15.4.2 Effets des shunts

Les shunts peuvent être de type droit → gauche (cyanogène), gauche → droit (non-cyanogène), bidirectionnel, ou thérapeutique (pour améliorer le débit pulmonaire). Leur débit est fonction du diamètre de l'orifice (ou du conduit) et du rapport des impédances entre la cavité d'amont et la cavité d'aval. Ils augmentent si la pression d’amont s’élève ou si la pression d’aval s’abaisse, et diminuent si la pression d’amont s’abaisse ou si la pression d’aval s’élève. On peut donc modifier le débit d’un shunt en jouant sur les résistances artérielles systémiques (RAS) et pulmonaires (RAP) [5].
 
  • Shunt D-G (tétralogie de Fallot, CIV + atrésie pulmonaire, TGV, ventricule unique, Fontan) (Figure 15.61) (Tableau 15.4): il augmente si les RAS baissent ou si les RAP s’élèvent; la cyanose est proportionnelle à la baisse de pression systémique. On cherche donc à maintenir les RAS hautes et les RAP basses. Les variations de la SpO2 suivent celles du rapport Qp/Qs; l'augmentation de la FiO2 a un effet minime sur la cyanose due à ce shunt. Le passage direct du retour veineux systémique vers la voie artérielle accélère l'induction par des agents intraveineux; par contre, la captation et l'élimination des agents halogénés sont ralenties à cause du faible débit pulmonaire [2]. La PetCO2 sous-estime la PaCO2 réelle à cause de l'effet espace-mort induit par le volume sanguin court-circuitant les poumons [4].
      

Figure 15.61 : Shunt droit → gauche. Il augmente lorsque les RAS baissent, ce qui diminue le flux artériel pulmonaire (Qp). Le shunt diminue si les RAS augmentent et si les RAP baissent ; de ce fait, le flux pulmonaire augmente et la SaO2 s’améliore.
 
  • Shunt G-D (CIA, CAV, CIV, canal artériel) (Figure 15.62) (Tableau 15.3): il diminue si les RAS baissent ou si les RAP augmentent; on cherche plutôt à baisser la pression systémique. Le problème majeur est souvent celui de la présence d'une hypertension pulmonaire. Une SpO2 élevée n'est pas la garantie que le transport d'O2 (DO2) soit satisfaisant. Avec un rapport Qp/Qs ≥ 3:1, le DO2 diminue même si le sang artériel est correctement oxygéné [1]. L'induction avec des agents intraveineux est ralentie à cause de la dilution du sang veineux par le sang artérialisé; la captation et l'élimination des halogénés sont théoriquement accélérées par le haut débit pulmonaire, mais l’effet clinique est négligeable [3]. 
     

Figure 15.62 : Shunt gauche → droit. Il augmente lorsque les RAS s’élèvent et que les RAP baissent ; le flux pulmonaire (Qp) est alors excessif. Le shunt diminue si les RAS baissent et si les RAP augmentent ; c’est le but visé en anesthésie. La compliance du VG diminuant avec l'âge, la pression télédiastolique du VG tend à s'élever, ce qui augmente la pression de l'OG et renforce le shunt G-D.
 
  • Shunt palliatif G-D (Blalock-Taussig, shunt central de Waterston ou de Potts, collatéralisation aorto-pulmonaire) (Vidéos et Figure 15.63 et Figure 15.64): le débit est fixé par le diamètre du conduit et peut conduire à une surcharge ventriculaire gauche. Le débit pulmonaire est directement fonction de la pression systémique. La SpO2 diminue ainsi avec les RAS. Une hypotension systémique a donc des effets désastreux sur la saturation artérielle; un alpha-stimulant (néosynéphrine, nor-adrénaline) s'impose en cas de désaturation artérielle. La pression diastolique est basse (PAP < PA systémique en diastole) et peut compromettre la circulation coronarienne.


    Vidéo: Flux systolo-diastolique dans l'artère sous-clavière gauche issue de la partie distale de la crosse aortique après confection d'un shunt de Blalock.


    Vidéo: Flux systolo-diastolique dans un shunt de Blalock entre l'artère sous-clavière et l'AP (vue du médiastin postérieur).
     
    

Figure 15.63 : Shunt correctif gauche → droit pour augmenter le débit pulmonaire (Qp) lors de sténose pulmonaire. Son débit diminue lorsque les RAS baissent et augmente avec celles-ci.
 
    

Figure 15.64 : Shunt de Blalock-Taussig. A : flux dans l’artère sous-clavière avant la construction du shunt ; le flux est exclusivement systolique comme dans toute artère systémique. B : après connexion à l’artère pulmonaire, le flux devient systolo-diastolique comme dans un shunt G→D.
 
La prise en charge d’un malade porteur de shunt vise à équilibrer les flux pulmonaire et systémique, et à obtenir un rapport Qp/Qs voisin de 1:1. Pour ce faire, on manipule les RAP et les RAS de manière à baisser le Qp dans un shunt G-D (RAP élevées et RAS basses) et à augmenter le Qp dans un shunt D-G (RAP basses et RAS élevées), le but étant d’obtenir la meilleure SaO2 sans acidose métabolique. D’autre part, la présence d’un shunt potentialise les effets de l’hypovolémie sur la pression artérielle, à cause de la fuite constante de volume dans le circuit pulmonaire à basse pression. 
 
 
 Shunts et anesthésie
Shunt D – G : maintenir RAS élevées et RAP basses pour diminuer le shunt cyanogène
    - Induction iv accélérée
    - Induction-réveil par inhalation ralentis
Shunt G – D : maintenir RAS basses et RAP élevées pour diminuer le shunt (non-cyanogène)
    - Induction iv ralentie
    - Induction-réveil par inhalation accélérés
Shunt G – D palliatif : maintenir RAS élevées pour améliorer le flux pulmonaire


© BETTEX D, CHASSOT PG, Janvier 2008, dernière mise à jour Janvier 2018
 
 
Références
 
  1. HEGGIE J, POIRER N, WILLIAMS WG, KARSKI J. Anesthetic considerations for adult cardiac surgery patients with congenital heart disease. Sem Cardiothorac Vasc Anesth 2003; 7:141-52
  2. HUNTINGTON JH, MALVIYA S, VOEPEL-LEWIS T, et al. The effect of a right-to-left intracardiac shunt on the rate of rise of arterial and end-tidal halothane in children. Anesth Analg 1999; 88:759-62
  3. LAIRD TH, STAYER SA, RIVENES SM, et al. Pulmonary-to-systemic blood flow ratio effects of sevoflurane, isoflurane, halothane and fentanyl/midazolam with 100% oxygen in children with congenital heart disease. Anesth Analg 2002; 95:1200-6
  4. PERLOFF JK. Survival patterns without cardiac surgery or interventional catheterization: a narrowing base. In: PERLOFF JK, CHILD JS, Eds. Congenital heart disease in adults. 2nd edition. Philadelphia: WB Saunders, 1998, 15-53
  5. WARNES CA, WILLIAMS RG, BASHORE TM, et al. ACC/AHA 2008 Guidelines for the management of adults with congenital heart disease: executive summary. Circulation 2008; 118:2395-451