11.6.10 IM secondaire sur défaillance du VG

Comme dans l'ischémie, la présence d'une IM restrictive (Type IIIb symétrique) en cas de dilatation du VG est la traduction d'une maladie ventriculaire et non valvulaire (Figure 11.85) (Vidéo).


Vidéo: Insuffisance mitrale sévère sur dilatation et défaillance du VG (IM type IIIb); les feuillets mitraux restent presque immobiles au cours du cycle cardiaque; le point de coaptation mitral est très en-dessous du plan de l'anneau mitral. Comparé au VD, le VG est très arrondi et dilaté. Présence d'un cathéter dans l'OD.
 
  • Traction sur les cordages prévenant l'occlusion mitrale en systole à cause de la dilatation et de la sphéricité du VG (déplacement des piliers vers l'extérieur);
  • Désynchronisation de la contraction papillaire;
  • Dilatation annulaire;
  • Force de contraction insuffisante pour occlure la mitrale (force d'occlusion trop faible par rapport à la force de traction);
  • Fibrose et perte de compliance du VG. 
 

Figure 11.85 : IM restrictive (Type IIIb) sur dilatation du VG. En systole, les feuillets sont retenus à l’intérieur du VG par la dilatation de ce dernier. Le degré de restriction est défini par la distance du point de coaptation au plan de l’anneau mitral (tenting distance), la surface triangulaire comprise entre les feuillets et le plan de l’anneau (tenting area), et l’angle de fermeture du feuillet antérieur mesuré entre le plan de l’anneau et l’extrémité du feuillet [19]. Le rapport des diamètres du VG en long axe et en court axe définit le degré de sphéricisation de celui-ci (rapport normal long-axe / court-axe : > 1.5).

La dilatation du VG peut affecter la valve mitrale de deux manière différentes [13,15].
 
  • IM proportionnée: il existe une relation linéaire entre la surface de l'orifice de régurgitation et la dilatation du VG (écartement des muscles papillaires, dilatation et aplatissement de l'anneau mitral). L'IM diminue en réponse au traitement pharmacologique de la dilatation ventriculaire ou à la mise en place d'une assistance ventriculaire. Par contre, la plastie d'accompagnement ne donne pas des résultats favorables [14].
  • IM disproportionnée: l'IM est plus importante que ne le laisse prévoir le degré de dilatation du VG, parce que le remodelage est localisé ou la contraction des muscles papillaires désynchronisée (délais de conduction). Lorsque le QRS est élargi, l'IM tend à s'aggraver avec le traitement médical de la dilatation gauche. La resynchronisation et la plastie par MitraClip™ sont ici efficaces [21].
L'IM survient dans 40-60% des cas d'insuffisance ventriculaire gauche, et signe une aggravation du pronostic [11]. Tant qu'elle n'est pas sévère, le traitement de cette IM est premièrement celui de l'insuffisance gauche (voir Chapitre 12 Traitement insuffisance ventriculaire gauche chronique).
 
  • Inhibiteur de l'enzyme de conversion (IEC) ou antagoniste du récepteur de l'angiotensine II (ARA), association sacubitril-valsartan;
  • Béta-bloqueur;
  • Anti-aldostérone (spironolactone, épléronone);
  • Resynchronisation par pace-maker triple chambre: réduire la désynchronisation dans la contraction des  muscles papillaires diminue l'IM jusqu'à 50% [7].
La correction de l'IM dans la cardiomyopathie dilatative n'est indiquée que si le patient reste symptomatique et que l'IM progresse malgré un traitement maximal. Elle n'a de sens que s'il existe une certaine probabilité de renverser le remodelage ventriculaire. Si le remodelage ou l'hypertension pulmonaire sont irréversibles, supprimer l'IM ne modifie pas le pronostic, bien que cela réduise la surcharge de volume du VG [3,11]. Les résultats sont donc d'autant meilleurs que les patients sont moins avancés dans l'évolution de la maladie. Les résultats cliniques d'études récentes permettent de résumer la situation [3].
 
  • Dans les centres qui en ont une large expérience, la plastie mitrale par un anneau restrictif présente une mortalité opératoire de 1.6-5%; la capacité fonctionnelle et la qualité de vie des patients sont améliorées, mais le taux de survie n'est pas modifié: 70% à 2 ans, 55% à 5 ans [10,18].
  • Le taux de récidive de 20-30% est élevé parce que l'évolution de la maladie primaire n'est pas interrompue par l'opération; certains éléments échocardiographiques sont des prédicteurs de la récidive [8]. 
    • Angle de fermeture du feuillet antérieur avec le plan de l’anneau mitral > 25°;
    • Angle de fermeture du feuillet postérieur avec le plan de l’anneau mitral > 45°;
    • Distance entre le point de coaptation et le plan de l'anneau mitral > 1.1 mm;
    • Surface de tente entre les feuillets et le plan de l’anneau mitral > 2.5 cm2;
    • EF < 0.25;
    • Vtd du VG > 250 mL, Dts du VG > 4.0 à 4.5 cm (variation entre les recommandations européennes et américaines). 
  • Le risque opératoire du RVM (6-10%) est plus élevé que celui de la plastie, mais le taux d'échec est beaucoup plus bas; le RVM doit respecter l'appareil sous-valvulaire, car la perte du squelette interne du VG dans le cadre d'une défaillance ventriculaire conduit à une dilatation massive.
  • Lorsque le VG est dilaté sur une insuffisance aortique (diamètre télédiastolique 6.9 cm), la correction simultanée d'une IM modérée par une plastie ne modifie pas la survie et n'offre aucun bénéfice par rapport au RVA simple, parce que l'IM régresse dans 88% des cas par la simple correction de l'IA [9].
  • La plastie mitrale associée à une contention ventriculaire ou à une résection et plastie de la zone dyskinétique, un temps à la mode, ne présente pas d’avantage en terme de morbi-mortalité, malgré la réduction des dimensions ventriculaires, la diminution de l’IM et l’augmentation de la FE à court terme; de plus, elle péjore la fonction diastolique [1,22]. La réduction ventriculaire pratiquée simultanément au traitement chirurgical de l’ischémie coronarienne (PAC, pontages aorto-coronariens) ou de la valvulopathie (plastie mitrale) ne réduit ni la mortalité ni la morbidité chez les malades en insuffisance gauche: la mortalité opératoire est de 4-6% et la survie à 5 ans de 60% dans les deux groupes de malades (PAC seuls ou PAC + réduction VG + plastie mitrale) [6].
  • La tendance actuelle dans les cas de défaillance gauche réfractaire et décompensée va vers l'assistance ventriculaire; le problème de l'IM s'en trouve résolu.
Une plastie percutanée par clippage de l'extrémité de chaque feuillet (plastie par MitraClip™) permet de réduire l'IM de manière non-invasive (voir Endoprothèses valvulaires). La comparaison avec la plastie chirurgicale montre que le taux d'échec technique est plus élevé avec le MitraClip™ (3.2% vs 0.6%, 25-33% d'IM résiduelle), mais que la mortalité opératoire (3.3% vs 16.2%), le taux d'AVC (1.1% vs 4.5%) et le risque hémorragique (4.2% vs 59%) sont très inférieurs dans les catégories à haut risque [4,16,20]. Les recommandations actuelles considèrent le MitraClip™ comme adéquat chez les patients symptomatiques souffrant d’IM sévère primaire ou secondaire malgré un traitement médical optimal, qui sont considérés à trop haut risque pour la chirurgie (mortalité > 8% pour un RVM et > 6% pour une PVM), et qui ont une espérance de vie d’au moins 1 an [2,12]. Ce sont essentiellement les patients souffrant d'une IM disproportionnée par rapport au degré de dilatation de leur ventricule qui bénéficient du clippage [17].
 
L'IM fonctionnelle de la cardiomyopathie dilatative varie considérablement selon les conditions hémodynamiques. L'IPPV fonctionne comme une prothèse pour le VG, et la vasodilatation systémique améliore son éjection. Sous AG, la régurgitation tend donc à diminuer. Lorsque son évaluation a une implication thérapeutique immédiate (mise en place non prévue d'une anneau de contention, par exemple), il est de la plus haute importance de respecter deux conditions pour mesurer l'IM.
 
  • Quantification par des techniques peu dépendantes de l'hémodynamique, comme le diamètre de la vena contracta, le PISA, le calcul du volume de régurgitation ou la planimètrie tridimensionnelle [5];
  • Rétablissement des conditions de base: RAS normales (bolus de phényléphrine pour PAM ≥ 80 mmHg), DC satisfaisant (perfusion de dobutamine), précharge acceptable (PAPO ≥ 12 mmHg), apnée du ventilateur, pas de PEEP/CPAP.

Principe pour l'anesthésie
 
L’éjection du VG défaillant et l’IM sont tous deux diminués par la vasodilatation systémique et la stimulation inotrope positive. Les patients sont en général sous un traitement maximal.
 
  • Frein au remodelage: IEC, bétabloqueurs;
  • Diminution du Vtd du VG par des vasodilatateurs : IEC, nitroprussiate, nitroglycérine;
  • Stimulation inotrope: dobutamine, milrinone, adrénaline, levosimendan;
  • Resynchronisation par pace-maker;
  • En situation aiguë: contre-pulsion intra-aortique; la CPIA est particulièrement efficace pour diminuer l’IM.
Le traitement préopératoire est maintenu jusqu’à l’intervention et continué en peropératoire (catécholamines, CPIA). Autant que possible, il faut maintenir en fonction le pace-maker de resynchronisation, car l’IM s’aggrave immédiatement dès son interruption (utiliser une coagulation bipolaire) [7]. Le choix des inotropes se porte de préférence sur agents inodilatateurs (dobutamine, milrinone, levosimendan) et stimulant les récepteurs myocardiques β1, β2 et α (adrénaline), à cause des modifications dans la population des récepteurs typique de l’insuffisance ventriculaire (baisse des β1, augmentation des α).
 
  • Précharge: l’hypervolémie est la règle à cause de la défaillance gauche et de la stase pulmonaire ; il faut donc restreindre les perfusions et les apports hydro-salins puisque les malades souffrent de rétention d’eau et de sel, et éventuellement ajouter la nitroglycérine.
  • Postcharge:  elle doit rester basse ; RAS diminuée par nitroprussiate, nitroglycérine, isoflurane.
  • Contractilité: elle doit être épaulée par des agents inotropes positifs souvent à doses importantes (dobutamine, milrinone + adrénaline, lévosimendan); la CPIA est très efficace pour diminuer l’IM.
  • Fréquence: maintenir 70-80 batt/min car le débit est très dépendant de la fréquence vu la fixité du volume systolique.
  • Pression artérielle pulmonaire : abaisser les RAP par hyperventilation si HTAP.
  • Ventilation en pression positive : bénéfique pour la fonction du VG et pour la réduction de l’IM, difficulté de sevrage. 
 
Technique d’anesthésie
 
  • Induction avec étomidate.
  • Maintien avec isoflurane et fentanyl; autre possibilité: perfusion de midazolam.
  • Restriction dans l’apport hydro-salin; en cas d’hypotension, préférence à des agents vaso-constricteurs et inotropes positifs.
  • IPPV selon les besoins, pas d’extubation trop précoce après CEC.
  • Monitorage particulier : 
    • ETO (variations de l’IM, taille et fonction du VG);
    • Cathéter artériel pulmonaire (PAP, PAPO, volume systolique antérograde, SvO2); 
    • ScO2 (perfusion périphérique).
  • Pour davantage de détails, voir Chapitre 12, Anesthésie en cas d'insuffisance ventriculaire.
 
 
Insuffisance mitrale sur défailllance du VG
Dans la cardiomyopathie dilatative, l’IM est restrictive de type IIIb symétrique sur dilatation du VG (40-60% des insuffisances gauches). La correction d’une IM est envisageable si :
    - IM sévère symptomatique dans des conditions hémodynamiques normales
    - Persistance des symptômes et progression de l’IM malgré un traitement maximal
    - Remodelage et HTAP potentiellement réversibles
    - Annuloplastie restrictive dans un centre où la mortalité dans l’insuffisance gauche est ≤ 5%
Le taux de récidive est élevé (30% à 1 an) et la survie à long terme n'est pas modifiée par la correction de l'IM.
 
Hémodynamique recherchée en cas d'IM fonctionnelle
 
Abaisser la précharge (hypervolémie de stase)
RAS basses
Contractilité augmentée
Fréquence 70-80 batt/min
IPPV bénéfique
CPIA efficace pour diminuer l’IM


© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Novembre 2019
 
 
Références
 
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  4. FELDMAN T, CILINGIROGLU M. Percutaneous leaflet repair and annuloplasty for mitral regurgitation. J Am Coll Cardiol 2011; 57:529-37
  5. GREWAL J, MANKAD S, FREEMAN WK. Real-time three-dimensional transesophageal echocardiography in the intraoperative assessment of mitral valve disease. J Am Soc Echocardiogr 2009; 22:34-41
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