11.5.8 Chirurgie minimalement invasive

Depuis une quinzaine d'années, toute une série de techniques s'est développée dans le but d'éviter la sternotomie médiane complète et de réduire le traumatisme chirurgical en diminuant la taille de l'incision. Citons pour exemple: 
 
  • Variations de la sternotomie selon l'accès recherché: incision parasternale, mini-sternotomie en L ou en L inversé, etc.
  • Mini-sternotomie haute pour le RVA.
  • Mini-thoracotomie droite ou gauche (4ème espace) pour la chirurgie mitrale.
  • Mini-thoracotomie gauche pour l'implantation de la valve aortique.
  • Système vidéo-assisté Port access, HeartPort™ (peu utilisé).
  • Système robotique (AESOP 3000™, Da Vinci™, Zeus™) ; ces systèmes permettent des manipulations très fines, comme la plastie mitrale, mais il est problématique pour couler les nœuds et ne fournit aucune sensation tactile à l’opérateur ; il reste très onéreux (appareillage 1.5 millions US $, assistance 150'000 US $ / an, disposables 2'000-5’000 US $ / cas) [3].  
  • Capnothorax ; l’insuflation de CO2 dans la cavité thoracique en cas d’instrumentation robotique thoracoscopique réduit considérablement la présence d’air dans les cavités gauches, qu’il est difficile de débuller sans accès direct au cœur en fin de CEC. La pression du gaz ne doit pas dépasser 10 mmHg (débit du CO2 < 2-3 L/min) pour éviter de gêner le retour veineux. La présence d’air dans le thorax est un isolant électrique qui empêche de défibriller par les patches externes ; il faut impérativement reventiler le malade sur les deux poumons et exsuffler le thorax en cas de défibrillation ou de cardioversion.
On y a ajouté la télémanipulation, la robotique et la vidéo-assistance. Les séries comparatives montrent que, passée la courbe d'apprentissage, les résultats sont aussi bons qu'avec la technique conventionnelle [2,4]. 
 
  • Mortalité identique à court et à long terme.
  • Incidence de FA identique.
  • Taux d'infection de plaie thoracique inférieur à celui de la sternotomie, mais, le cas échéant, complications de l'incision inguinale.
  • Avantage particulier: meilleure esthétique, mobilisation rapide, réhabilitation précoce, séjour hospitalier plus court, réduction des transfusions et des infections de plaie.
  • Désavantage: la canulation fémorale impose un flux rétrograde dans l'aorte; elle fait courir le  risque de dissection aortique et d'une infection de la plaie inguinale; ces inconvénients sont supprimés avec une canulation sous-clavière droite. Les durées opératoires sont prolongées. 
 
Technique de CEC
 
Lorsqu'elles utilisent une CEC, ces techniques se basent sur des modifications de la canulation, du clampage aortique et du mode de cardioplégie [1,3].
 
  • Canulation veineuse fémorale ; une canule multi-orifice (21F-28F) est introduite jusque dans l’OD puis avancée 3-5 cm dans la veine cave supérieure. L’ETO permet de s’assurer que le guide sur lequel est montée la canule ne se fourvoie pas dans l’appendice auriculaire (risque de perforation), ni dans l’OG en traversant accidentellement un foramen ovale perméable. 
  • Drainage pulmonaire ; on peut décomprimer le retour au VG en drainant l’artère pulmonaire par une aspiration de CEC. A cette effet, on place par voie jugulaire interne droite (introducteur  11F) un cathéter multi-orifice muni d’un ballon permettant de le flotter jusque dans le tronc de l’AP (Endovent™ Edwards) ; sa position entre la valve et la bifurcation pulmonaires est contrôlée par ETO. 
  • Canulation de l'aorte ascendante; certaines incisions (mini-sternotomie, mini-thoracotomie) donnent suffisamment d'accès pour canuler l'aorte ascendante de manière conventionnelle: canule artérielle de CEC, canule de cardioplégie, clampage aortique.
  • Canulation artérielle fémorale (17F-21F) ; l’extrémité de la canule se trouve dans l’iliaque primitive ou dans l’aorte distale. Alternative en cas d’athéromatose empêchant le placement de la canule : canulation sous-clavière droite.
  • Clampage aortique par voie transthoracique au moyen d’un clamp spécial, ou par voie endovasculaire au moyen d’un ballon introduit par une artère fémorale (EndoClamp™ Edwards) ; dans ce dernier cas, l’ETO doit surveiller en continu la position du ballon parce que celui-ci peut facilement migrer proximalement et s’impacter dans la valve aortique, ou reculer distalement et bloquer le tronc brachio-céphalique. 
  • Cardioplégie antérograde au moyen d’une canule classique implantée dans l’aorte ascendante en amont du clamp (accès par voie transthoracique) ou par l'extrémité distale du cathéter de clampage aortique (voie fémorale). La vue ETO long-axe de l’aorte ascendante (Doppler couleur) permet de contrôler que la solution de cardioplégie perfuse bien la racine de l’aorte. 
  • Cardioplégie rétrograde par canulation endoveineuse du sinus coronaire ; le cathéter est introduit par la jugulaire interne droite et dirigé dans le sinus coronaire depuis l’OD avec l’aide de l’ETO. Lorsqu’on en gonfle le ballon, la pression enregistrée par le cathéter ressemble à celle du VD ; la pression de perfusion mesurée à l’extrémité du cathéter doit rester < 30 mmHg pendant l’administration de la cardioplégie. 
 
Anesthésie
 
La chirurgie valvulaire minimalement invasive impose un certain nombre de contingences à l'anesthésiste [1].
 
  • Choix d'une technique permettant de répondre à trois contraintes:
    • Hémodynamique instable, compromise par la valvulopathie et l'éventuelle dysfonction ventriculaire.
    • Stimulation douloureuse variable selon les techniques; la thoracotomie est plus douloureuse que la sternotomie, mais les incisions de thoracoscopie lors de chirurgie robotique sont peu algiques.
    • Réveil rapide et extubation précoce.
    • Le propofol et le sevoflurane donnent des résultats identiques [2].
  • Monitorage identique à celui requis pour la chirurgie conventionnelle:
    • Canulation artérielle radiale gauche de préférence ; la radiale droite est utile pour monitorer le flux dans le tronc brachiocéphalique. Les fémorales sont laissées libres pour les canulations de CEC.
    • Cathéter veineux central 2-3 lumières (jugulaire interne ou sous-clavière).
    • Introducteur 11F en jugulaire interne droite (pour cardioplégie rétrograde et/ou drainage pulmonaire).
    • Nécessité impérative d'une surveillance échocardiographique continue.
  • Ventilation monopulmonaire en cas de thoracotomie droite (tube endotrachéal à double-lumière), parce que le poumon droit s'interpose entre l'incision et le coeur; ceci n'est en général pas requis pour la thoracotomie gauche antérieure parce que l'accès au péricarde est direct. Le tube 2L peut être maintenu en place jusqu’au réveil si celui-ci a lieu moins d’une heure après la fin de l’intervention, sinon une transtubation est nécessaire. L’utilisation d’un tube à bloqueur bronchique permet d’éviter la transtubation. La ventilation monopulmonaire après CEC réduit considérablement le rapport PaO2/FiO2 à cause de l’effet shunt dans le poumon non-ventilé ; en cas de désaturation artérielle ou de défibrillation, il faut momentanément reventiler les deux poumons.
  • Installation rigoureuse:
    • Hémithorax droit ou gauche soulevé par un coussin longitudinal sous l'omoplate; le thorax fait un angle de 25-30° avec le plan de la table ; le bras du côté surélevé reste sur la table le long du corps de manière à dégager l’hémithorax.
    • Pli inguinal ipsilatéral laissé libre pour l'accès à une canulation fémorale, soit parce qu'elle est utilisée, soit en cas de nécessité.
    • Plaques de défibrillateur externe collées au malade, parce que l'accès restreint au cœur ne permet pas d'y glisser des palettes épicardiques.
  • Dans les techniques sans CEC, l'anesthésie combinée est une solution élégante parce que l'analgésie péridurale favorise un réveil précoce et une mobilisation rapide; d'autre part, la thoracotomie est une voie d'accès plus douloureuse que la sternotomie dans le postopératoire. Alternative en cas de CEC: blocs intercostaux ou paravertébraux.
L'ETO est un besoin impératif dans cette chirurgie qui n'a pas accès à une vision directe de nombreuses manœuvres. 
 
  • Evaluation de la volémie et de la fonction bi-ventriculaire en l'absence d'une vue directe du cœur;
  • Evaluation préopératoire de l'aorte thoracique en cas de canulation fémorale;
  • Aide au placement des mandrins et des canules;
  • Surveillance du ballon d'occlusion aortique et d'une éventuelle fuite aortique en cas de clampage endovasculaire;
  • Surveillance du VG à cause du risque de dilatation;
  • Débullage en fin de CEC.
 
Chirurgie minimalement invasive
Des voies d'abord restreintes, des canulations périphériques et des techniques robotiques ou vidéo-assistées permettent de limiter la taille de l'incision thoracique. Passée la courbe d'apprentissage, les résultats sont superposables à ceux de la voie conventionnelle. Avantages: meilleure esthétique, mobilisation et réhabilitation plus rapides.
 
Implications pour l'anesthésie:
    - Hémodynamique instable
    - Stimulation douloureuse variable
    - Réveil et extubation rapides
    - Monitorage identique à celui de la chirurgie conventionnelle; élément additionnel selon la technique : canulation du sinus coronaire 
    - Surveillance ETO rigoureuse 
    - Ventilation monopulmonaire en cas de thoracotomie droite
    - Prolongation des durées opératoires


© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Novembre 2019
 
 
Références
 
  1. FITZGERALD M, BHATT HV, SCHUESSLER ME, et al. Robotic cardiac surgery Part I: anesthetic considerations in totally endoscopic robotic cardiac surgery (TERCS). J Cardiothorac Vasc Anesth 2020; 34:267-77
  2. MOSCARELLI M, TERRASINI N, NUNZIATA A, et al. A trial of two anesthetic regimes for minimally invasive mitral valve repair. J Cardiothorac Vasc Anesth 2018; 32:2562-9
  3. REHEFELDT KT, MAUERMANN WJ, BURKHART HM, et al. Robot-assisted mitral valve repair. J Cardiothorac Vasc Anesth 2011 ; 25 :721-30
  4. SCHMITTO JD, MOKASHI SA, COHN LH. Minimally-invasive valve surgery. J Am Coll Cardiol 2010; 56:455-62