6.7.6 Monitorage de la fonction ventriculaire droite

En chirurgie cardiaque, l'examen du VD est possible dans le champ opératoire puisqu'il est antérieur par rapport au VG: on le voit à l'ouverture du péricarde par la sternotomie. Bien que non quantifiable de cette manière, l’apparition d’une dysfonction et/ou d’une dilatation est parfaitement visible. Un point de repère pratique est le niveau de la face antérieure (paroi libre) du VD par rapport à la jonction entre l’ouverture du péricarde et le diaphragme : tant que le VD est en-dessous de cette limite, il est de taille normale. Une dilatation aiguë empêche de fermer le péricarde.
 
La surveillance électrocardigraphique du VD demande de placer l'électrode précordiale en position V4R, soit parasternale dans le 4ème espace intercostal. Le cathéter de Swan-Ganz est nécessaire pour la mesure de la pression et des résistances artérielles pulmonaires ; la PVC renseigne sur la Ptd du VD. La dysfonction du VD se caractérise par une augmentation de la PVC et une baisse de la PAP.

Une information majeure sur la fonction du VD peut être obtenue par l’enregistrement de la pression intraventriculaire droite (PVD); cette mesure est possible via le port ventriculaire d’un cathéter pulmonaire Paceport™, normalement conçu pour passer une sonde de pacemaker temporaire (19 cm de l'extrémité du cathéter). La superposition des courbes de PVD et de PAP montre que la pression diastolique du VD est normalement horizontale et inférieure à la PAPd, avec une légère pente ascendante de ≤ 4 mmHg. Elle devient franchement oblique ascendante lors d'insuffisance du VD, et prend une allure en racine carrée lors de défaillance sévère, au point que sa valeur télédiastolique (PtdVD) devient identique à celle de la PAPd (Figure 6.72A) [2,6]. La mesure exacte de la PtdVD doit se faire manuellement à l'écran au moyen du curseur, car elle n'est pas enregistrée par le moniteur. Même si la détérioration fonctionnelle du VD entraine une baisse de sa pression systolique maximale, la forme de la courbe diastolique et l'élévation de la PtdVD restent évidentes. L'observation de cette courbe est un indice précieux pour ajuster la précharge du VD (volémie) et l'administration d'agent inotrope. Lorsque le VD est distendu et rigide (insuffisance diastolique restrictive), sa pression télédiastolique peut même être supérieure à celle de la PAPd et donner lieu à un flux antérograde en télédiastole (voir Figure 25.220).



Figure 6.72 A: Superposition de la courbe de pression intraventriculaire droite (PVD, en rouge) et de celle de l’artère pulmonaire (PAP, en jaune). A: situation normale; la pression diastolique dans le VD est basse et constante pendant toute la durée de la diastole; en télédiastole, la PVD et la PAPd sont nettement différentes (flèches). B: insuffisance ventriculaire droite; la courbe de pression diastolique est oblique ascendante; en télédiastole, la PVD et la PAPd se rejoignent (flèche). C: défaillance sévère du VD: la courbe prend une allure en racine carrée. Ce phénomène est un bon indice de décompensation droite. D’autre part, la pente ascensionnelle de la pression intraventriculaire, ou dP/dt, est plus faible que dans la situation normale [d’après références 2 et 6].


L’accélération de la pente ascendante de la pression systolique intraventriculaire (dP/dt) diminue lors de décompensation droite. D’autre part, le gradient normal à travers la chambre de chasse du VD (?P CCVD = PAPsyst - PVDsyst) est < 6 mmHg; une élévation de ce gradient > 25 mmHg indique la présence d’une obstruction dynamique de la CCVD ("effet CMO" droit); après CEC, ceci survient dans 4% des cas d’instabilité hémodynamique sous catécholamine [6]. La compression de la CCVD par l'écarteur mammaire ou par le redressement du cœur dans l'OPCAB entraîne le même phénomène.
 
L’ETO permet d’affiner la surveillance droite (Vidéo). La dysfonction du VD présente certaines caractéristiques [2,4].


Vidéo: vue mi-oesophagienne 4-cavités centrée sur le VD; dans ce cas, la fonction de celui-ci est normale, la paroi libre se contracte bien.
 
  • Dilatation de l’OD et bombement du septum interauriculaire dans l’OG ; ce signe est souvent le premier à attirer l’attention (Vidéo).


    Vidéo: défaillance aiguë du VD après une transplantation cardiaque; l'OD est dilatée et le septum interauriculaire bombé en permanence dans l'OG; le VD est dilaté et dysfonctionnel.
     
  • Dilatation du VD (Figure 6.72B) (Vidéos).


    Vidéo: dilatation et défaillance du VD lors d'une embolie pulmonaire massive (hypertension artérielle pulmonaire aiguë) en vue mi-oesophagienne 4-cavités; le VD et l'OD sont dilatés, les septa interventriculaire et interauriculaire sont repoussés vers la gauche, le VD est hypocontractile. Les cavités gauches sont comprimées et de taille très réduite.


    Vidéo: dilatation massive et défaillance du VD en vue court-axe transgastrique; la cavité droite (à gauche de l'écran) est beaucoup plus grande que la cavité gauche (à droite de l'écran); le septum interventriculaire est rectiligne au lieu d'être bombé dans le VD (image du VG en "D" au lieu d'être en "O").
 

Figure 6.72 B: Images ETO d'une insuffisance ventriculaire droite. L’OD et le VD sont dilatés, alors que l’OG et le VG sont comprimés ; les septa interauriculaire et interventriculaire bombent en diastole dans les cavités gauches qui sont comprimées.
 
  • Empiètement du septum interventriculaire dans la cavité du VG en diastole (surcharge de volume) ou en systole (surcharge de pression) ; mouvement paradoxal du septum interventriculaire (Vidéo et Figure 6.73).

Vidéo: dyskinésie septale en cas de surcharge de pression. La durée d’éjection du VD étant allongée à cause de la hausse de postcharge, la systole droite se prolonge pendant le début de la relaxation du VG et fait basculer le septum interventriculaire dans le VG en protodiastole; en protosystole, le septum est rectiligne.
 

Figure 6.73 : Vues en court-axe des ventricules (échocardiographie transoesophagienne, vues transgastriques à 0°). A : Images normales; le VD (en beige) est enroulé en croissant autour du VG (en rouge); sa surface est plus petite que celle du VG. B : Surcharge de volume. Le septum interventriculaire bombe dans le VG en diastole (effet Bernheim), mais non en systole car la pression et la force de contraction du VG restent supérieures à celles du VD dilaté. C : Surcharge de pression. Le septum interventriculaire bombe dans le VG aux deux temps car la pression du VD hypertrophié est capable de repousser le VG. PAL : pilier antéro-latéral. PPM : pilier postéro-médian [Extrait de: Bettex D, Chassot PG. Echocardiographie transoesophagienne en anesthésie-réanimation. Paris: Masson, Williams & Wilkins, 1997, Figures 7.22 et 7.23. Réf 1].
 
  • Hypokinésie ou akinésie de la paroi libre du VD, alors que la chambre de chasse conserve une certaine contractilité (Vidéo).


    Vidéo: vue mi-oesophagienne admission-chasse du VD (60°) dans un cas d'insuffisance droite; le VD apparaît normalement enroulé autour de la valve aortique (au centre de l'écran), mais sa paroi libre est pratiquement atone, alors que sa chambre de chasse (à droite de l'écran) a encore une activité contractile.
     
  • Apparition ou augmentation de l’insuffisance tricuspidienne (IT) ; sa Vmax est > 2.5 m/s ; en cas de dysfonction massive du VD, la Vmax de l’IT est basse. Tant que la fonction du VD est adaptée, la Vmax de l'IT permet de claculer la PAPsyst (Figure 6.74) (Vidéo) [5].


    Vidéo: insuffisance tricuspidienne majeure dans un cas d'insuffisance droite (vue admission-chasse du VD 60°).
 

Figure 6.74 : Calcul de la pression pulmonaire par échocardiographie Doppler en présence d’une insuffisance tricuspidienne. A : Le faisceau Doppler est placé en ligne avec le jet de l'IT ; la meilleure orientation est obtenue à 60° (vue chambre d’admission-chambre de chasse du VD) ou à 0° (vue 4 cavités profonde). B : au moyen de l'affichage spectral du flux de l’IT, on repère la valeur de la vélocité maximale (Vmax) du flux régurgitant, en l'occurence 360 cm/sec, soit 3.6 m/sec. L'équation simplifiée de Bernoulli spécifie que la différence de pression entre deux cavités est égale à 4 fois le carré de la vélocité maximale du flux entre ces deux cavités: ΔP = 4 (Vmax)2. Ce calcul donne 52 mmHg de gradient entre l'OD et le VD en systole. Comme la pression de l'OD est estimée à 10 mmHg, il faut l'additionner au gradient de pression pour trouver la pression systolique du VD. Celle-ci est identique à la PAP systolique en l'absence de lésion sur la valve pulmonaire, ce qui est normalement le cas chez l'adulte. La PAPs est donc de 62 mmHg dans ce cas, soit environ 65 mmHg compte tenu de la légère sous-estimation de la Vmax à cause de l'angle entre l'axe du jet de l'IT et celui du faisceau Doppler.
 
  • Les indices fonctionnels sont abaissés à l’ETO (Figure 6.75) : fraction de raccourcissement de surface < 0.35, TAPSE < 0.30, Vmax de l’anneau tricuspidien < 5 cm/s [7,8].
 

Figure 6.75 : Mesures fonctionnelles du VD. A : fraction de raccourcissement du plus large diamètre en court-axe (vue 4-cavités). B : mesure de l'excursion systolique de l'anneau tricuspidien ou TAPSE (tricuspid annular plane systolic excursion); on mesure le pourcentage de raccourcissement de la distance entre la partie antérieure de l'anneau et l'apex du VD par rapport à la longueur en diastole; la valeur normale est 35%. C : vélocité systolique de l’anneau tricuspidien au Doppler tissulaire : en vue TG profonde à 140°, il est possible d’avoir un bon alignement avec l’anneau tricuspidien pour mesurer sa vélocité de déplacement systolique (flèche rouge) [3,4]. D : accélération de la contraction isovolumétrique (trait bleu) mesurée à l’anneau tricuspidien en vue TG profonde à 140° [8]. Vtr: valve tricuspide. VP: valve pulmonaire. dV : différence de vélocité, dt : durée de la phase d’accélération. V (cm/s) : échelle des vélocités de l’anneau tricuspidien. S : éjection systolique. E : relaxation protodiastolique. A : contraction auriculaire.
 
 
Evaluation de la fonction ventriculaire droite
Fonction et volume du VD visibles par la sternotomie.
Signes échocardiographiques de dysfonction droite :
    - Dilatation OD – VD, bombement du septum interauriculaire dans l’OG et du septum interventriculaire dans le VG 
    - Hypokinésie/akinésie de la paroi libre 
    - Insuffisance tricuspidienne 
    - Indices fonctionnels abaissés


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2019
 

Références
 
  1. BETTEX D, CHASSOT PG. Echocardiographie transoesophagienne en anesthésie-réanimation. Masson, Williams & Wilkins, Paris 1997, 454 p.
  2. DENAULT AY, HADDAD F, JACOBSOHN E, et al. Perioperative right ventricular dysfunction. Curr Opin Anaesthesiol 2013; 26:71-81
  3. HADDAD F, COUTURE P, TOUSIGNANT C, DENAULT AY. The right ventricle in cardiac surgery, a perioperative perspective: I. Anatomy, physiology and assessment. Anesth Analg 2009; 108:407-21
  4. HADDAD F, HUNT SA, ROSENTHAL DN, et al. Right ventricular function in cardiovascular disease, Part I. Circulation 2008; 117:1436-48
  5. JANDA S, SHAHIIDI N, GIN K, et al. Diagnostic accuracy of echocardiography for pulmonary hypertension: a systematic review and meta-analysis. Heart 2011; 97:612-22
  6. RAYMOND M, GRØNLYKKE L, COUTURE EJ, et al. Perioperative right ventricular pressure monitoring in cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2019; 33:1090-104
  7. VANDENHEUVEL MA, BOUCHEZ S, WOUTERS P, DE HERT SG. A pathophysiological approach towards right ventricular function and failure. Eur J Anaesthesiol 2013; 30:386-94
  8. VOGEL M, SCHMIDT R, KRISTIANSEN S,  et al. Validation of myocardial acceleration during isovolumic contraction as a novel non-invasive index of right ventricular contgractility. Circulation 2002; 105:1693-9