11.4.5 Le patient âgé

La prévalence des valvulopathies augmente avec l'âge: de 2% en dessous de 65 ans, elle monte à 13% au-delà de 75 ans; la sténose aortique est l'affection valvulaire la plus fréquente (2-4% des patients), suivie dans l'ordre par l'insuffisance mitrale, la sténose mitrale et l'insuffisance aortique [8,9]. La sténose aortique est en général très calcifiée et associée à une athéromatose calcifiante de l'aorte. L'insuffisance mitrale (IM) est fréquente chez la personne âgée parce qu'elle est souvent secondaire à l'ischémie ou à la défaillance ventriculaire; elle est aussi liée à la calcification de l'anneau mitral (MAC, mitral annular calcification) qui bloque la contraction de ce dernier en systole et provoque une fuite entre les feuillets. Alors qu'une insuffisance tricuspidienne (IT) mineure est très fréquente, une IT modérée-à-sévère n'est présente que chez 2-6% de la population âgée [8]. 
 
L’âge représente un facteur de risque indépendant pour les complications postopératoires (OR 2.99) et pour la mortalité (OR 1.88) [11]. En moyenne, la mortalité opératoire en cardiochirurgie est doublée au-delà de 70 ans et quadruplée au-delà de 90 ans. Mais l’âge n’est probablement pas un facteur de risque en soi. Il est surtout le marqueur d’une prévalence élevée de comorbidités. Les lésions cardiovasculaires de la sénescence sont le fruit d’expositions répétées ou continues à des éléments adverses, évitables ou non, dont l’âge ne fait que mesurer la durée (voir Chapitre 21, Le patient âgé) [15]. 
 
L’âge physiologique, défini par l’étendue de la dégénérescence clinique, peut être très différent de l’âge nominal. Il est bien exprimé par la notion de fragilité (frailty) des malades. La fragilité représente une vulnérabilité extrême conduisant à l'incapacité du malade à maintenir son homéostase face aux modifications de son environnement, aussi bien physique que psychique. Elle est liée à l'effet cumulatif du déclin de nombreux systèmes avec l'âge. Sa prévalence est de 16% entre 80 et 84 ans, et de 26% au-delà de 85 ans [4]. Cette perte de la résilience entame tellement les réserves physiologiques que des stresseurs minimes peuvent déclencher des altérations disproportionnées de l'état clinique. Le diagnostic de fragilité est très important parce que ces patients sont gravement péjorés par le stress majeur d'une intervention chirurgicale, quand bien même leur âge chronologique n'est pas en soi une contre-indication [4]. La fragilité est fréquemment associée à des maladies cardiovasculaires (OR 4.1) [2]. La clinique est constituée de différents éléments: faiblesse, fatigabilité, chutes répétitives, inactivité, perte pondérale, malnutrition, anémie, rapetissement corporel, dépendance pour les besoins quotidiens, lenteur de la marche (> 6 sec pour 5 m), dépression, altérations cognitives. On peut en constituer un index, dont la valeur élevée est un prédicteur indépendant du risque opératoire, augmentant de 2 à 4 fois la mortalité [3]. Le hazard ratio (HR) lié à la fragilité est de 2.6 – 3.7 dans les opérations en CEC et de 3.2 dans les TAVI (pose de valve aortique par cathétérisme) [2,13].
 
Alors qu’elle présente des performances normales au repos, la personne âgée a perdu sa réserve fonctionnelle pour assurer un effort soutenu et répondre à un stress externe. Avec une perte fonctionnelle de 1%/an dès 35 ans pour la plupart de ses organes, elle n’a plus de réserve si la demande augmente ; aucune compensation n’est possible au-delà des conditions de base (voir Figure 21.11) [5]. Cette perte d’adaptabilité a trois conséquences cliniques.
 
  • L’état clinique au repos ne prédit pas le comportement sous stress ; un patient bien équilibré dans le quotidien décompensera rapidement à la moindre complication.
  • Aucune compensation importante n'est possible au-delà des conditions de base.
  • Une chirurgie majeure est parfaitement possible pour autant que l’homéostase soit rigoureusement maintenue et qu’aucune complication ne survienne.

 
Figure 21.11 : Evolution de la réserve fonctionnelle en rapport avec l'âge. La capacité basale est peu altérée, mais la capacité fonctionnelle maximale est dramatiquement réduite; les patients ont perdu toute faculté d'adaptation aux variations des conditions de charge ou à l'effet cardiodépresseur des substances [d'après Cook DJ, Rooke GA. Priorities in perioperative geriatrics. Anesth Analg 2003; 96:1823-36].
 
La chirurgie du vieillard demande donc de l'anesthésiste une attitude proactive et un fort investissement. Il doit veiller à ne laisser s'installer aucune déviation prolongée, comme l'hypotension, l'hypertension, la tachycardie, l'acidose, l'hyperglycémie, l'hypoxémie ou l'anémie. Toute modification doit être corrigée dès qu'elle apparaît, car ce qui est tolérable chez le jeune ne l'est plus chez le vieux. Le patient âgé n'ayant plus la réserve fonctionnelle nécessaire pour compenser des déviations majeures, l'anesthésiste doit se substituer à lui pour corriger aussi rapidement que possible toute altération significative qui éloigne le malade de son équilibre de base.
 
Dès lors, les interventions majeures comme celles de la chirurgie cardiaque ne sont possibles que si elles se déroulent sans aucun incident. La moindre complication entraîne la catastrophe. Cela se traduit cliniquement par une mortalité opératoire et postopératoire immédiate (< 30 jours) élevée, mais par une excellente survie à 5 ans lorsque l’intervention est réussie. La mortalité globale des octogénaires est plus que doublée par rapport à celle des sexagénaires [8,17].
 
  • Remplacement valvulaire aortique (sténose)         6%    (< 60 ans : 1-3%);
  • Remplacement valvulaire mitral (insuffisance)      18%    (< 60 ans : 2-4%);
  • Remplacement valvulaire mitral (sténose)            25%    (< 60 ans : 5%).
Chez les nonagénaires, la mortalité opératoire moyenne est de 13% [14]. Le calcul de l’EuroSCORE prédit une mortalité de 15-25% chez les malades de > 75 ans. Le taux de complications postopératoires est de 20-35% chez les octogénaires et de 42% chez les nonagénaires [14,17]. Malgré une mortalité opératoire plus que doublée par rapport aux sujets plus jeunes, la survie à 5 ans des octogénaires après remplacement valvulaire est excellente puisqu’elle est identique à l’espérance de vie de la population normale appariée (voir Figure 21.14). Pour les remplacements valvulaires aortiques, par exemple, elle est de 66% > 80 ans et 86% < 70 ans [6]. L’opération est donc curative, même si elle est risquée, puisque ces survies sont équivalentes à celles des individus du même âge ne souffrant pas de pathologie cardiaque. Par ailleurs, le bénéfice en terme de survie n'est pas le but essentiel chez le malade âgé, qui est plus sensible à la capacité de conserver son indépendance et son activité qu'à un simple prolongement de l'existence [8].

 
Figure 21.14: Survie à long terme des patients octogénaires (courbe rouge) opérés de remplacement valvulaire aortique pour sténose serrée. Bien que la survie à 5 ans soit plus faible que celle des malades de moins de 70 ans (courbe bleue), elle est superposable à l’espérance de vie d’individus sains du même âge (ligne blanche) [6].
 
La chirurgie valvulaire par trans-cathétérisme est particulièrement bien adaptée à la vieillesse. Dans les cas à haut risque, les résultats du remplacement aortique (TAVI, transcatheter aortic valve implantation) sont nettement supérieurs à ceux de la chirurgie en CEC (RVA) en terme de mortalité, d'AVC et de morbidité postopératoire (voir Chapitre 10, TAVI) [1]. Le TAVI se compare aussi favorablement avec le RVA dans les cas à risque intermédiaire [12]. Chez les octogénaires à haut risque jugés inopérables en CEC, par exemple, la mortalité opératoire à 1 mois et 1 an est de 9.7% et 19.8% respectivement, et le taux d’AVC de 4.1% [7]. Vu l'espérance de vie réduite de ces patients, la durabilité à long terme de la bioprothèse implantée n'est pas un souci. La plastie mitrale percutanée (MitraClip™) offre une réparation satisfaisante dans environ 90% des cas (voir Chapitre 10, Plastie mitrale percutanée). La comparaison avec la plastie chirurgicale montre que le taux d'échec technique est plus élevé avec le MitraClip™ (3.2% vs 0.6%), mais que la mortalité opératoire (3.3% vs 16.2%), le taux d'AVC (1.1% vs 4.5%) et le risque hémorragique (4.2% vs 59%) sont très inférieurs [10]. Même si elle n'offre pas la même qualité de correction que la plastie à ciel ouvert (taux de récidive de 25% versus 5%), cette technique percutanée permet une réduction de l'IM de l'ordre de 2 à 3 degrés (sur 4) avec un faible risque opératoire, chez des malades lourdement compromis dont la mortalité chirurgicale serait > 20% et le taux de complication > 50% lors d'une opération en CEC [8,16]. 
 
 
Chirurgie valvulaire chez la personne âgée
Les personnes âgées représentent une proportion de plus en plus importante de la patientèle chirurgicale. La vieillesse est un facteur de risque lié à la durée d'exposition aux comorbidités. 
 
Le succès de la chirurgie cardiaque chez la personne âgée tient à un maintien rigoureux de l’homéostase et à l’absence de complications opératoires. Vu la perte de réserve fonctionnelle, tout incident entraîne la catastrophe. L'anesthésiste doit donc veiller à corriger immédiatement toute déviation significative des variables hémodynamiques, respiratoires, métaboliques ou hématologiques.
 
La mortalité opératoire > 75 ans est 2 fois plus élevée que < 60 ans; > 85 ans, elle est 4 fois plus importante. Cependant, une fois passée la période périopératoire à risque, l’espérance de vie à long terme du RVA est la même que celle des personnes saines de même âge. Les interventions minimalement invasives et/ou sans CEC sont particulièrement adaptées à la sénescence (TAVI, MitraClip™).


© CHASSOT PG, BETTEX D, Août 2011, dernière mise à jour Août 2018
 
 
Références
 
  1. ADAMS DH, POPMA JJ, REARDON MJ, et al. Transcatheter aortic-valve replacement with a self-expanding prosthesis. N Engl J Med 2014; 370:1790-8
  2. AFILALO J, ALEXANDER KP, MACK MJ, et al. Frailty assessment in the cardiovascular care of older adults. J Am Coll Cardiol 2014; 63:747-62
  3. BAGNALL NM, FAIZ O, DARZI A, ATHANASIOU T. What is the utility of preoperative frailty assessment for risk stratification in cardiac surgery ? Interact Cardiovasc Thorac Surg 2013; 17:398-402
  4. CLEGG A, YOUNG J, ILIFFE S, et al. Frailty in elderly people. Lancet 2013; 381:752-62
  5. COOK DJ, ROOKE GA. Priorities in perioperative geriatrics. Anesth Analg 2003; 96:1823-36
  6. FILSOUFI F, RAHMANIAN PB, CASTILLO JG, et al. Excellent early and late outcomes of aortic valve replacement in people aged 80 and older. J Am Geriatr Soc 2008; 56:255-61
  7. GILARD M, ELTCHANINOFF H, IUNG B, et al. Registry of transcatheter aortic-valve implantation in high-risk patients. N Engl J Med 2012; 366:1705-15
  8. KODALI SK, VELAGAPIDI P, HAHN RT, et al. Valvular heart disease in patients ≥ 80 years of age. J Am Coll Cardiol 2018; 71:2058-72
  9. NKOMO VT, GARDIN JM, SKELTON TN, et al. Burden of valvular heart diseases: a population-based study. Lancet 2006; 368:1005-11
  10. PHILIP F, ATHAPPAN G, TUZCU EM, et al. MitraClip for severe symptomatic mitral regurgitation in patients at high surgical risk: a comprehensive systematic review. Cathet Cardiovasc Interv 2014; 84:581-90
  11. RANKIN JS, HAMMIL BG, FRERGUSON B, et al. Determinants of operative mortality in valvular heart surgery. J Thorac Cardiovasc Surg 2006; 131:547-57
  12. REARDON MJ, VAN MIEGHEM NM, POPMA JJ, et al, for the SURTAVI Invesitgators. Surgical or transcatheter aortic-valve replacement in intermediate-risk patients. N Engl J Med 2017; 376:1321-31    
  13. SEPEHRI A, BEGGS T, HASSAN A, et al. The impact of frailty on outcomes after cardiac surgery. A systematic review. J Thorac Cardiovasc Surg 2014; 148:3110-7
  14. SPEZIALE G, NASSO G, BARATTONI MC, et al. Operative and middle-term results of cardiac surgery in nonagenarians. A bridge toward routine practice. Circulation 2010; 121:208-13
  15. WARD SA, PARIKH S, WORKMAN B. Health perspectives: International epidemiology of ageing. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2011; 25:305-17
  16. ZAMORANO JL, BADANO LP, BRUCE C, et al. EAE/ASE recommendations for the use of echocardiography in new transcatheter interventions for valvular heart disease. Eur J Echocardiogr 2011; 12:557-84
  17. ZINGONE B, GATTI G, RAUBER E, et al. Early and late outcomes of cardiac surgery in octogenarians. Ann Thorac Surg 2009; 87:71-8