14.2.7 Arythmies

Les arythmies compromettantes, très fréquentes, peuvent être intrinsèques à la malformation: par exemple, certains enfants ont deux nœuds atrio-ventriculaires, le bloc AV est fréquent dans le canal AV et le WPW dans l’anomalie d’Ebstein. Elles peuvent aussi être secondaires à la chirurgie: bloc AV après cure de CIV périmembraneuse, tachyarythmies supraventriculaires après une cure de CIA ou après un Fontan. Comme le cœur de l’enfant est peu compliant, le débit cardiaque est très dépendant de la fréquence. La fréquence cardiaque minimale tolérable est 70 batt/min chez le nouveau-né (jusqu’à 28 jours), 60 batt/min chez l’enfant < 2 ans et 50 batt/min chez l’enfant jusqu’à 10 ans. A l’opposé, une fréquence > 170 batt/min est associée à un mauvais remplissage ventriculaire et à une baisse du débit cardiaque. Lorsqu’elles surviennent en peropératoire, les arythmies de l’enfant doivent être immédiatement traitées de manière agressive, car elles ont une forte tendance à dégénérer en arythmies malignes.
 
Le taux d’arrêt cardiaque peropératoire non lié à la chirurgie est presque 10 fois plus élevé chez les congénitaux (21:10'000) que chez les enfants sans cardiopathie (3:10'000) [7,8]. Le taux est 6 fois plus élevé en chirurgie cardiaque (127:10'000) qu’en chirurgie non-cardiaque (2.9:10'000) parce que le risque est lié à l’acte opératoire lui-même [4]. Le taux attribuable à l’anesthésie n’est que 1-2:10'000.
 
Tachyarythmies sus-jonctionnelles
 
La tachycardie sus-jonctionnelle est caractérisée par une fréquence de 180-300 batt/min et un QRS fin (< 0.08 secondes chez l’enfant de  < 6 mois et < 0.10 seconde au-delà de 6 mois). Outre la fibrillation (FA) et le flutter auriculaires, certaines arythmies sont particulièrement fréquentes dans le postopératoire d’une intervention en CEC [1]. 
 
  • La tachycardie ectopique jonctionnelle (JET : junctional ectopic tachycardia) se rencontre exclusivement chez les petits enfants après chirurgie cardiaque. Elle est due à une décharge automatique partant du nœud AV ou du faisceau de His proximal, avec une fréquence ventriculaire plus élevée que la fréquence auriculaire (> 150 batt/min); elle se présente comme une tachycardie fixe à complexe fin. La JET est très réfractaire aux traitements anti-arythmiques conventionnels (adénosine, cardioversion), mais elle réagit en général assez bien à l’hypothermie (sérum physiologique froid local, hypothermie à 34°C) et à l'over-drive pacing si la fréquence le permet. Elle peut être sensible à l’amiodarone, à la procaïnamide et au magnésium.
  • La tachycardie auriculaire ectopique est caractérisée par un foyer non-sinusal unique (la forme de l’onde P varie selon sa localisation) et une fréquence plus élevée que la norme pour l’âge. L’amiodarone et le pacing rapide jugulent en général le phénomène.
  • La tachycardie auriculaire multifocale se distingue par un rythme auriculaire chaotique, des ondes P dont la morphologie varie constamment, et des intervalles PP, PR et RR irréguliers. Elle réagit à l’amiodarone et à la digoxine.
  • Les tachyarythmies sus-jonctionnelles sont courantes chez les enfants qui ont des oreillettes distendues ou qui ont subi des atriotomies. 
 
Ces tachycardies supraventriculaires sont très résistantes aux traitements habituels, particulièrement la JET. Les manœuvres vagales sont efficaces si le nœud du sinus est encore en contrôle du rythme auriculaire, mais ceci est rarement le cas. Chez l’enfant, le traitement pharmacologique comprend habituellement plusieurs points [2]. 
 
  • L’amiodarone (Cordarone® 5 mg/kg iv en infusion brêve, suivie d’une perfusion de 5-15 mcg/kg/min sur 24 h, maxinun 1.2 g/24 h) prolonge la repolarisation et la période réfractaire des tissus auriculaire, nodal et ventriculaire ; elle n’a que peu d’effet inotrope négatif. Elle est indiquée dans les tachyarythmies sus- et sous-jonctionnelles. Elle est particulièrement utile pour contrôler la JET. 
  • L’adénosine (0.05 mg/kg en bolus iv, à répéter en doublant la dose jusqu’à un maximum de 0.5 mg/kg) est le premier choix pour les tachyarythmies impliquant le nœud AV, mais elle est inefficace en cas de FA, de flutter ou de JET. Elle est contre-indiquée en cas de bronchospasme et peut provoquer un arrêt sinusal chez le cœur transplanté, qui est dénervé, mais elle n’a pas d’effet inotrope négatif en cas d’insuffisance ventriculaire. 
  • L’esmolol (Brevibloc® 0.5 mg/kg iv, perfusion 25-300 mcg/kg/min) est un bétabloqueur de courte durée d’action (9 minutes) qui ralentit la conduction sino-auriculaire et atrio-ventriculaire.
  • La procaïnamide (0.4 mg/kg/min iv pendant 25 minutes, perfusion 20-80 mcg/kg/min, maximum 2 g/24 h) ralentit la conduction auriculaire et allonge le QRS et le QT.
  • Le magnésium pour un dosage sérologique de 1.5-2.5 mM/L.
  • La lidocaine (Xylocaine® iv) peut être utile dans certains cas refractaires. Utilisée comme anti-arythmique IB, elle agit sur la dépolarisation ventriculaire et sur l’automatisme des fibres de Purkinje. D’action rapide et rapidement métabolisée, il est parfois nécessaire de répéter son administration (1-1.5 mg/kg iv répété chaque 2-5 min), ou de l’utiliser en perfusion continue (20-50 mcg/kg/min).
  • La cardioversion synchrone 0.5-1.0 J/kg.
 
Tachyarythmies ventriculaires
 
La tachycardie ventriculaire (QRS large) est toujours dangereuse, et ceci pour trois raisons.
 
  • Elle survient sur un myocarde anormal, sur une cicatrice de ventriculotomie, et souvent sur une dilatation ou une ischémie;
  • Elle dégénère facilement en fibrillation ventriculaire;
  • La fréquence ventriculaire rapide empêche un remplissage correct des ventricules.
Elle peut survenir dans toutes les pathologies, mais est particulièrement fréquente chez les Fallot corrigés qui développent une insuffisance pulmonaire et une dilatation du VD [5]. Le traitement est la cardioversion (0.5-1.0 J/kg), la lidocaïne (1 mg/kg iv) et l’amiodarone (5 mg/kg en 1 h).
 
Bradycardies
 
La bradycardie sinusale n’est pas rare après canulation de la veines cave supérieure ou après les interventions qui comportent des sutures étendues dans les oreillettes, comme les opérations de Mustard, Senning ou Fontan. Les blocs AV sont fréquents après une cure de CIV membraneuse, de canal AV ou après chirurgie tricuspidienne. Ces blocs sont le plus souvent transitoires et ne durent que  quelques jours. Les blocs de branche sont courants chez les enfants qui ont développé une hypertrophie ventriculaire. L’indication au pace-maker implanté est une fréquence < 60 batt/min chez l’enfant < 2 ans et < 50 batt/min chez l’enfant jusqu’à 10 ans [2]. Dans le postopératoire, on attend au moins 7 jours avant de poser un pace-maker définitif, car beaucoup de blocs se résolvent spontanément. 
 
Pace-maker
 
La technologie et le fonctionnement des pacemakers sont identiques chez les enfants et chez les adultes (voir Chapitre 20 Pace-makers), mais elles présentent certaines particularités chez les petits [6].
 
  • Les sondes de pace-maker endocavitaires sont trop grosses et ne s’allongent pas avec la croissance. D’autre part, les modifications anatomiques dues aux malformations rendent souvent impossible la mise en place d’électrodes par voie endoveineuse. Il faut donc avoir recours à des électrodes épicardiques implantées par mini-thoracotomie ou incision sous-xyphoïdienne sous anesthésie générale. Il en est de même pour la thérapie de resynchronisation en cas de dysfonction ventriculaire. Le boîtier est implanté en sous-cutané dans la région abdominale.
  • Parmi les complications, la fracture des sondes est la plus fréquente; leur durée de vie est d'autant plus courte que l'âge de l'implantation est plus bas. La durée de vie de la batterie est également plus brêve, parce qu'elle est fonction de la fréquence cardiaque de base, qui est plus élevée chez les enfant.
  • Le mode en fréquence variable (rate modulation) est utilisé de routine; la détection d'une demande d'accélération se fait par détecteur de mouvement (accéléromètre) ou de respiration (impédance thoracique).
Les indications au pace-maker permanent chez les enfants sont plus restrictives que chez l'adulte [3,6].
 
  • Bloc AV complet (IIIème degré) congénital ou postopératoire (persistant au-delà du 7ème jour postop) si la fréquence est < 70 batt/min.
  • Bradycardie sinusale (< 40 batt/min ou pause > 3 sec) en cas de cardiopathie congénitale.
  • Tachycardie auriculaire par ré-entrée en cas de cardiopathie congénitale.
Les interventions sur l'oreillette (Mustard, Senning, Fontan, etc) et au voisinage du nœud AV (cure de CIV, tétralogie de Fallot, L-TGV) sont le plus fréquemment impliquées.
 
La prise en charge d'un enfant porteur de pacemaker est analogue à celle d'un adulte: programmation en mode asynchrone avant l'intervention (de préférence à l'utilisation d'un aimant en peropératoire), utilisation de diathernie bipolaire, éloignement de la plaque de coagulation par rapport au boîtier, mise en place de patches de défibrillation, monitorage de la cirulation périphérique (SpO2, cathéter artériel). Les substances qui inhibent la fonction sinusale comme la dexmédétomidine et le rémifentanil sont à éviter. Le seuil d'excitation est élevé par l'hyperkaliémie, l'alcalose, l'acidose, l'hypothermie et l'hyperglycémie.
 
 
 Arythmies
Tachyarythmies sus-jonctionnelles (FC > 180 batt/min, QRS fin, rythme régulier)
    - JET (junctional ectopic tachycardia), après chirurgie cardiaque, très réfractaire
    - Tachycardie auriculaire ectopique ou multifocale, FA, flutter
    - Amiodarone (5 mg/kg en perf brêve), adénosine (0.05 mg/kg), esmolol (0.5 mg/kg), procaïnamide (max 10 mg/kg iv en 25 min),
       cardioversion synchrone 0.5-1.0 J/kg

Tachycardie ventriculaire (QRS large, risque de fibrillation)
    - Cardioversion (0.5-1.0 J/kg), lidocaïne (1 mg/kg iv), amiodarone (5 mg/kg en 1 h)

Bradycardie
    - Pace-maker si FC < 70 batt/min chez enfant < 2 ans et < 40 batt/min chez enfant < 10 ans, isoprénaline (0.05-0.5 mcg/kg/min)
 
 
© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai 2018


Références
 
  1. BOHN D. Anomalies of the pulmonary valve and pulmonary circulation. In: LAKE CL. Pediatric Cardiac Anesthesia, 2nd edition, Appleton & Lange, Norwalk, 1993, 295-323
  2. BOTERO M, DAVIES LK. Diagnosis and management of arrhytmias in children after cardiac surgery. Semin Cardiothorac Vasc Anesth 2001 ; 5 : 122-33
  3. BRIGNOLE M, AURICCHIO A, BARON-ESQUIVIAS G, et al. 2013 ESC Guidelines on cardiac pacing and cardiac resynchronization therapy. Europace 2013; 15:1070-118
  4. FLICK RP, SPRUNG J, HARRISON TE, et al. Perioperative cardiac arrests in children between 1988 and 2005 at a tertiary referral center. Anesthesiology 2007; 106:226-37
  5. GATZOULIS MA, BALAJI S, WEBBER SA, et al. Risk factors for arrhythmia and sudden cardiac death late after repair of tetralogy of Fallot: a multicentre study. Lancet 2000; 356:975-81
  6. NAVARATNAM M, DUBIN A. Pediatric pacemakers and ICDs: how to optomize perioperative care. Pediatr Anesth 2011; 21:512-21
  7. ODEGARD KC, DiNARDO JA, KUSSMAN BD, et al. The frequency of anesthesia-related cardiac arrests in patients with congenital heart disease undergoing cardiac surgery. Anesth Analg 2007 ; 106 :335-43approach to pulmonary vascular disease. Circulation 1978; 58:1007-22
  8. RAMAMOORTHY C, HABERKERN CM, BHANANKER SM, et al. Anesthesia-related cardiac arrest in children with heart disease : data from the Pediatric Peiroperative Cardiac Arrest (POCA) Registry. Anesth Analg 2010 ; 110 :1376-82