5.8.5 Evaluation dynamique de la volémie

Variations ventilatoires du remplissage
 
La ventilation mécanique en pression positive crée une variation cyclique du remplissage ventriculaire gauche qui se traduit par une variation identique du volume sytolique. Pour autant que la compliance et les résistances artérielles restent stables pendant le cycle respiratoire, le résultat est une variation ventilatoire de la pression systolique (PAs) et de la pression pulsée (PP = PAs – PAd) (voir Figure 5.97).
 
  • Lorsque la pression intrathoracique (Pit) s’élève à l’inspirium, la pression artérielle est augmentée (Δup) puisque le volume systolique du VG est plus grand (augmentation du retour à l’OG) et que la Pit s’additionne à la pression qu’il génère. 
  • La pression artérielle baisse 2 à 5 cycles cardiaques plus tard (Δdown), parce que la diminution du retour veineux au cœur droit, qui a baissé le volume éjecté dans l’artère pulmonaire, arrive maintenant à l’OG et diminue la précharge du VG. 
Le Δup est prédominant lors d’insuffisance ventriculaire gauche, parce que le VG congestif bénéficie grandement de l’aide que représente la compression par la Pit ; c’est l’équivalent d’une baisse de postcharge. Le Δdown est prédominant en hypovolémie, parce que le volume systolique est très dépendant de la précharge lorsque le malade se trouve sur la partie gauche très verticale de sa courbe de Frank-Starling. S’il est normo- ou hypervolémique, les variations disparaissent parce que la pente est faible sur la partie droite de la courbe (voir Figure 5.47) [6]. Comme l’oscillation ventilatoire de la pression artérielle est normalement < 12%, une exagération du Δdown à > 15% est un bon indice d’hypovolémie et de réponse positive au remplissage liquidien [1,5]. A défaut de courbe artérielle invasive, on peut faire la même observation sur le tracé de la plethysmographie oxymétrique (SpO2) [2] ou sur la vélocité du flux aortique (ETO) [4]. Un volume courant élevé (≥ 10 mL/kg) est une condition essentielle pour que ces variations soient quantifiables.
 
La mesure des variations ventilatoires de la pression artérielle permet de gérer l’administration liquidienne de manière rationnelle en maintenant le patient au niveau de remplissage correspondant à son volume systolique maximal (genou de la courbe de Starling) (goal-directed fluid administration) : on administre des aliquots itératifs de perfusion (100-250 mL cristalloïdes ou colloïdes) jusqu’à ce que le VS n’augmente plus (disparition du Δdown). Bien que l’administration liquidienne totale soit en général un peu supérieure à ce qu’elle est avec la routine habituelle, cette technique offre l’avantage de compenser le volume perdu de manière quantifiée et au bon moment ; l’effet de la synchronisation des pertes et du remplacement est au moins aussi important que celui de la compensation globale en volume [3]. Cette manière de faire présuppose que les RAS, la pression abdominale, le rythme cardiaque et la fonction ventriculaire soient normales. 
 
On peut également observer les variations ventilatoires du remplissage veineux et auriculaire en mesurant trois données échocardiographiques (voir Chapitre 6, Monitorage de la volémie).
 
  • La pulsatilité de la veine cave inférieure : lorsqu’elle est peu remplie, la VCI se dilate lors de l’inspirium de l’IPPV (transmission de l’augmentation de la POD) ; cette mesure est très dépendante de la pression abdominale.
  • La collapsibilité de la veine cave supérieure : elle augmente en hypovolémie (compression lors de l’inspirium de l’IPPV).
  • L’oscillation cardiogénique de la membrane de la fosse ovale (septum interauriculaire) : elle augmente d’amplitude lorsque les oreillettes sont vides et persiste aux deux temps respiratoire en hypovolémie (Vidéos).


Vidéo: Vue des deux oreillettes démontrant les oscillations cardiogéniques normales du septum interauriculaire chez un patient en normovolémie.

Vidéo: Vue des oscillations cardiogéniques normales du septum interauriculaire chez un patient en normovolémie en IPPV; ces oscillations disparaissent pendant l'inspirium du respirateur en ventilation mécanique (septum poussé dans l'OD).

 

Vidéo: Vue des deux oreillettes démontrant l'amplification des oscillations cardiogéniques du septum interauriculaire chez un patient en hypovolémie; les oscillations continuent inchangées aux deux temps du cycle respiratoire en ventilation mécanique.

Monitorage hémodynamique intégré
 
On a coutume d’opposer entre elles les différentes techniques de monitorage hémodynamique : cathéter pulmonaire de Swan-Ganz, échocardiographie transoesophagienne, ou analyse de la pression artérielle (PiCCO). Cette attitude est sans fondement réel, car ces techniques ne mesurent pas les mêmes données et sont pertinentes dans des conditions hémodynamiques différentes. Cette différenciation s’éclaire en superposant dans le même graphique la courbe de Frank-Starling et la courbe de compliance du ventricule gauche (Figure 5.102) [7]. 
 
  • En hypovolémie, la courbe de Starling est dans sa phase de recrutement ; de petites variations de remplissage se traduisent par d’amples variations du volume systolique. La courbe de compliance, par contre, est dans sa phase horizontale : les variations du volume de remplissage ne se traduisent que par de minimes variations des pressions (PVC, PAPO).
  • En hypervolémie, la courbe de Starling est au-delà de son genou ; les variations de remplissage ne modifient plus le volume systolique. La courbe de compliance est au contraire redressée, et même de faibles variations du volume auriculaire se traduisent par des variations significatives de la PVC ou de la PAPO.
 

Figure 5.102 : Superposition de la courbe de Frank-Starling et de la courbe de compliance du VG. Ces deux courbes démontrent une silhouette identique mais en miroir ; toutes deux présentent un genou séparant une zone où la courbe est asymptotiquement verticale et une zone où elle présente un pateau quasi-horizontal. Le genou est situé au niveau de la ligne pointillée jaune verticale qui coupe la figure en deux parties. A : A gauche, en hypovolémie (P télédiastolique basse), la courbe de Starling est dans sa phase de recrutement ; de petites variations de remplissage (ΔP) se traduisent par de grandes variations du volume systolique (ΔVS). La courbe de compliance est au contraire très plate ; les variations de remplissage (ΔV) n’occasionnent que de minimes variation de PVC ou de PAPO (ΔP). Ce sont les indices éjectionnels dynamiques (variations ventilatoires de la pression artérielle et du volume systolique) ou les mesures indépendantes de la compliance (surfaces des cavités à l’ETO, oscillations du septum interauriculaire) qui sont les plus pertinentes pour éveluer le remplissage dans cette zone. B : A droite, en hypervolémie, la situation est inversée. La relation précharge / volume systolique est inexistante puisque la courbe de Starling est plate, alors que la relation pression / volume de remplissage est très significative pendant la phase de redressement de la courbe de compliance. Ce sont donc les pressions de remplissage fournies par la Swan-Ganz (PVC, PAPO) qui deviennent les plus utiles pour évaluer le remplissage [7]. 
 
On voit donc que les mesures dynamiques liées aux variations ventilatoires du remplissage (ΔPAsyst, PiCCO, échocardiographie) sont très efficaces pour diagnostiquer l’hypovolémie, mais ne sont d’aucune utilité lorsque le malade est en hypervolémie (stase ventriculaire, œdème, congestion). A l’inverse, les pressions de remplissage (PVC, PAPO) ne sont d’aucune utilité pour diagnostiquer l’hypovolémie, mais sont essentielles pour gérer l’adminsitration liquidienne des malades en hypervolémie (insuffisance ventriculaire, valvulopathie, insuffisance rénale, etc). Il va sans dire que cette formulation simplifiée est très schématique et doit être complétée par les multiples facteurs qui interviennent dans l’appréciation de la volémie : pression abdominale, pression critique de fermeture des veines caves, curarisation, mode ventilatoire, cardiopathies valvulaires, insuffisance diastolique, pertes liquidiennes en cours, apport hydro-électrolytique lors de CEC, œdème tissulaire, troisième secteur, etc. Aucune de nos mesures n’a de relation univoque avec la volémie. 
 
 
 
Indices dynamiques de la volémie (IPPV)
Pour autant que les résistances artérielles, la compliance et la fonction ventriculaire restent stables pendant le cycle respiratoire, la variabilité du VS, de la PAsyst et de la PAdiff en IPPV est directement proportionnelle au degré d'hypovolémie. La mesure des variations ventilatoires de la pression artérielle permet de gérer l’administration liquidienne de manière à maintenir le patient au niveau de son volume systolique maximal (genou de la courbe de Starling) en administrant des aliquots itératifs de perfusion jusqu’à ce que le VS n’augmente plus (disparition du Δdown).
 
Autres indices dynamiques mesurables à l'échocardiographie:
    - Variabilité du diamètre de la VCI
    - Collapsibilité de la VCS
    - Oscillations du septum interauriculaire
    - Variabilité de la Vmax du flux aortique
 
La superposition de la courbe de Starling et de la courbe de compliance démontre que le monitorage le plus efficace pour gérer l'administration liquidienne dépend du degré de remplissage :
    - En hypovolémie, variations ventilatoires du VS, de la PAsyst et de la PAdiff, oscillations du septum interauriculaire
    - En hypervolémie, PVC et PAPO, VSIT (PiCCO)


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2018
 
 
Références
 
  1. CANNESSON M. Arterial pressure variation and goal-directed fluid therapy. J Cardiothorac Vasc Anesth 2010; 24:487-97
  2. CANNESSON M, ATTOFF Y, ROSAMEL P, et al. Respiratory variations in pulse oxymetry plethysmographic waveform amplitude to predict fluid responsiveness in the operating room. Anesthesiology 2007; 106:1105-11
  3. CHAPPELL D, JACOB M, HOFMANN-KIEFER K, et al. A rational approach to perioperative fluid management. Anesthesiology 2008; 109:723-40
  4. FEISSEL M, MICHARD F, MANGIN I, et al. Respiratory changes in aortic blood velocity as an indicator of fluid responsiveness     in ventilated patients with septic shock. Chest 2001; 119:867-73
  5. MICHARD F. Changes in arterial pressure during mechanical ventilation. Anesthesiology 2005; 103:419-28
  6. PREISMAN S, KOGAN S, BERKENSTADT H, PEREL A. Predicting fluid responsiveness in patients undergoing cardiac surgery: functional haemodynamic parameters including the Respiratory Systolic Variation Test and static preload indicators. Br J Anaesth 2005; 95:746-55
  7. SPAHN DR, CHASSOT PG. Con. Fluid restriction for cardiac patients during major noncardiac surgery should be replaced by goal-directed intravascular fluid administration. Anesth Analg 2006; 102:344-6