14.4.4 Monitorage neurologique

La surveillance peropératoire du fonctionnement cérébral est très importante chez l’enfant, car le taux de complications neurologiques y est élevé : 6-25% [6], dont 2.3% de complications aiguës [17]. Alors qu’elles sont préférentiellement de nature embolique chez l’adulte, les séquelles neurologiques sont en grande partie de nature ischémique chez l’enfant, notamment à cause de la fréquence des épisodes de bas débit ou d’arrêt circulatoire en hypothermie profonde [1]. 
 
Malheureusement, aucune donnée clinique ne permet d'établir la supériorité d'une technique de monitorage par rapport aux autres, ni de prouver son impact sur le devenir neurologique des enfants [11]. Aucune ne peut être envisagée comme indispensable. Selon la classification habituelle des recommandations, tous les dispositifs de surveillance neurologique sont de classe IIB (la procédure peut être envisagée) ou III (la procédure est sans intérêt); le degré d'évidence est de catégorie B (études observationelles) ou C (registres, consensus d'experts) [11]. Deux seules mesures semblent offrir un bénéfice en terme de séquelles neurologiques (classe IIA: la procédure est raisonnable).
 
  • Eviter une hémodilution trop profonde et maintenir l'Ht > 24% [28];
  • Eviter l'hypoglycémie; un contrôle strict de la glycémie n'est pas indiqué [4]. 
Pour une description plus détaillée des techniques de neuromonitorage, voir Chapitre 7 (Fonction cérébrale), Chapitre 18 (Chirurgie de la crosse aortique, Monitorage) et Chapitre 19 (Surveillance neurologique).
 
Techniques électroencéphalographiques

L’EEG n’est guère utilisable en salle d’opération au cours d’intervention chez l’enfant à cause de son encombrement et des difficultés de lecture. Il peut être remplacé par un moniteur de fonction cérébrale type CSA (Compressed Spectral Array), qui affiche une analyse spectrale des ondes (transformation de Fourrier) et ne nécessite que quatre électrodes placées sur les apophyses mastoïdes et au milieu du rebord orbitaire frontal. L’EEG peut être utile pour déterminer le niveau de refroidissement cérébral avant un arrêt circulatoire, l’interruption de la perfusion devant survenir 5-10 minutes après l’obtention du silence électrique [12]. Chez les nouveau-nés, il met en évidence des crises épileptiques électriques dans 30% des cas, mais sans lien avec le devenir neurologique; par contre, un retard de 36-48 heures dans la récupération d'une activité électrique normale est associé aux séquelles neurologiques et à la mortalité [8].
 
Une technologie simplifiée comme l’index bispectral (BIS™) peut confirmer le silence électrique avant un arrêt circulatoire et pourrait offrir un mode de surveillance des fonctions cérébrales pendant des états instables, car il baisse en cas de bas débit ou d’hypotension sévère [9], mais il diminue déjà de 1-2 unités par degré C° en hypothermie [16]. Comme il analyse l’EEG en fonction des modifications liées au sommeil et non en fonction de celles liées à l’ischémie, le BIS est inadapté à la surveillance neurologique peropératoire et n’offre pas de garantie sur le degré de protection cérébrale [1,5].
 
Doppler transcrânien (DTC)
 
Il est possible d’enregistrer la vélocité du flux sanguin artériel vers le cerveau par mesure Doppler dans la fossette temporale ou dans la fontanelle antérieure. Les embols (HITS : high-intensity transient signals) et les variations du flux sont aisément détectés, mais la vélocité du flux ne reflète effectivement le débit sanguin total que si le diamètre du vaisseau ne se modifie pas, si la viscosité reste identique (ce qui n’est pas le cas avec l’hémodilution) et si le capteur reste absolument stable (ce qui est aléatoire chez un enfant). Le DTC démontre que le flux sanguin cérébral augmente en pH-stat [26], que l’autorégulation est maintenue en normothermie, mais perdue en hypothermie profonde [10], et que le débit minimal de CEC pour maintenir un flux sanguin cérébral est de 20-30 mL/kg/min [30]. Comme le status neurologique postopératoire n’est pas lié au taux d’embols peropératoires chez l’enfant [20] et que le système ne fonctionne pas en arrêt circulatoire, le DTC n’apporte pas une garantie de survie cérébrale adéquate pendant les moments critiques [15].
 
Saturation veineuse jugulaire (SjO2)
 
C’est la technique de référence pour mesurer l’oxygénation cérébrale chez l’enfant, mais elle est invasive et compliquée (canulation jugulaire rétrograde). Sa valeur normale est 55-75%. La valeur critique se situe autour de 50%. Elle augmente en cas d'hyperémie, d'hypercapnie, de fistule artério-veineuse ou d'hypothermie. Elle diminue pour des raisons systémiques (désaturation artérielle, hypocpanie, anémie aiguë, hypotension) ou cérébrale (hypertension intracrânienne, hyperthermie, convulsions, vasospasme). Une valeur < 40% est associée à une souffrance cérébrale ischémique et à des séquelles neurologiques [22]. Le cathéter offre également la meilleure mesure de la température cérébrale. Cependant, la SjO2 est un indice de perfusion cérébrale globale, et des ischémies régionales peuvent passer inaperçues [15]. Elle peut être utile pour confirmer la baisse de la demande métabolique avant un arrêt circulatoire.
 
Spectroscopie infrarouge (NIRS)
 
La spectroscopie infrarouge (NIRS, Near-infrared spectroscopy) permet la mesure locale de la saturation de l'hémoglobine en oxygène (ScO2) (voir Figure 18.28). C’est un système simple et bien adapté à l’enfant, qui renseigne sur l’oxygénation cérébrale; sa valeur correspond à celle de la SjO2. La valeur normale voisine 70% chez les enfants normoxiques, mais baisse à 40-60% chez les cyanosés [13]. A cause de la vasoconstriction hypothermique, les valeurs de ScO2 sont plus basses en régulation alpha-stat que pH-stat [19]. La ScO2 s'élève en hyperoxie et en hypothermie (baisse du métabolisme), mais aussi en état de mort cérébrale [27]. Une baisse à des valeurs de 30-35% signe une souffrance grave mais est encore compatible avec une récupération neurologique si elle dure moins de 10 minutes [29]. L’hémodynamique la plus adéquate est celle qui normalise la ScO2.
 
En hypothermie, la ScO2 permet de régler le débit continu minimal de perfusion sous-clavière ou carotidienne qui assure les besoins cérébraux (10-15 mL/kg/min) [25]. Dans les arrêts circulatoires, la dérive de la ScO2 permet de juger de la tolérance du cerveau à l’ischémie. A 20°C, la désaturation est d’environ 1%/min ; à 36°C, elle est de 20%/min. La chute est de > 70% de la valeur de base, et le nadir est atteint en 15 minutes [14]. Comme l’autorégulation est abolie pour plusieurs heures par l’hypothermie, la période dangereuse est celle du réchauffement, parce que la consommation cérébrale d’O2 devient dépendante de l’apport d’O2, donc de la pression artérielle. La surveillance peropératoire de la saturation cérébrale par la ScO2 alerte l’anesthésiste sur un risque de souffrance cérébrale en cas de baisse soudaine. 
 
L'utilisation du NIRS soulève deux questions. La première est celle de la définition d'un seuil en dessous duquel les déficits neurologiques sont certains. Celui-ci est encore mal établi. En se basant sur l'expérience de la chirurgie carotidienne en anesthésie loco-régionale, on estime que la ScO2 minimale tolérée est en général de 35-40%, mais ces valeurs concernent des adultes normoxiques [18]. S'il existe une corrélation entre la baisse de la ScO2 et les séquelles neurologiques, les repères suivants peuvent être utiles, bien qu’ils n’aient pas encore été validés [1].
 
  • Baisse de > 20 points : seuil d’alerte;
  • ScO2 = 40%: limite de récupération neurologique certaine;
  • ScO2 ≤ 30%: seuil de déficits neurologiques postopératoires.
Chez les enfants cyanosés, les valeurs sont probablement plus basses. La vitesse de modification de la ScO2 a autant de valeur que le chiffre atteint; plus la chute est rapide et plus la durée passée < 50% est prolongée, plus la situation est grave [7]. Chez les nourrissons, les troubles cognitifs postopératoires tendent à être aggravés lors d’une diminution de la ScO2 en dessous de 40% ou lors d'une chute de plus d'un tiers par rapport à sa valeur de base [21,23].
 
La deuxième question est celle des mesures à prendre lorsque la ScO2 s'abaisse dangereusement. Il s'agit d’améliorer l’apport d’O2 au cerveau [24].
 
  • Augmentation de la PAM;
  • Augmentation de la FiO2 et de l’Ht (transfusion si Ht < 24%);
  • Ajustement du débit de pompe;
  • Reprise de la CEC en cas d'arrêt circulatoire (ScO2 < 30%);
  • Normocapnie si la PaCO2 était abaissée;
  • Baisse du métabolisme cérébral: hypothermie, agents d’anesthésie, curarisation;
  • Repositionnement de la tête (modification unilatérale);
  • Repositionnement des canules ou du cœur dans le champ opératoire en cas de mauvaise orientation de la canule artérielle ou d'obstruction de la VCS.
Toutefois, les études dont on dispose actuellement sont insuffisantes pour prouver que le maintien de la ScO2 dans sa valeur normale pour le cas (50-70% selon la SaO2), ou sa correction si elle en dévie, ont un impact certain sur le devenir neurologique des enfants [3].
 
Température cérébrale

La surveillance de la température jugulaire rétrograde a démontré une poussée hyperthermique (moyenne 39.6°C) survenant jusqu’à 6 heures après un épisode d’hypothermie profonde en CEC, probablement liée à la libération de médiateurs inflammatoires [2]. Cette élévation thermique cérébrale est en relation directe avec les déficits neurologiques postopératoires (voir Hypothermie profonde et arrêt circulatoire). A défaut de cathéter dans le bulbe jugulaire, la température cérébrale est difficile à mesurer. On recourt habituellement à une sonde tympanique ou à une sonde nasale placée contre les cellules éthmoïdales (paroi postéro-supérieure du pharynx).
 
 
Monitorage neurologique
L’EEG, le Doppler transcrânien et la saturométrie cérébrale (ScO2) sont les techniques de monitorage les plus fiables. La ScO2 a le meilleur rapport efficacité/complexité
    - Valeur normale: 60-75%
    - Valeur normale chez les cyanosés: 40-60%
    - Limite de sécurité en bas débit/arrêt circulaitoire: 30%
La corrélation entre les modifications de la ScO2 et le devenir neurologique est floue.
 
 
© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai2018
 

Références
 
  1. ANDROPOULOS DA, STAYER SA, DIAZ LK, et al. Neurological monitoring for congenital heart surgery. Anesth Analg 2004; 99:1365-75
  2. BISSONNETTE B, HOLTBY HM, PUA DAJ, et al. Cerebral hyperthermia in children after cardiopulmonary bypass. Anesthesiology 2000; 93:611-8
  3. CHAN MJ, CHUNG T, GLASSFORD NJ, et al. Near-infrared spectroscopy in adult cardiac surgery patients: a systematic review     and meta-analysis. J Cardiothorac Vasc Anesth 2017; 31:1155-65
  4. DE FERRANTI S, GAUVREAU K, HICKEY PR, et al. Intraoperative hyperglycemia during infant cardiac surgery is not associated with adverse neurodevelopmental outcomes at 1, 4, and 8 years. Anesthesiology 2004; 100:1345-52
  5. DEOGAONKAR A, VIVAR R, BULLOCK RE, et al. Bispectral index monitoring may not reliably indicate cerebral ischaemia     during awake carotid endarterectomy. Br J Anaesth 2005; 94:800-4
  6. FALLON P, APARICIO JM, ELLIOTT MJ, et al. Incidence of neurological complications of surgery for congenital heart disease. Arch Dis Child 1995; 72:418-22
  7. FISCHER GW, LIN HM, KROL M, et al. Noninvasive cerebral oxygenation may predict outcome in patients undergoing aortic     arch surgery. J Thorac Cardiovasc Surg 2011; 141:815-21
  8. GUNN JK, BECA J, HUNT RW, et al. Perioperative amplitude-integrated EEG and neurodevelopment in infants with congenital     heart disease. Intensive Care Med 2012; 38:1539-47
  9. HAYASHIDA M, CHINZEI M, KOMATSU K, et al. Detection of cerebral hypoperfusion with bispectral index during pediatric cardiac surgery. Br J Anaesth 2003; 90:694-8
  10. HILLIER SC, BURROWS FA, BISSONNETTE B, et al. Cerebral hemodynamics in neonates and infants undergoing cardiopulmonary bypass and profound hypothermic circulatory arrest: Assessment by transcranial Doppler sonography. Anesth Analg 1991; 72:723-8
  11. HIRSCH JC, JACOBS ML, ANDROPOULOS D, et al. Protecting the infant brain during cardiac surgery: a systematic review. Ann Thorac Surg 2012; 94:1365-73
  12. HOGUE CW, PALIN CA, ARROWSMITH JE. Cardiopulmonary bypass management and neurologic outcomes: an evidence-    based appraisal of current practices. Anesth Analg 2006; 103:21-37
  13. KURTH CD, STEVEN JM, MONTENEGRO LM. Cerebral oxygen saturation before congenital heart surgery. Ann Thorac Surg 2001; 72:187-92
  14. KURTH CD, STEVEN JM, NICOLSON SC. Cerebral oxygenation during pediatric cardiac surgery using deep hypothermic circulatory arrest. Anesthesiology 1995; 82:74-82
  15. LOZANO S, MOSSAD E. Cerebral function monitors during pediatric cardiac surgery: Can they make a difference ? J Cardiothorac Vasc Anesth 2004; 18:645-56
  16. MATHEW JP, WEATHERWAX KJ, EAST CJ, et al. Bispectral analysis during cardiopulmonary bypass: The effect of hypothermia on the hypnotic state. J Clin Anesth 2001; 13:301-5
  17. MENACHE CC, DU PLESSIS AJ, WESSEL DL, et al. Current incidence of acute neurologic complications after open-heart surgery in children. Ann Thorac Surg 2002; 73:1752-8
  18. MILLE T, TACHIMIRI ME, KLERSY C, et al. Near infrared spectroscopy monitoring during carotid endarterectomy: which     threshold value is critical ? Eur J Vasc Endovasc Surg 2004; 27:646-50
  19. MORIMOTO Y, NIIDA Y, HISANO K, et al. Changes in cerebral oxygenation in children undergoing surgical repair of     ventricular septal defects. Anaesthesia 2003; 58:77-83
  20. O’BRIEN JJ, BUTTERWORTH J, HAMMON JW, et al. Cerebral emboli during cardiac surgery in children. Anesthesiology 1997; 87:1063-9
  21. SANCHEZ-DE-TOLEDO J, CHRYSOSTOMOU C, MUNOZ R, et al. Cerebral regional oxygen saturation and serum neuromarkers for the prediction of adverse neurologic outcome in pediatric cardiac surgery. Neurocrit Care 2014; 21:133-9
  22. SHAABAN T, HARMER M, LATTO P. Jugular bulb oximetry during cardiac surgery. Anaesthesia 2001; 56:24-37
  23. SOOD ED, BENZAQUEN JS, DAVIES RR, et al. Predictive value of perioperative near-infrared spectroscopy for neurodevelopmental outcomes after cardiac surgery in infancy. J Thorac Cardiovasc Surg 2013; 145:438-45
  24. SUBRAMANIAN B, NYMAN C, FRITOCK M, et al. A multicenter pilot study assessing regional cerebral oxygen desaturation     frequency during cardiopulmonary bypass and responsiveness to an intervention algorithm. Anesth Analg 2016; 122:1786-93
  25. TAILEFER MC, DENAULT Y. Cerebral near-infrared spectroscopy in adult heart surgery: systematic review of its clinical efficacy. Can J Anesth 2005; 52:79-87
  26. TRIVEDI UH, PATEL RL, TURTLE MR, et al. Relative changes in cerebral blood flow during cardiac operations using Xenon 133 clearance versus transcranial Doppler sonography. Ann Thorac Surg 1997; 63:167-74
  27. URBANSKI PP, LENOS A, KOLOWCA M, et al. Near-infrared spectroscopy for neuromonitoring of unilateral cerebral     perfusion. Eur J Cardiothorac Surg 2013; 43:1140-4
  28. WYPIJ D, JONAS RA, BELLINGER DC, et al. The effect of hematocrit during hypothermic cardiopulmonary bypass in infant heart surgery: results from the combined Boston hematocrit trials. J Thorac Cardiovasc Surg 2008; 135:355-60
  29. YAO FSF, TSENG CCA, HO CYA, et al. Cerebral oxygen desaturation is associated with early postoperative neuropsychological     dysfunction in patients undergoing cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2004; 18:553-8
  30. ZIMMERMAN AA, BURROWS FA, JONAS RA, et al. The limits of detectable cerebral perfusion by transcranial Doppler sonography in neonates undergoing deep hypothermic low-flow cardiopulmonary bypass. J Thorac Cardiovasc Surg 1997; 114:594-600