21.4.3 Effets de la chirurgie, de la CEC et de l'hypothermie

Toute intervention chirurgicale a des effets métaboliques et endocriniens liés au stress. Ceux-ci interfèrent avec la régulation de la glycémie et induisent une hyperglycémie de l’ordre de 7-10 mmol/L pour des interventions abdominales, par exemple [5,6].
 
  • Augmentation des hormones contre-régulatrices (anabolisantes et hyperglycémiantes): catécholamines, cortisol, hormone de croissance;
  • Baisse de la sécrétion d'insuline;
  • Augmentation de la résistance périphérique à l'insuline;
  • Augmentation du catabolisme protéique, de la glycolyse hépatique et de la lipolyse;
  • En peropératoire, les diabétiques type II se comportent comme des diabétiques type I, parce que les hormones de stress induisent une baisse de sécrétion d'insuline et une résistance cellulaire à celle-ci.
Au cours d'une intervention cardiaque, la régulation de la glycémie suit une évolution particulière en relation avec la CEC [1,9].
 
  • Hyperglycémie marquée (10-12 mmol/L) pendant la CEC normothermique (> 35°C); la glycémie augmente de manière quasi linéaire avec la durée de la CEC [2]. Plusieurs phénomènes sont en jeu, en plus des éléments déjà décrits pour la chirurgie générale: hypersécrétion des hormones de stress, libération d'activateurs inflammatoires, épargne glucidique créée par l'élévation des acides gras libres liée à l'administration d'héparine; en effet, celle-ci active les lipoprotéine-lipases et augmente le taux d'acides gras libres en occupant leur place sur les protéines circulantes [3]. 
  • En hypothermie (28-32°C), l'hyperglycémie s'aggrave et l'insulinémie s'abaisse comparativement à la période normothermique, mais le métabolisme cellulaire est inhibé, donc la consommation des éléments est diminuée, les besoins en insuline sont moindres et la résistance à cette dernière est augmentée.
  • Lors du réchauffement, la glycémie s'élève significativement et le métabolisme se réactive; bien qu'elle augmente aussi, la sécrétion d'insuline reste cependant inadéquate pour ramener le glucose à des valeurs normales; le besoin est augmenté jusqu'à six fois pendant cette période.
  • L'inhibition de la sécrétion spontanée d'insuline pendant la CEC, en normothermie comme en hypothermie est plus marquée lors de flux non-pulsatile que lors de flux pulsé; il s'atténue progressivement après la CEC, mais se prolonge pendant 48 heures. A la sécrétion inadéquate d'insuline face à l'hyperglycémie s'ajoute une résistance périphérique accrue.
  • L'utilisation de catécholamines exogènes potentialise l'hyperglycémie.
  • Ces phénomènes sont d'autant plus prononcés que les perfusats et les solutions d'amorçage contiennent du glucose ou du lactate.
Chez les patients diabétiques, la glycémie peut s'élever jusqu'à jusqu’à 20 mmol/L en chirurgie cardiaque en l'absence de traitement. Mais elle peut aussi s'élever chez les non-diabétiques; cette hyperglycémie transitoire de stress (glycémie > 12 mmol/L), si elle n'est pas traitée, affecte la mortalité plus brutalement que lorsqu'elle survient chez un diabétique (HR 18.3 versus 2.7) [6]. Dès que la glycémie dépasse 14 mmol/L, il existe un risque de voir se développer une acido-cétose, caractérisée par une hyperglycémie (≥ 14 mmol/L), une acidose (pH < 7.2), une baisse du bicarbonate (< 15 mmol/L) et un trou anionique > 12; les corps cétoniques sont présents dans le sang et dans l'urine [7]. Le traitement consiste à rééquilibrer la glycémie, l'hypovolémie et les perturbations électrolytiques [8].
 
  • Bolus iv d'insuline rapide (0.1 UI/kg, max 7 UI), puis perfusion d'Actrapid (0.1 UI/kg/heure, maximum 7 U/h) accompagnée d'un apport de glucose (G10 ou G20).
  • Perfusion de NaCl 0.9% ou 0.45% (100-500 mL/h) selon la natrémie et le degré d'hypovolémie.
  • Perfusion de KCl selon le degré d'hypokaliémie; pendant et après la CEC, la cardioplégie représente un apport important de K+; il faut donc rester prudent pour éviter toute augmentation excessive de la kaliémie.
  • Le bicarbonate est controversé, car l'acidose se corrige avec la glycémie; il est en général indiqué si le pH est < 7.0.
Pour éviter l'hypoglycémie, certains centres accompagnent la perfusion d'insuline d'une perfusion parallèle et indépendante de glucose 10% ou 20%. Toutefois, le schéma de Portland, qui est le plus utilisé, ne comprend aucun apport glucidique (voir Tableau 21.11). La glycémie est mesurée toutes les 30 à 60 minutes (voir Anesthésie du patient diabétique). Afin de ne pas perturber ce réglage, les autres perfusions, le liquide d'amorçage de la CEC et la cardioplégie sont dénués de sucre.  
 
Par ailleurs, les quantités d'insuline nécessaires à maintenir la normoglycémie sont plus importantes chez les diabétiques souffrant de cardiopathie (1.0 U/g glucose) que chez les diabétiques sans affection cardiovasculaire (0.3 U/g glucose). L'effet le plus néfaste de la dysautonomie diabétique lors de la CEC est lié à sa profonde altération de l'autorégulation cérébrale; celle-ci est telle qu'elle rend le flux sanguin cérébral directement dépendant de la pression de perfusion systémique [4]. Il est donc capital de maintenir cette dernière dans les valeurs de pression moyenne habituelles du patient ou entre 70 et 75 mmHg.
 
 
Effets de la chirurgie cardiaque et de la CEC
Hyperglycémie peropératoire marquée:
    - ↑ hormones de stress
    -  ↓ sécrétion d’insuline en CEC
    - En hypothermie, ↑ résistance périphérique à l’insuline,  ↓ des besoins métaboliques
    - ↑ glycémie par les catécholamines
La glycémie augmente proportionnellement à la durée de la CEC. Les besoins en insuline augmentent 2-3 fois en chirurgie cardiaque par rapport aux besoins normaux du patient. La glycémie est maintenue < 10 mmol/L avec une perfusion continue d'insuline rapide accompagnée d'une perfusion indépendante de glucose pour éviter l'hypoglycémie.
 
En CEC, maintenir la PAM à 70-75 mmHg à cause de la perte d’autorégulation cérébrale


© CHASSOT PG, Septembre 2007, dernière mise à jour, Décembre 2018
 
 
Références
 
 
  1. ANDERSON RE, BRISMAR K, BARR G, et al. Effects of cardiopulmonary bypass on glucose homeostasis after coronary artery bypass surgery. Eur J Cardiothorac Surg 2005; 28:425-30
  2. CARVALHO G, MOORE A, QIZILBASH B, et al. Maintenance of normoglycemia during cardiac surgery. Anesth Analg 2004; 99:319-24
  3. CARVALHO G, PELLETTIER P. ALBACKER T, et al. Cardioprotective effects of glucose and insulin administration while maintaining normoglycemia (GIN therapy) in patients undergoing coronary arterx bypass grafting. J Clin Endocrinol Metab 2011; 96:1469-77
  4. CROUGHWELL N, LYTH M, QUILL TJ, et al. Diabetic patients have abnormal cerebral autoregulation during cardiopulmonary bypass. Circulation 1990; 82(Suppl IV):407-12
  5. DESBOROUGH JP. The stress response to trauma and surgery. Br J Anaesth 2000; 85(1):109-117
  6. DUNGAN KM, BRAITHWAITE SS, PREISER JC, et al. Stress hyperglycemia. Lancet 2009; 373:1798-807
  7. KITABCHI AE, UMPIERREZ GE, MILES JM, et al. Hyperglycemic crises in adult patients with diabetes. Diabetes Care 2009; 32:1335-43
  8. PETERSON C, FOX JA, DEVALLIS P, et al. Starvation in the midst of cardiopulmonary bypass: diabetic ketoacidosis during cardiac surgery. J Cardiothorac Vasc Anesth 2012; 26:910-6
  9. SHANGRAW RE.  Metabolic and splanchnic visceral effects of cardiopulmonary bypass. In: GRAVLEE GP, DAVIS RF, UTLEY JR. Cardiopulmonary bypass, Principles and Practice. Baltimore, Williams & Wilkins, 1993, pp 509-541