27.8.4 Pressions droites

Calcul de la PAP

Il n'est pas nécessaire de disposer d'un cathéter pulmonaire pour mesurer les pressions de l'AP. On peut en réaliser une estimation fiable par échocardiographie, pour autant que le malade présente une insuffisance tricuspidienne (IT). Or celle-ci existe physiologiquement dans plus de la moitié des individus normaux, et survient dès que la pression droite augmente, c'est-à-dire chez presque tous les patients souffrant d’hypertension pulmonaire. La vélocité maximale du jet systolique de l'IT est fonction du gradient de pression qui règne en systole entre le VD et l'OD. L'équation simplifiée de Bernoulli établit la relation entre la vélocité et la pression:

      ΔP   =   4 (Vmax)2

      où ΔP est le gradient de pression entre le VD et l'OD en systole et Vmax la vélocité maximale de l'IT.

En l'absence de lésion au niveau de la chambre de chasse droite et de la valve pulmonaire, la pression systolique du VD est égale à la pression systolique de l'AP. La pression de l'OD doit être additionnée à la valeur du gradient VD-OD pour trouver la valeur de la PsystVD. Elle est estimée par le degré de collapsibilité de la VCI ou mesurée par la PVC. L'équation devient:

      PAPs   =   4 (Vmax IT)2  +   POD

A l'échocardiographie, le capteur Doppler est aligné avec le jet de l'IT et la machine opère directement le calcul (Figure 27.138).



Figure 27.138 : Calcul échocardiographique de la pression pulmonaire systolique (PAPs) par la vélocité de l'insuffisance tricuspidienne (IT). Dans la vignette supérieure droite, le capteur Doppler est aligné avec le jet de l'IT à travers la valve tricuspide. L'affichage spectral donne la vélocité maximale de l'IT, en l’occurrence 2.5 m/s. L’équation simplifiée de Bernoulli (ΔP = 4 V2) permet de calculer le gradient de pression (ΔP) qui règne entre le VD et l’OD en systole en mesurant la vélocité maximale (V) de l’IT. Il faut ajouter à ce résultat (4 x 2.52 = 26 mmHg) la pression de l’OD (en l’occurrence 10 mmHg) pour obtenir la valeur de la pression dans le VD en systole. En l’absence de sténose pulmonaire ou de CIV, cette pression est la même que la pression artérielle pulmonaire systolique.

La pression diastolique pulmonaire est calculable s'il existe une insuffisance pulmonaire (IP), presque toujours présente en cas d'hypertension pulmonaire. Comme la POD et la PdiastVD sont équivalentes puisque la valve tricuspide est ouverte en diastole, on obtient le calcul suivant en mesurant la Vmax de l'IP télédiastolique:

      PAPd   =   4 (Vmax IPtd)2  +   POD

La POD est mesurée par le cathéter central. En l’absence de PVC, on estime la POD par des repères utilisés pour jauger la volémie: collapsibilité de la VCI et de la VCS, ou oscillations du septum interauriculaire. En ventilation mécanique contrôlée (IPPV à volume courant de 10 mL/kg), une variation de diamètre > 20% de la VCI à l'ETO est un signe d'hypovolémie qui traduit une POD < 8 mmHg [7]. Un diamètre > 2 cm et une absence de variabilité correspondent à une POD > 12 mmHg [12]. Cette approximation est certainement le facteur qui introduit le plus d'incertitude sur la mesure de la PAP par échocardiographie.

La corrélation globale du calcul de la PAPs avec sa mesure directe par un cathéter pulmonaire de Swan-Ganz est assez modeste (r = 0.7) [18]. La valeur calculée de la PAPsyst est dans une limite de < 15% par rapport à la mesure par cathétérisme dans 55-75% des patients seulement [5,17]. L'évaluation de la PAPsyst par ETO est donc très utile pour trier les malades en trois catégories: PAP normale, hypertension pulmonaire modérée et hypertension pulmonaire sévère; mais la technique n'offre aucune garantie pour davantage de précision [11]. Chez les congénitaux, ce calcul peut être en plus faussé par deux situations [4].
 
  • Une sténose sur la voie d’éjection du VD; la pression systolique du VD n’équivaut pas la PAP systolique;
  • Une CIV; la pression du VD est contaminée par celle du VG.
En présence d'une CIV, il est possible de calculer la pression systolique du VD par la vélocité du flux dans le shunt G-D. La vélocité maximale du shunt donne la différence de pression en systole entre le VG et le VD; soustraite de la pression artérielle systémique (en l'absence de pathologie aortique), elle donne la pression systolique du VD [15]:

      PsystVD   =   PAsyst  -  4 (Vmax CIV)2

 
Mesure de la PAP
Equation de Bernoulli simplifiée: ΔP = 4 • (Vmax)2

Calcul de la PAP syst par la Vmax de l’IT : PAPs = 4 • (Vmax IT)2 + POD
Corrélation avec la PAPsyst par cathétérisme: 0.7-0.9.

Autres mesures utilisant le ΔP par l'équation de Bernoulli:
    - PAPdiast  =  4 (Vtd IP)2  +  POD
    - PAPm = 4 (Vmax IP)2 + POD
    - En présence de CIV: PAPsyst = PAsyst – 4 (Vmax CIV)2

Hypertension pulmonaire

L'hypertension pulmonaire (HTP) est définie par une pression moyenne (PAPm) supérieure à 25 mmHg au repos et des RVP > 300 dynes•s•cm-5 (valeur normale : 60-80 dynes•s•cm-5) [8,10]. L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), rencontrée chez 5-10% des congénitaux, est plus spécifiquement une augmentation de la pression précapillaire. L'HTP est classée en 5 catégories [16].
 
  • 1 - Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP): HTAP des cardiopathies congénitales, HTAP primaire idiopathique, HTAP secondaire à des médicaments, à des infections, à l'âge.
  • 1' - Maladie pulmonaire veino-occlusive.
  • 1’’ - HTAP persistante du nouveau-né (2 :1'000 bébés).
  • 2 - Hypertension pulmonaire (HTP) postcapillaire: défaillance systolique ou insuffisance diastolique restrictive du VG, valvulopathie mitrale.
  • 3 - HTAP associée à l’hypoxie alvéolaire: BPCO, emphysème, SDRA, apnée du sommeil, hypoxie d’altitude.
  • 4 - HTAP liée à la maladie thrombo-embolique pulmonaire chronique.
  • 5 - HTAP d’origine multifactorielle non éclaircie.
Chez les congénitaux, sa cause la plus fréquente est un shunt gauche - droit non restrictif. Elle survient dans 50% des communications interventriculaires (CIV) et de canal atrio-ventriculaire, où il y a surcharge de volume et de pression, mais dans seulement 10% des communications interauriculaires (CIA), où il y a surcharge de volume uniquement [4]. Le syndrome d'Eisenmenger est le stade terminal de l’HTAP, caractérisé par une PAPmoy > 50 mmHg et des résistances vasculaires pulmonaires > 800 dynes•s•cm-5. Le flux à travers le shunt gauche - droit est alors bidirectionnel ou renversé. La correction chirurgicale n'est plus possible lorsque la rapport RVP / RVS est supérieur à 0.7 [4].

Les deux ventricules ont une masse égale pendant la vie intra-utérine ; s’il est exposé dès la naissance à une postcharge élevée, le VD conserve une structure fœtale et s’hypertrophie parallèlement au VG [2]. Il résiste mieux à l'accroissement de postcharge que lorsque celle-ci survient secondairement pendant la vie adulte [6]. Cependant, la fonction ventriculaire droite est capitale dans l'évaluation de l’HTAP, car le pronostic de la maladie lui est étroitement lié, bien plus qu'à la valeur de la PAP. L'avenir du patient est sombre dès que le VD dysfonctionne et se dilate. En effet, l’HTAP est fonction de la capacité du VD à générer chroniquement des pressions pulmonaires élevées. Dès que le VD défaille, la PAP tend à redescendre, alors que la situation hémodynamique empire et que les RAS continuent à augmenter (voir Figure 15.67) [9].



Figure 15.67 : Couplage entre le VD et la circulation pulmonaire. Schématisation de la relation entre les résistances artérielles pulmonaires (RAP), le volume systolique du VD (VS VD), le volume télédiastolique du VD (VtdVD) et la pression artérielle pulmonaire (PAP). L’HTAP est fonction de la capacité du VD à générer chroniquement des pressions pulmonaires élevées. Dès que le VD défaille, la PAP tend à redescendre, alors que la situation hémodynamique empire et que les RAS continuent à augmenter. Dans le laps de temps A (en jaune), la PAP mesurée est plus basse que précédemment, non par amélioration de la situation mais pas péjoration de fonction du VD. La gravité clinique et le pronostic de la maladie tiennent donc davantage à la fonction ventriculaire droite qu’à la valeur de la PAP en elle-même [9].

L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) est caractérisée par plusieurs aspects typiques de l’image 2D et des flux Doppler (voir Chapitre 25, Hypertension pulmonaire) [8,18].
 
  • Dilatation de l’OD (> 17 cm2/m) et bombement du septum interauriculaire dans l’OG; c'est souvent le premier signe lors du déclenchement d’une décompensation droite aiguë. Dilatation de la VCI (> 2.1 cm) et absence de collapsibilité respiratoire.
  • Dilatation et/ou hypertrophie du VD ; diamètre du VD ≥ 4.0 cm, surface ≥ 22 cm2. L’épaisseur de la paroi libre est > 6 mm (mode TM, vue admission-chasse 60° ou admission TG 120°). Les critères d'HVD ne sont proportionnels à l'HTAP que pour autant que le VD éjecte exclusivement dans l'artère pulmonaire.
  • Aplatissement du septum interventriculaire; le VG en court axe présente une forme en "D" au lieu d'être circulaire (indice d'excentricité > 1.1). Le septum bombe dans la gauche en diastole en cas de surcharge de volume et en systole en cas de surcharge de pression. En cas d’insuffisance aiguë du VD, le bombement du septum interventriculaire dans le VG est permanent.
  • Dyskinésie septale (mouvement paradoxal); en cas de surcharge de volume, le septum basculé dans le VG en diastole reprend sa position convexe dans le VD en début de systole. En cas de surcharge de pression, la durée d’éjection du VD étant allongée à cause de la hausse de postcharge, la systole droite se prolonge pendant le début de la relaxation du VG et fait basculer le septum interventriculaire dans le VG en protodiastole [14].
  • Diminution de la part due à la contraction longitudinale dans l'éjection du volume systolique (60% au lieu de 75% normalement); la propotion ré-augmente sous traitement vasodilatateur pulmonaire [3].
  • Dilatation de l'AP (> 25 mm); le rapports de diamètres AP/aorte est > 1.
  • Vmax de l’insuffisance tricuspidienne > 2.8 m/s; toutefois, elle dépend de la fonction droite et de l’importance de la CIV.
  • Flux tricuspidien; diminution de E (E/A < 1), prolongation de la durée de décélération du flux E.
  • Redressement de la pente d’accélération du flux de l’AP; la durée d’accélération est < 100 ms en cas d’HTAP modérée et ≤ 70 ms en cas d’HTAP sévère (normal : > 120 ms, ou > 35% du temps éjectionnel) (Figure 27.139). Le rapport entre la durée d’accélération et celle du flux pulmonaire est < 0.25 lorsque la PAPm est > 40 mmHg; le flux spectral de l’AP ressemble à celui de l’aorte [13].
  • Dicrotisme mésosystolique (notching) du flux systolique à travers la CCVD et la valve pulmonaire (aspect en "M") dû à une chute brusque du flux en cours de systole à cause de l'onde réfléchie par les RAP élevées; cette onde revient d'autant plus tôt que l'impédance artérielle est plus élevée. Cette silhouette particulière est typique de l'hypertension artérielle pulmonaire précapillaire, mais est absente dans l'hypertension pulmonaire postcapillaire [1].
  • Apparition ou renforcement de la composante D-G d'un shunt; l'excès de pression dans l'OD et le VD par rapport à l'OG et au VG crée un gradient en faveur d'un passage D-G (shunt bidirectionnel).


Figure 27.139 : Modifications du flux d'éjection droite en cas d'hypertension pulmonaire (HTP). A: profil du flux en AP (courbe jaune) par rapport à la situation normale (traitillé bleu). La Vmax et l'accélération protosystolique sont plus élevées, le délai jusqu'au pic de vélocité (tA) représente < 25% de la durée d'éjection. B: la forte impédance de l'AP provoque une onde réfléchie inhabituelle qui occasionne une chute du flux en mésosystole (flèche verte); la courbe prend une silhouette en "M". C: positionnement du Doppler pulsé au milieu du courant de l'AP en vue court-axe de l'aorte ascendante à 0°; la zone rouge est une aire où le flux est accéléré et donne une Vmax exagérée.

 
 Indices d’hypertension pulmonaire
La PAPsyst est évaluée par la Vmax IT : PAPsyst  =  4 • (VmaxIT)2  +  POD

Le retentissement sur le VD de l'augmentation de postcharge se traduit par plusieurs modifications
      - Insuffisance tricuspidienne (> 2.5 m/s) (peut avoir une Vmax abaissée si dysfonction VD)
      - Dilatation OD et VD
      - HVD si hypertension pulmonaire chronique
      - Bombement du septum interauriculaire dans l’OG
      - Aplatissement / bombement du septum inerventriculaire dans le VG
              - Mouvement systolique paradoxal (dyskinésie septale)
              - Bombement diastolique si surchage de volume
              - Bombement systolique si surcharge de pression
      - Flux AP : durée d’accélération < 100 msec (≤ 25% durée d’éjection)


© CHASSOT PG, BETTEX D. Novembre 2011, Août 2019; dernière mise à jour, Mars 2020

     
Références
 
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  2. BRONICKI RA, BADEN HP. Pathophysiology of right ventricular failure in pulmonary hypertension. Pediatr Crit Care Med 2010; 11(Suppl):S15-S22
  3. BROWN SB, RAINA A, KATZ D, et al. Longitudinal shortening accounts for the majority of right ventricular contraction and improves after vasodilator therapy in normal subjects and in patients with pulmonary arterial hypertension. Chest 2011; 140:27-33
  4. CHASSOT PG, BETTEX DA. Anesthesia and adult congenital heart disease. J Cardiothorac Vasc Anesth 2006; 20:414-37
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