe inchangé), la boucle est plus étroite, donc le volume éjecté est plus petit (VS : volume systolique). Alors que la performance éjectionnelle diminue, le travail de pression est très augmenté, comme le montre l’augmentation de la surface du triangle contenu entre l’Emax, la compliance et la boucle PV (pointillé bleu pâle). L’efficience dynamique est très diminuée, même si la pression développée est plus haute.
 

Figure 5.57 : Boucle Pression • Volume en cas de sténose mitrale. La restriction au remplissage ventriculaire conduit à un tout petit volume ventriculaire placé sur des valeurs d’Emax et de compliance encore normales ; cela n’est cependant pas toujours le cas (myocardite rhumatismale, par exemple). Le volume systolique (VS) et le travail éjectionnel sont réduits, mais le travail de pression est normal.
 

Figure 5.58 : Boucle Pression • Volume en cas d’insuffisance mitrale (IM). La pente Emax et la courbe de compliance sont normales, mais le volume éjecté (VS, rouge) est très augmenté par rapport à la normale (double flèche jaune). Comme la valve mitrale fuit dès que la pression monte dans le VG, la phase de contraction isovolumétrique est quasi-inexistante et le VG régurgite dans l’OG avant même d’éjecter dans l’aorte ; c’est la raison de la pente oblique de cette phase (flèches blanches). Le travail de pression (triangle pointillé bleu clair) est normal. L’IM représente une surcharge de volume à postcharge basse, situation énergétiquement très favorable pour le VG. Dans l’IM aiguë, la dilatation ventriculaire n’existe pas, le volume est à la limite supérieure de la normale, mais la pression télédiastolique est très élevée.
 

Figure 5.59 : Boucle Pression • Volume en cas d’insuffisance aortique (IA). La courbe de compliance est déplacée vers la droite à cause de l’augmentation de volume diastolique due à la régurgitation qui se fait à la pression diastolique de l’aorte, mais sa pente reste très plate car le VG est encore souple. Le volume éjecté est immense (VS) par rapport à sa valeur normale (jaune), car l’IA provoque les plus fortes dilatations ventriculaires que l’on rencontre en clinique (cœur bovin). Le travail de pression (triangle pointillé bleu clair) est augmenté à cause de la tension de paroi élevée (dilatation) en protosystole. En cas d’IA aiguë, le volume du VG est à la limite supérieure de la normale, mais n’a pas le temps de s’agrandir ; par contre, l’excès de remplissage diastolique avec une compliance normale conduit à une augmentation très importante de la pression diastolique ; la boucle PV est réduite, mais surélevée.
 
Comme l’illustrent les boucles P-V, chaque valvulopathie présente des caractéristiques hémodynamiques particulières. En clinique, ceci implique de rechercher les conditions hémodynamiques qui sont favorables à l’équilibre circulatoire. Pour l’anesthésiste et le réanimateur, il est capital de comprendre ces contraintes afin d’assurer la meilleure stabilité dans la prise en charge des malades. D’une manière générale, il faut maintenir une précharge et postcharge élevées et une fréquence normale dans les sténoses (Tableau 5.3), mais une postcharge basse et une fréquence élevée dans les insuffisances (Tableau 5.4). Vu les conditions de charge particulières, le volume systolique et les dimensions du ventricule sont les meilleurs critères pronostiques du point de vue fonctionnel : diamètre télédiastolique dans les sténoses et diamètre télésystolique dans les insuffisances. Plus le VG est grand, plus le risque de dysfonction est élevé. La fraction d'éjection est un marqueur peu fiable de la performance systolique dans les valvulopathies (voir Fraction d'éjection).

 
 
 
Relation Pression / Volume
La boucle P/V est une représentation graphique des conditions de travail ventriculaire au cours d'un cycle cardiaque. Le travail du VG est réparti en travail externe d'éjection (30-40% du travail total), travail interne de pression (40-50%) et en travail biochimique cellulaire (20%). La pente de la courbe d'élastance maximale (Emax) ou élastance télésystolique (Ets) est un excellent indice de contractilité. La forme de la boucle et la répartition du travail externe/interne sont typiques de chaque cardiopathie (dysfonction ventriculaire, valvulopathies).


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2018
 
 
Références
 
  1. ASANOI H, SASAYAMA S, KAMEYAMA T. Ventriculoarterial coupling in normal and failing heart in humans. Circ Res 1989; 65:483-93
  2. GORCSAN J, DENAULT A, MANDARINO WA, et al. Left ventricular pressure-volume relations with transesophageal echocardiography automated border detection: comparison with conductance-catheter technique. Am Heart J 1996; 131:544-52 
  3. KATZ A.M. Influence of altered inotropy and lusitropy on ventricular pressure-volume loops. J Am Coll Cardiol 1988; 11:438-45
  4. KAWAGUCHI M, HAY I, FETICS B, KASS DA. Combined ventricular systolic and arterial stiffness in patients with heart failure and preserved ejection fraction. Circulation 2003; 107:714-20
  5. NISHIMURA RA, OTTO CM, BONOW RO, et al. 2014 AHA/ACC Guideline for the management of patients with valvular heart disease. Circulation 2014; 129:e521-e643 
  6. OH JK, SEWARD JB, TAJIK AJ. The echo manual. 3rd edition. Philadelphia, Lippincott Williams & Wilkins, 2006, 189-242
  7. OPIE LH. Heart Physiology. From cell to circulation. Philadelphia: Lippincott-Williams & Wilkins, 2004, 648 pp
  8. SAGAWA K, MAUGHAN L, SUGA H, et al. Cardiac contraction and the pressure-volume relationship. New York, Oxford University Press, 1988
  9. SUNAGAWA K, MAUGHAN WL, BURKHOFF D, SAGAWA K. Left ventricular interaction with arterial load studied in isolated canine ventricle. Am J Physiol 1983; 56:586-95
  10. SUNAGAWA K, SAGAWA K, MAUCHAN WL. Ventricular interaction with the vascular system in terms of pressure-volume relationships. In: YIN FCP, ed. Ventricular/vascular coupling. Clinical, physiological and engineering aspects. New York: Springer Verlag, 1987, 210-39
  11. VAHANIAN A, ALFIERI O, ANDREOTTI F, et al. Guidelines on the management of valvular heart disease (version 2012). The Joint Task Force on the Management of Valvular Heart Disease of the European Society of Cardiology (ESC) and the European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS). Eur Heart J 2012; 33:2451-96