25.4.2 Equation de Bernoulli

L’équation de Bernoulli (Daniel Bernoulli, Groningue 1700 - Bâle 1782) permet la mesure du gradient instantané de pression (ΔP) à travers un orifice ou entre deux cavités. Comme on utilise la Vmax pour ce calcul, on mesure en fait le gradient maximal, qui a lieu pendant le pic de vélocité. Ce ΔPmax est toujours plus élevé que le gradient pic-à-pic mesuré par cathétérisme, car ce dernier ne correspond pas à des pressions simultanées (Figure 25.160). Le gradient moyen, qui est la moyenne de tous les gradients instantanés, est identique lorsqu’on le mesure par échocardiographie ou par cathétérisme.



Figure 25.160 : Les trois types de gradient dans le cas d’une sténose aortique. Le gradient maximal (ΔPmax) (1) mesuré à l’échocardiographie correspond à la vélocité maximale du flux (courbe de flux verte et flèche verte). Le gradient pic-à-pic (flèche bleue) (2) est une mesure de cathétérisme qui ne correspond pas à des valeurs simultanées et qui est toujours inférieur au ΔPmax ; la différence entre les deux est d’autant plus grande que la sténose est plus modeste. Le gradient moyen (ΔPmoy) (3) est la moyenne de tous les gradients instantanés.

L’équation de Bernoulli exprime que l'énergie totale d'une colonne de fluide reste constante; lorsque le liquide accélère à travers une zone rétrtécie, la pression qu'il exerce diminue. L'équation stipule que le gradient de pression (ΔP) est égal à la somme de l'accélération de convection, de l'accélération du flux et de la friction liée à la viscosité [8].

        ΔP  =  1/2 ρ (V22 –V12)  +  ρ ∫ (dv/dt) ds  +  R (μ , v)

        où:    ρ = densité critique du sang
                 V1 = vélocité proximale   
                 V2  = vélocité de la vena contracta
                 Dv/dt = accélération
                 s = distance sur laquelle le flux accélère
                 R: résistance visqueuse
                 μ = viscosité
                 v = vélocité du sang

On néglige les facteurs liés à l’accélération locale, qui n’est significative que pour les longues sténoses, et à la friction, qui n’a d’importance que pour des hématocrites > 60%. Comme la moitié de la densité du sang vaut 4, on ne conserve qu’une équation modifiée :

            ΔP  =  4 • (V22 – V12)

où V1 est la vélocité en amont de l’orifice et V2 la vélocité en aval. Si V1 est < 1.5 m/s et V2 ≥ 3.5 m/s, on peut négliger V1, et l’équation simplifiée devient :

            ΔP  =  4 • (Vmax)2

La mesure de la vélocité maximale d'un flux au Doppler continu permet donc de calculer aisément le gradient de pression entre sa chambre d'amont (Am) et sa chambre d'aval (Av). Si la pression dans l'une des deux chambres est connue, l'autre est facilement calculable.
 
  • Pression dans la chambre d'amont:     PAm =  4 V2 + PAv
  • Pression dans la chambre d'aval:         PAv  =  PAm - 4 V2
L’abandon de V1 est très pratique pour le calcul, mais peut conduire à surestimer gravement le gradient si la vélocité d’amont est significative (1.5 m/s correspond à un ΔP de 9 mmHg). Ceci est particulièrement important en position aortique ; ne pas tenir compte de la vélocité dans la chambre de chasse conduit à une surestimation du gradient à travers la valve aortique de 10 à 30 mmHg. Par contre, cela n’a pas d’importance dans une insuffisance mitrale ou tricuspidienne, car la vélocité proximale V1 est basse (< 1 m/s) et la vélocité distale V2 élevée (2-6 m/s). L'accélération du flux peut devenir significative lorsque la force requise pour ouvrir une valve est substancielle (lésions fibreuses, prothèse). L’équation de Bernoulli simplifiée est très précise sauf dans quelques circonstances.
 
  • Vmax d’amont (V1) > 1.5 m/s;
  • Présence de deux sténoses successives;
  • Longue sténose (> 4 cm);
  • Hématocrite élevé (Ht > 60%);
  • Bas débit cardiaque;
  • Très petits orifices (< 0.1 cm2).
L’axe de mesure Doppler doit toujours être le plus voisin possible de celui du flux mesuré. Le calcul du gradient permet de mesurer plusieurs pressions de manière non-invasive.

Pressions artérielles pulmonaires

Une insuffisance tricuspidienne (IT) est présente chez 75% de la population normale. La Vmax d’une IT permet de calculer la différence de pression qui règne entre le VD et l'OD en systole (Figure 25.161). En additionnant à cette valeur celle de la pression veineuse centrale (POD), on obtient la pression systolique du ventricule droit, qui est la même que la pression systolique pulmonaire s’il n’y pas de lésion sur la valve pulmonaire, ni d’obstruction dynamique de la CCVD, ni de communication interventriculaire (CIV):

            PAPsyst  =  4 • (Vmax IT)2  +  POD



Figure 25.161 : Calcul de la pression pulmonaire par échocardiographie Doppler. A : Le faisceau Doppler est placé en ligne avec le jet de l'IT ; la meilleure orientation est obtenue à 60° (vue chambre d’admission-chambre de chasse du VD) ou à 0° (vue 4 cavités profonde). B : au moyen de l'affichage spectral du flux de l’IT, on repère la valeur de la vélocité maximale (Vmax) du flux régurgitant, en l'occurence 360 cm/sec, soit 3.6 m/sec. L'équation simplifiée de Bernoulli spécifie que la différence de pression entre deux cavités est égale à 4 fois le carré de la vélocité maximale du flux entre ces deux cavités: ΔP = 4 (Vmax)2. Ce calcul donne 52 mmHg de gradient entre l'OD et le VD en systole. Comme la pression de l'OD est estimée à 10 mmHg, il faut l'additionner au gradient de pression pour trouver la pression systolique du VD. Celle-ci est identique à la PAP systolique en l'absence de lésion sur la valve pulmonaire, ce qui est normalement le cas chez l'adulte. La PAPs est donc de 62 mmHg dans ce cas, soit environ 65 mmHg compte tenu de la légère sous-estimation de la Vmax à cause de l'angle entre l'axe du jet de l'IT et celui du faisceau Doppler.

La Vmax est mesurée sur le tracé spectral qui présente la valeur la plus élevée et l’enveloppe la mieux définie. Comme la Vmax de l’IT diminue en inspirium spontané, on l’enregistre de préférence en pause télé-expiratoire ; chez un malade ventilé en pression positive, on l’évalue durant une apnée. On recherche le meilleur alignement avec le flux de l’IT en position mi-oesophage entre 0° et 60°, souvent en avançant la sonde un peu plus profondément. Si l’image spectrale est de mauvaise qualité, on peut l’améliorer en forçant le contraste par une injection de microbulles (solution de NaCl 0.9% agitée à la main) par la voie centrale.

La POD est mesurée par le cathéter central. En l’absence de PVC, on estime la POD par des repères utilisés pour jauger la volémie: collapsibilité de la VCI et de la VCS, ou oscillations du septum interauriculaire. Toutefois, les valeurs-seuils sont différentes selon le mode ventilatoire. En ventilation mécanique contrôlée (IPPV à volume courant de 10 mL/kg), une variation de diamètre > 20% de la VCI à l'ETO est un signe d'hypovolémie qui traduit une POD < 8 mmHg [3]. En respiration spontanée et échocardiographie transthoracique, par contre, un diamètre < 1.5 cm et un collapsus respiratoire de > 50% de la VCI sont nécessaires pour estimer la POD à < 8 mmHg. Un diamètre > 2 cm et une absence de variabilité correspondent à une POD > 12 mmHg [7]. La POD moyenne peut aussi être évaluée par la formule : PODm = 21.6 - (24 • FRS), où FRS est la fraction de remplissage systolique ; cette dernière est le rapport entre l’ITV du flux systolique et celle du flux total (ITVs / ITVs + ITVd) en veine sus-hépatique [9]. Ces techniques permettent d'introduire dans le calcul de la PAPsyst trois valeurs de POD: 5 mmHg en hypovolémie, 10 mmHg en normovolémie et 15 mmHg en cas de stase.

En présence d’une insuffisance pulmonaire (IP), on peut calculer la pression pulmonaire diastolique par le biais de la vélocité de cette insuffisance mesurée en télédiastole (Vmax td):  

      PAPdiast  =  4 (Vmax td IP)2  +  POD

La PAP moyenne a une bonne corrélation avec la même mesure effectuée avec la Vmax de l’IP:
      
      PAPm = 4 (Vmax IP)2 + POD.

Lorsque la pression diastolique du VD est élevée, la contraction auriculaire droite provoque une interruption partielle du flux de l’IP.

En cas de CIV, on calcule la pression systolique du VD à partir du gradient de pression entre le VG et le VD, en assimilant la pression systolique du VG à la pression artérielle systolique (PAsyst) s’il n’y a pas de lésion sur la valve aortique:  

      PAPsyst  =  PAsyst  -  4 • (Vmax CIV)2

Etant le rapport entre le gradient de pression et le débit transpulmonaire, la résistance artérielle pulmonaire (RAP) peut se calculer de manière non-invasive par le rapport entre la Vmax de l’IT (Vmax IT) et l’intégrale des vélocités mesurée dans la chambre de chasse du VD par voie transgastrique (ITVCCVD). En cas d’HTAP, ce rapport est > 0.2 [1]. L’équation peut s’écrire:

      RAP (unités Wood)  =  0.16 + 10 • Vmax IT / ITVCCVD

Une IT est présente chez 50-70% de la population adulte, et dans la quasi-totalité des patients souffrant d'hypertension pulmonaire, car la valve tricuspide ne peut pas être étanche lorsque la pression systolique du VD dépasse 50 mmHg. La mesure de la Vmax IT est réalisable chez 70-80% des malades [13]. La vélocité critique d'IT pour la définition de l'hypertension pulmonaire est située entre 2.5 et 3.0 m/s; la première valeur correspond à une PAPsyst de 35 mmHg et la deuxième à une PAPsyst de 46 mmHg. La précision de l'évaluation de la PAPsyst dépend de plusieurs facteurs.
 
  • Jet de régurgitation suffisant pour présenter une vena contracta permettant le positionnement du faisceau Doppler continu.
  • Mesure de la Vmax à l'origine du jet.
  • Alignement satisfaisant de l'axe du Doppler et de celui de l'IT; comme le feuillet septal est légèrement restrictif, le jet est en général dirigé vers le septum interauriculaire, ce qui favorise un bon alignement en ETO.
  • Mesures simultanées de la Vmax IT et de la POD; cette condition est évidemment impossible à respecter sans cathéter de PVC.
  • Evaluation de la POD par la collapsibilité de la VCI; ce facteur est certainement celui qui introduit le plus d'incertitude sur la mesure.
Dans le diagnostic cardiologique de l'hypertension pulmonaire, la corrélation moyenne entre la PAPsyst évaluée à l'écho transthoracique et celle mesurée pas un cathéter pulmonaire est modeste (r = 0.68-0.71); la sensibilité et la spécificité de la technique échocardiographique sont respectivement de 83% et de 72% [5,12]. La corrélation tend à s'abaisser encore lorsque l'hypertension pulmonaire est sévère [5]. L'amplitude de l'écart est plus importante en cas de sous-estimation de la PAPsyst (- 30 mmHg) qu'en cas de surestimation (+ 20 mmHg). De tels désaccords surviennent dans 25% des cas; chez la moitié des malades, la différence est de l'ordre de 10 mmHg [4]. La situation de l'ETO peropératoire semble plus favorable, puisque la corrélation s’élève jusqu’à 0.9 dans certaines séries [2]. Ce contexte bénéficie en effet de trois avantages: la présence d'une PVC pour une mesure exacte de la POD, la simultanéité des mesures de POD et de Vmax IT, et la faible incidence d'hypertension pulmonaire majeure (la plupart des patients a une PAPsyst < 50 mmHg).

Pressions ventriculaire et auriculaire gauches

La présence d’une insuffisance mitrale permet de calculer la pression systolique maximale dans le VG en cas de sténose aortique : PsystVG  =  4 • (Vmax IM)2 + POG. En cas d’insuffisance aortique, on peut estimer la pression télédiastolique du VG (PtdVG) par la différence entre la pression diastolique aortique (PAdiast) et le gradient de pression mesuré par la vélocité de l’insuffisance aortique en fin de diastole (IA td) :  PtdVG  =  PAdiast - 4 • (Vmax IAtd)2 [8].

La pression de l’OG est la différence entre la pression artérielle systolique et le gradient de pression de l’IM (en l’absence de lésion aortique) : POG  =  PAsyst  -  4 • (Vmax IM)2. En présence d'un FOP ou d'une CIA, la POG est mesurable en additionnant le gradient de pression du shunt interauriculaire à la POD: POG = 4 • (Vmax CIA)2 + POD. Lorsque la POG est élevée (> 18 mmHg), l’image 2D et les flux Doppler présentent une configuration typique [6,10,11].
 
  • OG dilatée, septum bombé dans l’OD en permanence;
  • Racccourcissement de la relaxation isovolumétrique < 70 ms (la valve mitrale s’ouvre plus tôt lorsque la POG est haute);
  • Vmax du flux mitral E augmentée (> 1.2 m/s);
  • Temps de décélération du flux E raccourci (< 140 ms);
  • Composante systolique du flux veineux pulmonaire diminuée, prédominance du flux diastolique (rapport ITVS/ITVD < 0.4);
  • Décélération du flux veineux pulmonaire diastolique raccourcie (< 150 ms);
  • Augmentation de la durée de la composante A rétrograde dans le flux veineux pulmonaire et diminution de celle du flux A mitral antérograde (différence Ar – Am > 30 ms);
  • Rapport E/E’ (flux E mitral / mouvement E’ de l’anneau) > 15 ;
  • Rapport E/Vp (flux E mitral / propagation du flux mitral) > 1.5.
L’échocardiographie ne permet que la mesure de différences de pression entre deux chambres cardiaques, et non celle de valeurs absolues dans une cavité. Les résultats obtenus doivent toujours être interprétés dans le contexte clinique du patient (voir Mesure non-invasive de la POG).

 
Equation de Bernoulli
Equation de Bernoulli modifiée:  ΔP = 4 • (V22 – V12)
Equation de Bernoulli simplifiée:  ΔP = 4 • (Vmax)2

Si V1 est < 1.5 m/s et V2 ≥ 3.5 m/s, on peut négliger V1 : ΔP = 4 • (Vmax)2. La prise en compte de V1 est impérative dans les calculs portant sur l’éjection aortique.

Calcul de la PAP syst par la Vmax de l’IT : PAPs = 4 • (Vmax IT)2 + POD
Corrélation avec la PAPsyst par cathétérisme: 0.7-0.9
Autres mesures utilisant le ΔP par l'équation de Bernoulli:
    - PAPdiast  =  4 (Vtd IP)2  +  POD
    - PAPm = 4 (Vmax IP)2 + POD
    - En présence de CIV: PAPsyst = PAsyst – 4 (Vmax CIV)2

Critères de POG élevée :
    - OG dilatée (si chronique), septum bombé dans l’OD
    - Flux mitral de type restrictif
    - Différence durée Ar – Am > 30 ms    
    - Rapport E / E’ > 15
    - Composante systolique du flux veineux pulmonaire diminuée
 


© CHASSOT PG, BETTEX D. Avril 2019; dernière mise à jour, Mars 2020


Références
 
  1. ABBAS AE, FORTUIN D, SCHILLER NB, et al. A simple method for noninvasive estimation of pulmonary vascular resistance. J Am Coll Cardiol 2003; 41:1021-7
  2. COWIE B, KLUGER R, REX S, MISSANT C. The utility of transoesophageal echocardiography for estimating right ventricular systolic pressure. Anaesthesia 2015; 70:258-63
  3. FEISSEL M, MICHARD F, FALLER JP, TEBOUL JL. The respiratory variation in inferior vena cava diameter as a guide to fluid therapy. Intensive Care Med 2004; 30:1834-7
  4. FISHER MR, FORFIA PR, CHAMERA E, et al. Accuracy of Doppler echocardiography in the hemodynamic assessment of pulmonary hypertension. Am J Respir Crit Care Med 2009; 179:615-21
  5. JANDA S, SHAHIDI N, GIN K, SWISTON J. Diagnostic accuracy of echocardiography for pulmonary hypertension: a systematic review and meta-analysis. Heart 2011; 97:612-22
  6. KHOURI SJ, MALY GT, SUH DD, WALSH TE. A practical approach to the echocardiographic evaluation of diastolic function. J Am Soc Echocardiogr 2004;17:290-7
  7. KIRCHER  BJ, HIMELMAN RB, SCHILLER NB.. Noninvasive estimation of right atrial pressure from the inspiratory collapse of the inferior vena cava. Am J Cardiol 1990; 66:493-8
  8. MAHMOOD F, MATYAL R. Quantitative echocardiography. In: MATHEW JP, SWAMINATHAN M, AYOUB CM. Clinical manual and review of transesophageal echocardiography, 2nd edition. New York: McGraw-Hill 2010, 63-86
  9. NAGUEH SF, KOPELEN HA, ZOGHBI WA. Relation of mean right atrial pressure to echocardiographic and Doppler parameters of right atrial and  right ventricular function. Circulation 1996; 93:1160-7
  10. NAGUEH SF, APPLETON CP, GILLEBERT TC, et al. Recommendations for the evaluation of left ventricular diastolic function by echocardiography. Eur J Echocardiogr 2009; 10:165-93
  11. NAGUEH SF, SMISETH OA, APPLETON CP, et al. Recommendations for the evaluation of left ventricular diastolic function by echocardiography: an update from the American Society of Echocardiography and the European Association for Cardiovascular imaging. J Am Soc Echocardiogr 2016; 29:277-314
  12. RICH JD, SHAH SJ, SWAMY RS, et al. Inaccuracy of Doppler echocardiographic estimates of pulmonary artery pressures in patients with pulmonary hypertension. Chest 2011; 139:988-93
  13. RUDSKI LG, LAI WW, AFILALO J, et al. Guidelines for the echocardiographic assessment of the right heart in adults: A report from the American Society of Echocardiography. J Am Soc Echocardiogr 2010; 23:685-713