14.2.5 La cyanose

La cyanose est liée à trois phénomènes :
 
  • Shunt D-G avec mélange de sang artérialisé et veineux avant l'éjection systémique;
  • Bas débit pulmonaire; 
  • Bas débit cardiaque.
Lorsque du sang veineux contamine massivement le sang artérialisé, la SaO2 ne dépend plus seulement de la ventilation et du transport d’O2, mais aussi des facteurs qui modifient la SvO2 comme la consommation tissulaire d’O2 (VO2) et le débit cardiaque systémique. Dans le shunt D-G, le rapport entre l’impédance pulmonaire et l’impédance systémique (RAP/RAS) détermine le rapport Qp/Qs et définit le degré de cyanose. Lorsque la désaturation artérielle est due à un shunt, l'augmentation de la FiO2 a très peu d'influence sur la SaO2. Si le débit systémique est trop faible, comme dans une hypoplasie aortique, la SvO2 est effondrée et le débit pulmonaire ne permet plus de saturer le sang veineux.
 
Dans le shunt D-G, le sang qui court-circuite les poumons correspond à une augmentation du mélange veineux (effet espace-mort) au niveau des échanges gazeux. La pression télé-expiratoire de CO2 (PetCO2) sous-estime donc la PaCO2 réelle. Ces patients conservent une réponse ventilatoire normale à l'hypercarbie, mais ont une réaction amoindrie à l'hypoxémie [2]. Ils hyperventilent chroniquement pour compenser la faible épuration de CO2. Leur capacité d'exercice maximale est proportionnelle au flux pulmonaire; leur VO2 n'augmente que très progressivement à l'effort. 

Pour que le transport d'O2 (DO2) puisse correspondre à la VO2, l'hématocrite (Ht) augmente, parfois au-delà de 65%; malheureusement, le transport d'oxygène baisse dès que l'hématocrite dépasse 60% en raison de l'augmentation de la viscosité sanguine et du travail cardiaque. Le risque de thrombose est élevé. La perfusion tissulaire, lente et appauvrie, est très sensible à la déshydratation et au froid. 
 
La cyanose dépend de la concentration absolue en hémoglobine désaturée et se manifeste pour une quantité d'hémoglobine réduite supérieure à 50 g/L. Plus l'hémoglobine est concentrée, plus la cyanose apparaît tôt lors de désaturation; en cas d'anémie ou d'hémorragie, son apparition tardive peut induire l'anesthésiste en erreur.
 
  • Pour Hb = 100 g/L :        cyanose si SaO2 < 50%
  • Pour Hb = 150 g/L :        cyanose si SaO2 < 67% 
  • Pour Hb = 200 g/L :        cyanose si SaO2 < 75%
D’autre part, la cyanose apparaît plus tard chez le nouveau-né parce que l’hémoglobine fœtale est davantage saturée que l’Hb adulte à la même PaO2. La présence d’une coarctation préductale confine la cyanose à la partie inférieure du corps.
 
Les maladies cyanogènes ont des effets multisystémiques majeurs.
 
  • Effets hématologiques: augmentation de la masse et de la rigidité des érythrocytes (microsphérocytose due au manque relatif en fer), hyperviscosité, occlusions microvasculaires, lithiase biliaire secondaire à un excès d'anneau hème à métaboliser. Le risque thrombo-embolique est élevé.
  • Effets sur la coagulation: diathèse hémorragique due à une diminution du facteur de von Willebrand et des facteurs dépendants de la vitamine K, à une fibrinolyse primaire, et à une diminution de la fonctionnalité des plaquettes [8]. La thrombocytopénie n'est en général qu'apparente, due à l'augmentation de la masse des globules rouges. Les mesures de TP et TPT sont erronées lorsque l'Ht est supérieur à 55%, à cause de l'excès relatif de citrate dans les tubes de prélèvement par rapport à la réduction du volume plasmatique du malade [3]. Le risque hémorragique est élevé. 
  • Augmentation du risque infectieux: endocardite, abcès cérébral, pneumonie; la prophylaxie antibiotique est recommandée chez tous les patients cyanotiques [1,7]. 
  • Effets myocardiques: dysfonction ventriculaire chronique (systolique et diastolique) et risque ischémique accentué.
  • Effets rénaux: l'hypoxémie entraîne une prolifération cellulaire dans les glomérules et un épaississement des membranes basales; il s'ensuit une protéinurie et une augmentation de l'acide urique; ce dernier est un bon marqueur de l'hémodynamique rénale chez les enfants cyanosés [6].
  • Effets neurologiques: le taux d'abcès et d'accidents vasculaires cérébraux est augmenté chez l’enfant [4]. Les embolies paradoxales sont toujours à craindre lors de shunt D-G ou bidirectionnel, particulièrement lors des nombreuses injections intraveineuses durant l'anesthésie.

La désaturation artérielle et la dyspnée sont aussi des symptômes de l'impact des cardiopathies congénitales sur le système respiratoire [5].
 
  • Stase interstitielle et œdème alvéolaire sur élévation de la POG: insuffisance ventriculaire gauche, lésion obtructive gauche, maladie mitrale, sténose de veines pulmonaires;
  • Hypertension pulmonaire: large shunt G-D avec flux pulmonaire excessif et congestion pulmonaire;
  • Compression de l'arbre trachéobronchique: dilatation de l'OG, double arc aortique, départ anormal de l'AP gauche à partir de l'AP droite extrapéricardique, dilatation excessive des artères pulmonaires dans l'agénésie de la valve pulmonaire (insuffisance pulmonaire massive);
  • Association des cardiopathies à bas débit pulmonaire avec les ciliopathies (maladies de l'épithélium ciliaire);
  • Syndrome d'apnée du sommeil et broncho-aspiration récidivante chez les trisomiques 21 porteurs de canal AV;
  • Séquestration et hypoplasie pulmonaires associées à une anomalie du retour veineux pulmonaire. 
 
Cyanose et hypoxémie
Causes de la cyanose (SaO2 < 85%) : shunt D-G ou bas débit pulmonaire. Augmenter la FiO2 est sans effet. Conséquence du DO2 abaissé : augmentation de l’Ht (55-70%). La cyanose est d’autant plus marquée que l’Ht est élevé. Risque majeur : thrombose en cas de sous-hydratation.
 
Effets systémiques de la cyanose :
    - Risque thrombo-embolique élevé
    - Altérations de la coagulation
    - Dysfonction ventriculaire
    - Risque infectieux élevé
    - Dysfonction rénale

Effet du shunt D-G ou bidirectionnel : embolies paradoxales 
 
 
© BETTEX D, BOEGLI Y, CHASSOT PG, Juin 2008, dernière mise à jour Mai 2018


Références
 
  1. BAUMGARTNER H, BONHOEFFER P, DE GROOT NMS, et al. ESC Guidelines for the management of grown-up congenital heart disease (new version 2010). Eur Heart J 2010; 31:2915-57
  2. BURROWS FA. Physiologic dead space, venous admixture, and the arterial end-tidal carbon dioxide difference in infants and children undergoing cardiac surgery. Anesthesiology 1989; 70:219-25
  3. COLMAN JM. Noncardiac surgery in adult congenital heart disease. In: GATZOULIS MA, et al, Eds. Diagnosis and management of adult congenital heart disease. Edinburgh, Churchill-Livingstone, 2003, 99-104
  4. PERLOFF JK, MARELLI AJ, MINER PD. Risk of stroke in adults with cyanotic congenital heart disease. Circulation 1993; 87:1954-9
  5. RIGBY ML, ROSENTHAL M. Cardiorespiratory interactions in paediatrics. "It's (almost always) the circulation stupid!" Paed Respir Rev 2017; 22:60-5
  6. ROSS EA, PERLOFF JK, DANOVITCH GM, et al. Renal function and urate metabolism in late survivors with cyanotic congenital heart disease. Circulation 1986; 73:396-400
  7. SILVERSIDES CK, DORE A, POIRIER N, et al. Canadian Cardiovascular Society 2009 Consensus Conference on the management of adults with congenital heart disease: Shunt lesions. Can J Cardiol 2010; 26:e70-e79
  8. TEMPE DK, VIRMANI S. Coagulation abnormalities in patients with cyanotic congenital heart disease. J Cardiothorac Vasc Anesth 2002; 16:752-65