16.3.2 Echocardiographie

Comme les symptômes sont peu spécifiques, la tamponnade est un diagnostic de présomption, jusqu'à ce qu'elle soit confirmée par une échocardiographie (voir ci-après Tableau 16.1). L’espace péricardique, normalement virtuel, devient visible aux deux temps du cycle cardiaque lorsque son volume est supérieur à 30-50 mL. 
 
Epanchement et thrombus 
 
Un épanchement liquidien circonférentiel enveloppant les quatre cavités est typique de la tamponnade dite "médicale" qui survient lors d’anasarque, de tumeur thoracique ou de maladie inflammatoire systémique. La dimension de l'épanchement fluide est un critère diagnostique majeur mais un signe relatif pour poser l’indication au drainage, car le status clinique dépend de la rapidité avec laquelle s’est installée l’accumulation liquidienne intrapéricardique [5,10].
 
  • Epanchement modéré : une épaisseur liquidienne de 1-2 cm correspond à 200-500 mL chez un adulte de taille normale ;
  • Epanchement majeur : une épaisseur ≥ 2 cm correspond à ≥ 700 mL ; cette dimension est en général considérée comme une indication au drainage, surtout si elle est accompagnée d’hypotension et de tachycardie (Vidéo). 

     
    Vidéo: Epanchement compressif en vue 4-cavités, situé essentiellement devant l'OD et le VD; l'OD, le VD et le VG sont comprimés; le volume des ventricules est restreint.
Lors d’accumulation liquidienne circonférentielle de > 500 mL, le coeur "danse" au sein du liquide péricardique à chaque systole, ce qui explique l’alternance électrique à l’ECG (Vidéos) [6]. Le liquide s’accumule dans la partie déclive du péricarde ; chez un malade couché, il apparaît en général dans la zone postérieure et inférieure.

 
Vidéo: Epanchement liquidien circonférentiel en vue 4-cavités; le coeur donne l'impression de danser dans le liquide; la compression porte surtout sur l'OG.

 
Vidéo: Epanchement liquidien inférieur en vue court-axe transgastrique, avec une compression majeure du VG; le coeur "danse" dans le liquide.
 
En postopératoire, d’autres images bi-dimensionnelles sont caractéristiques de la tamponnade dite "chirurgicale" constituée de sang, de caillots et de fibrine.
 
  • Hématome localisé comprimant une seule cavité cardiaque (Vidéos et Figure 16.15).

     
    Vidéo: Epanchement et caillots comprimant l'OD; l'oreillette est en fibrillation auriculaire; le contraste spontané dans l'OD signale un bas débit.

     
    Vidéo: Compression massive de l'OG par un gros thrombus postéro-latéral à l'oreillette; celle-ci est réduite à une mince lame.


Figure 16.15 : Images échocardiographiques transeosophagiennes de tamponnade postopératoire : caillot comprimant sélectivement une oreillette. A : vue 4-cavités; un thrombus comprime l'OG sur ses faces postérieure et latérale. B : vue à 120° (vue sagittale de l'OD) d'un thrombus comprimant la face antérieure de l'OD; la veine cave supérieure (VCS) se trouve à droite de l'image.
 
  • Présence de fibrine et/ou de caillots échodenses immobilsant les structures (Vidéos et Figure 16.16).

     
    Vidéo: Vue court-axe transgastrique d'un gros épanchement postéro-inférieur; des filaments de fibrine flottent dans le liquide.

     
    Vidéo: Vue court-axe transgastrique d'un hémopéricarde compressif avec thrombus à l'apex du VG.


Figure 16.16 : Images ETO de tamponnade postopératoire. A: épanchement et fibrine accumulés contre le VG (vue 4-cavités). B: caillot comprimant sélectivement la face latérale du VG (vue 4-cavités). C : épanchement cloisonné inférieur, invisible en vue 4-cavités (vue long-axe 120° trans-gastrique). D : épanchement pleural et péricardique comprimant la face latérale du VG. EP: épanchement péricardique. VM: valve mitrale.
 
  • Compression de la base du cœur, des veines caves ou de l’artère pulmonaire (Figure 16.17) .

Figure 16.17 : Images de tamponnade comprimant sélectivement l'artère pulmonaire après une opération de Bentall. A: Image en court-axe basal centrée sur l'aorte ascendante (Ao) et la chambre de chasse du VD (CCVD) montrant un caillot contre l'origine de l'AP (flèche). B: le tronc de l'AP est comprimé et sa lumière rétrécie. C: au flux couleur, il ne passe qu'un filet de sang à haute vélocité à travers l'AP. Ce patient présentait une POD élevée, mais une PAP et une PAPO basses. En vue 4-cavités, ce thrombus est invisible.
 
  • Flou de l’image (images brumeuses) ne permettant pas de distinguer nettement les parois (Figure 16.18) ; il est dû à l’accumulation de fibrine et de sang coagulé qui absorbent les ultrasons.

Figure 16.18 : Image floue des structures cardiaques (image brumeuse) caractéristique des tamponnades postopératoires, dans lesquelles le péricarde est rempli de sang partiellement coagulé et de fibrine qui absorbent les ultrasons. La compression auriculaire droite est pourtant bien présente (épanchement de 3.8 cm).
 
  • Absence de "danse" au sein d’un liquide fluide.
  • Contrairement à un épanchement liquidien circonférentiel, la tamponnade localisée n’est pas toujours visible en vue 4-cavités ou 2-cavités ; elle doit être systématiquement recherchée dans tous les plans de coupe rétrocardiaques, transgastriques et des gros vaisseaux.
Collapsus pariétal
 
A l’exception de la très brève phase de relaxation ventriculaire active en protodiastole, les cavités cardiaques sont toujours en surpression par rapport au péricarde : la pression transmurale (Ptm) est positive. Lorsque la pression intrapéricardique augmente par accumulation liquidienne, la Ptm diminue, alors même que le volume intravasculaire reste constant. Dès l’instant où la pression qu’exerce l’épanchement excède la pression intracavitaire, la paroi cardiaque collabe et s’invagine. Cette indentation constitue un signe spécifique et sensible de la tamponnade en cas d'épanchement liquidien homogène [12]. Il est habituellement bien marqué aux endroits et aux moments où la Ptm est la plus faible (Figure 16.19).
 

Figure 16.19 : Collapsus pariétal du à l'accumulation liquidienne péricardique. Image d'échocardiographie transoesophagienne en 4-cavités. A: invagination de la paroi libre du VD en protodiastole, lorsque sa pression de remplissage est la plus basse. B:  invagination de la paroi de l’OD pendant la télédiastole, lorsqu'elle achève de se vider dans le ventricule (descente "y" sur une courbe de pression auriculaire normale). EP: épanchement. L’agrandissement des ventricules en diastole (D, flèche jaune) refoule le liquide autour des oreillettes et les comprime ; à l’inverse, la systole ventriculaire (S, flèche verte) crée de l’espace et dégage les oreillettes.
 
  • La paroi antérieure de l'oreillette droite en télédiastole et en protosystole, lorsque la POD est la plus basse (Vidéo). Le collapsus de l'OD a une sensibilité de 70% et une spécificité de 80% pour la tamponnade ; il est spécifique lorsqu'il dure plus du tiers du cycle cardiaque [7].

     
    Vidéo: Invagination de l'OD lorsque la POD devient inférieure à la pression intrapéricardique.
     
  • La paroi libre du ventricule droit en protodiastole (Invag VD) (Vidéos). Le collapsus du VD est moins sensible (sensibilité 65%) que celui de l’OD mais plus spécifique (spécificité 95%) [9] ; il survient lorsque le débit cardiaque a déjà baissé de ≥ 20% [12].

     
    Vidéo: Invagination de la paroi libre du VD.

     
    Vidéo: Collapsus pariétal alterné de l'OD et du VD au cours du cycle cardiaque; cet aspect est dû au fait que la pression est la plus basse dans l'OD et dans le VD à des temps différents du cycle.
     
  • L’oreillette gauche est serrée par le péricarde postérieur et maintenue par les veines pulmonaires (sinus oblique) ; les épanchements peuvent y devenir rapidement compressifs ; le collapsus pariétal de l’OG survient dans 25% des cas ; il est très spécifique (> 90%) [10].
  • Le ventricule gauche, très charnu, résiste au collapsus et n'est en général touché qu'après chirurgie cardiaque lors de tamponnade localisée [14] ; le collapsus diastolique du VG a une sensibilité > 95% pour le diagnostic de tamponnade postopératoire [4].  
La valeur prédictive positive du collapsus pariétal reste modeste (40-65%), parce que ce dernier est fonction de deux éléments qui modifient son apparition [15].
 
  • La pression intracavitaire : le collapsus apparaît plus tôt lorsqu’elle est basse (hypovolémie), mais est retardé lorsqu’elle est élevée (insuffisance congestive) ;
  • L’épaisseur de paroi : l’hypertrophie ventriculaire protège du collapsus, qui devient un signe tardif ou est même absent en cas d’hypertrophie droite (hypertension pulmonaire) ou gauche (sténose aortique, hypertension artérielle). 
 
Flux Doppler
 
L’analyse des flux à l’échocardiographie Doppler est caractérisée par une diminution, voire une disparition, de la composante diastolique "D" du flux veineux cave et veineux pulmonaire (configuration "Sd"), et par une diminution de la composante A du flux mitral (non-distensibilité du VG bloqué par l’épanchement). La variation des flux en respiration spontanée est très amplifiée [1,11]. En inspirium, on observe :
 
  • Diminution de ≥ 25% du flux mitral (flux protodiastolique E) (normal < 10%) ; le flux A de la contraction auriculaire est peu modifié ;
  • Diminution de la vélocité du flux aortique de ≥ 20% (normal < 5%) ;
  • Augmentation de 30-50% du flux tricuspidien (flux E) (n < 20%) ;
  • Augmentation du flux artériel pulmonaire de 30-50% (normal < 10%) ;
  • Allongement du temps de relaxation isovolumétrique du VG > 150 ms ;
  • Agrandissement du VD et restriction du VG avec bascule du septum interventriculaire dans la cavité gauche.
L’expirium se caractérise par une inversion de ces phénomènes (voir Interactions cardio-respiratoires). 
En ventilation en pression positive (IPPV), les modifications inspiratoires sont différentes (voir Figure 16.11)  [1,11,13] :
 
  • Stabilisation des flux atrio-ventriculaires et diminution des variations respiratoires à 10 -15% ;
  • Augmentation discrète du flux mitral (< 15%) ;
  • Diminution des flux tricuspidien et artériel pulmonaire. 
En ventilation mécanique, on ne retrouve ni le pouls paradoxal ni la diminution inspiratoire des vélocités mitrales [2,13]. Les modifications typiques des flux peuvent toutefois se rencontrer en cas de ventilation assistée impliquant un effort inspiratoire important du patient, mais elles sont amorties [3]. D’autre part, la volémie interfère avec la silhouette des flux et peut biaiser leur interprétation. 
 
Autres données
 
La stase veineuse est mise en évidence par l’aspect congestif de la veine cave inférieure, bien visible par voie sous-xyphoïdienne (ETT) ou transgastrique (ETO). Lorsque la POD est ≥ 15 mmHg, le diamètre de la VCI est > 2.1 cm et ses variations respiratoires sont très atténuées : < 40% en respiration spontanée, < 15% en IPPV [13].
 
L’échocardiographie tridimensionnelle (3D) apporte un supplément de précision dans la localisation des épanchements, des thrombus et des masses péricardiques, et facilite le choix du meilleur emplacement pour procéder à une péricardiocentèse [16]. Les principaux critères échocardiographiques de la tamponnade sont présentés dans le Tableau 16.1 [8].
 
 
    
 
 
Signes échocardiographiques de tamponnade
Epanchement > 2 cm (> 700 mL)
Danse du coeur dans le liquide
Collapsus pariétal de l’OD (durée ≥ 1/3 du cycle cardiaque)
Collapsus pariétal du VD (moins sensible mais plus spécifique)
Variations respiratoires du flux mitral > 25% (pouls paradoxal)
    - Valide en respiration spontanée seulement
    - En IPPV, les variations du flux mitral sont < 15%
Compression localisée par un caillot ou du sang cloisonné 
    - Thrombus / fibrine, images floutées
    - Absence de danse du coeur et de collapsus pariétal
    - Absence de variation du flux mitral
    - Localisation très variable, parfois mal visible, à rechercher dans tous les plans et au niveau de toutes les cavités, y compris les gros vaisseaux
Dans la tamponnade postopératoire chez un malade ventilé, les signes classiques peuvent être absents


© CHASSOT PG, Décembre 2007, Dernière mise à jour, Septembre 2017
 

Références
 
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