7.9.2 CEC conventionnelle

La CEC conventionnelle présente des inconvénients majeurs: encombrement de la salle d'opération, important volume d'amorçage (800-1500 mL) responsable d'une hémodilution significative, hémorragies, risques d'embolies gazeuses, syndrome inflammatoire systémique, troubles hématologiques et neurologiques. On peut réduire ces phénomènes en utilisant des systèmes de Mini-CEC qui ne disposent pas de réservoir veineux et fonctionnent avec une pompe centrifuge (volume d'amorçage: 400-800 mL) (voir Mini-CEC). La miniaturisation de circuits héparinés et les possibilités de ponction fémorale percutanée (au lieu de canulation à ciel ouvert) ont récemment permis d'exporter la CEC de soutien en-dehors du bloc opératoire comme support hémodynamique d'urgence chez des patients en choc cardiogène ou en arrêt cardio-pulmonaire [1]. Les résultats sont encourageants: dans une série de 46 patients, on relève 61% de réussites permettant le sevrage de la CEC et 28% de survie à long terme; la CEC n'a pas permis d'atteindre un débit satisfaisant dans 11% des cas seulement [5]. 
 
La plupart du temps, on utilise des circuits pré-héparinés et biocompatibles permettant de réduire la quantité d'héparine systémique: alors que la dose normale est 300 UI/kg, on peut administrer seulement 100 UI/kg d'héparine et rechercher un ACT de 300 secondes au lieu de 450 secondes. L'héparine est administrée avant d'introduire les canules et l'ACT contrôlé 2-3 minutes plus tard. Quel qu'en soit le dosage, l'héparinisation aggrave immédiatement l'hémorragie dans le champ opératoire. C'est la raison pour laquelle on essaie de procéder à toute la dissection de l'intervention chirurgicale avant l'héparinisation et avant la canulation des vaisseaux. Avec une basse héparinisation, on ne peut plus interrompre le débit de la machine une fois que le circuit est rempli de sang à cause du risque de thrombose, qui a lieu en général dans l'oxygénateur. Il existe donc un système de shunt permettant de maintenir une circulation minimale au sein de la machine en cas d'interruption du débit dans le malade. 
 
Prendre en charge l'hémodynamique et les échanges gazeux par une CEC de soutien est une possibilité qui permet de travailler à l'aise dans un champ opératoire qui comprend des organes cruciaux pour la survie. De plus, une CEC permet de refroidir ou de réchauffer le patient.
 
La possibilité d'induire une hypothermie modérée (30-34°C) par une CEC fémoro-fémorale a séduit les neurochirurgiens dans les années soixante déjà, notamment pour le traitement d'anévrysmes intracrâniens très grands ou stratégiquement mal placés, et d'hémangioblastomes situés dans le tronc cérébral. Malheureusement, la mortalité est restée élevée et la technique est peu utilisée. Outre les difficultés propres à la neurochirurgie, la CEC et l'hypothermie dans ces conditions présentent des risques majeurs de fibrillation ventriculaire dès que la température est inférieure à 30°C et de dilatation du VG à cause de l’absence de drainage du ventricule. De plus, elle augmente considérablement l'incidence d'acidose, d'hémorragies profuses et d'oedème cérébral [4]. 
 
Certaines tumeurs rénales peuvent s'étendre dans la veine cave inférieure (VCI) et remonter jusqu'à l'OD. La CEC permet d'occlure la VCI et de limiter le risque d'embolisation tumorale [3]. L'échocardiographie trans-oesophagienne (ETO) peropératoire permet de diagnostiquer la position des masses tumorales dans la VCI et de monitorer le risque d'embols en continu (Vidéo). En chirurgie oncologique, il est habituel de ne pas utiliser de CellSaver™ à cause du risque d'embolisation systémique de fragments tumoraux, bien que ce risque ne soit probablement réel que pour les tumeurs à métastatisation hématologique. De toute manière, l'utilisation quasi systématique des aspirations de la CEC est déjà responsable d'une autotransfusion; il n'existe aucune preuve que les filtres du circuit veineux et artériel soient suffisants pour intercepter toute embolisation tumorale. 
 
En transplantation hépatique, il s'agit de réaliser un shunt veino-veineux pour maintenir le flux de la VCI vers l'OD lorsque le chirurgien est obligé de clamper la veine cave et la veine porte pendant l'hépatectomie du receveur, ce qui entraîne l'effondrement du débit cardiaque accompagné d'une stase mésentérique et rénale massive. Dans ce cas, on utilise en général un circuit veino-veineux pré-hépariné et une pompe centrifuge, mais pas d'oxygénateur ni de réservoir; le débit ne doit pas descendre au dessous de 1 L/min, sans quoi la précharge du coeur n'est plus maintenue et le circuit risque de thromboser. Le risque d'embolie et de décanulation accidentelle n'est pas négligeable. Les développements de la chirurgie hépatique ont rendu cette technique plus ou moins caduque.
 
Il arrive que des tumeurs ou des traumatismes trachéo-bronchiques nécessitent une reconstruction empêchant toute ventilation pendant plus d'une heure. Une CEC (canulation fémoro-fémorale, ou aorte ascendante et OD de façon habituelle) permet de maintenir les échanges gazeux pendant cette période et d'opérer une trachée débarrassée du tube oro-trachéal. Actuellement, la CEC est remplacée principalement par l'ECMO veino-veineuse ou veino-artérielle (voir Assistance extracorporelle). En transplantation pulmonaire, il n'existe malheureusement pas de test préopératoire fiable qui permette de prédire le besoin de CEC, si bien que c'est le test de clampage de l'artère pulmonaire dans le champ opératoire qui permet seul de décider. Dans les syndromes restrictifs, une faible tolérance à l'effort et un abaissement de la fraction d'éjection du VD ont une certaine valeur pronostique [2]. Si le clampage de l'artère pulmonaire engendre une défaillance ventriculaire droite avec ou sans poussée hypertensive pulmonaire et si la situation n'est pas contrôlable pharmacologiquement, il est nécessaire de recourir à une CEC pour maintenir le débit cardiaque. La CEC donne aussi beaucoup plus de latitude à l'opérateur pour manipuler le coeur, et permet de réaliser les anastomoses des veines pulmonaires dans de meilleures conditions.
 
De lourdes comorbidités associées à des sténoses très proximales des troncs coronariens et à une dysfonction ventriculaire (FE < 0.25) peuvent être une contre-indication aux pontages aorto-coronariens. Toutefois, le risque de fibrillation ventriculaire et de collapsus circulatoire est trop élevé pour procéder à une dilatation et pose de stents par intervention coronaire percutanée (PCI percutaneous coronary intervention). On peut alors procéder à une PCI sous assistance circulatoire par une contre-pulsion intra-aortique ou une ECMO veino-artérielle.
 
L'application de la CEC à la chirurgie de l'aorte thoraco-abdominale est traitée dans le chapitre de la chirurgie de l'aorte (voir Chapitre 18 Protection médullaire); le soutien de l'hémodynamique à moyen et long terme est décrit dans le chapitre de l'insuffisance cardiaque (voir Chapitre 12 Assistance ventriculaire).
 
Monitorage
 
Pour l'anesthésiste, la mise en place d'un circuit de CEC impose le monitorage invasif habituel.
 
  • Cathéter artériel: la voie radiale est en général préférable en cas de CEC fémoro-fémorale, mais le choix de la position du cathéter dépend de la stratégie chirurgicale.
  • Voie veineuse centrale: elle est nécessaire pour l'administration des substances vasoactives et des agents d'anesthésie pendant la CEC, le débit des veines périphériques étant aléatoire.
  • Cathéter pulmonaire de Swan-Ganz: il est surtout utile dans le postopératoire pour gérer l'administration liquidienne et surveiller l'hémodynamique; en peropératoire, il renseigne sur la part du débit assuré par le coeur, et permet de monitorer la SvO2.
  • ETO: très utile pour contrôler la mise en place des canules intrathoraciques (positionnement en OD), elle assure une surveillance optimale de la performance des ventricules et de la volémie; l'ETO est nécessaire pour exclure ou monitorer une insuffisance aortique (risque de dilatation ventriculaire) et un FOP (risque d'embolie paradoxale). 
  • Comme le risque hémorragique est élevé, il est bon de disposer de voies veineuses périphériques de gros calibre. 
Lors d'une CEC de soutien, les échanges gazeux sont assurés à la fois par l'oxygénateur de la CEC et par les poumons du malade, en fonction du débit relatif de chacun des deux composants. Pour évaluer l'oxygénation, on dispose de quatre données.
 
  • SpO2: la saturométrie périphérique traduit la quantité d'O2 circulant effectivement en périphérie, mais elle est sujette à beaucoup d'artéfacts à cause des variations de résistance artérielle périphérique et de température. Elle n'est fiable que si le moniteur affiche une courbe correctement pulsée.
  • ScO2: la saturation cérébrale (NIRS, near-infrared spectroscopy) renseigne sur l'oxygénation périphérique des organes. Elle mesure un mélange de sang veineux (2/3) et de sang artérialisé (1/3). Sa valeur normale est 65%.
  • SvO2: la saturation veineuse centrale est mesurée en continu dans le retour veineux de la machine de CEC; elle est le meilleur indice de l'adéquation de l'apport d'O2 (DO2) par rapport aux besoins de l'organisme (VO2). Sa précision est fonction de l'endroit où est capté le sang par la canule veineuse (OD, VCI, veine iliaque). En dessous de 60%, le patient rentre dans la zone à risque; en dessous de 50%, le DO2 effectif est insuffisant: le débit cardiaque et la ventilation doivent être améliorés. L'équivalent d'une gazométrie veineuse centrale est obtenu en effectuant un prélèvement au niveau du réservoir veineux.
  • SaO2: placé sur le circuit artériel de la CEC, le capteur de SaO2 ne mesure que l'efficacité de l'oxygénateur de cette dernière; pour l'anesthésiste, il est une fausse sécurité parce que sa valeur voisine normalement 98-100%. 
  • Gazométrie artérielle: elle doit être effectuée au niveau du cathéter artériel périphérique, et non dans le circuit de CEC, où elle ne contrôlerait que le fonctionnement de l'oxygénateur. 
Il n'est pas rare que les divers capteurs de SO2 donnent des valeurs différentes. Il faut toujours être alerté par la valeur la plus basse et ne pas se consoler avec la SaO2 fournie par le perfusioniste. Dans le doute, il faut effectuer une gazométrie artérielle périphérique (idéalement dans l'artère radiale) et relever la SvO2 du retour veineux de CEC. La pertinence de la SvO2 mesurée au niveau du cathéter pulmonaire de Swan-Ganz est fonction du débit sanguin effectif à travers les poumons, c'est-à-dire du rapport entre le débit du coeur et celui de la pompe.
 
Anesthésie
 
Le démarrage d'une CEC partielle représente toujours un moment d'instabilité à cause de l'hémodilution soudaine par le volume d'amorçage de la pompe, et du risque de vider le malade en captant trop de sang dans le retour veineux vers le réservoir. La CEC de soutien présente des caractéristiques bien particulières.
 
  • Deux pompes artérielles distinctes: le coeur du patient et la machine de CEC;
  • Une précharge commune: le volume de l'OD ou de la VCI;
  • Deux systèmes de ventilation parallèles: les poumons et l'oxygénateur.
Le résultat est un équilibre plus ou moins stable entre le système-patient (coeur et poumons) et le système-machine (pompe et oxygénateur). Il dépend de la contribution proportionnelle de chacun au débit artériel et à la ventilation. Cela va de la décharge complète du coeur à l'assistance partielle pour normaliser la température ou l'oxygénation, et se traduit par une courbe de pression artérielle quasi-dépulsée dans un cas ou une simple augmentation de la diastolique dans l'autre. Il est prudent de maintenir une éjection ventriculaire résiduelle pour prévenir la formation de thrombus intraventriculaire. Une décharge insuffisante du VG se traduit par une dilatation ventriculaire qui met en danger la survie. Le malade est ventilé à la fois par l'oxygénateur de la CEC et par le respirateur, la proportion de chaque système étant fonction du débit relatif de la CEC et de l'artère pulmonaire. Lorsqu'on utilise un halogéné comme agent d'anesthésie, il est important d'en régler une concentration inspirée identique sur l'oxygénateur et sur le respirateur, sans quoi le gaz qui entre par un système va ressortir par l'autre. 
 
Le partage de la précharge conduit à des transvasages liquidiens massifs et des échanges médicamenteux constants entre les deux circuits, alors que les pressions artérielles sont assurées par deux pompes séparées et indépendantes. Il faut admettre un certain degré de "roulis rythmique" entre les pressions mesurées en artère radiale et en artère fémorale, et éviter toute sur-correction qui aggrave ce balancement. La méthode la plus fiable est de jouer sur la capacité de la CEC à stocker du sang: le perfusionniste augmente son retour veineux et emmagasine provisoirement du volume dans le réservoir en cas d'hypertension, ce qui diminue la précharge du coeur. Au contraire, il freine son retour en cas d'hypotension, ce qui augmente la précharge du coeur; il rajoute du volume dans la machine  pour maintenir le débit de celle-ci. La précharge de la CEC est réglée par le débit de sortie du réservoir veineux. 
 
La postcharge (résistance artérielle systémique) est commune aux deux systèmes, mais la pression générée est fonction de la participation respective du coeur et de la pompe. L'administration d'agent hypo- ou hypertenseurs intraveineux n'intervient que lorsque la pression ne peut pas être équilibrée par le jeu du réservoir veineux ou l'adjonction de volume. En général, le débit-machine ne doit pas descendre en dessous de 1.0 L/min à cause du risque de thrombose dans l'oxygénateur. L'adéquation du débit global est jugée par la SpO2, la ScO2, la gazométrie artérielle périphérique, la SvO2 et la diurèse, qui doit être idéalement de 0.5-1 mL/kg/heure. 
 
Il est prudent d'avoir une réserve de sang et de facteurs de coagulation suffisante parce qu'une hémorragie profuse est courante lorsqu'on anticoagule un patient au cours d'une intervention chirurgicale majeure ou pendant un soutien circulatoire de plus de 24 heures. Des hémorragies jusqu'à 1000 mL/h peuvent survenir dans 20% des cas [1,5]. 
 
 
 
 CEC de soutien
Un circuit de CEC peut être nécessaire pour maintenir l’hémodynamique et/ou la ventilation pendant des interventions non-cardiaques mettant momentanément hors-circuit le cœur ou les poumons. Particularités :
    - Deux pompes : le cœur et la machine de CEC (concurrence potentielle)
    - Une seule précharge : retour veineux cave    
    - Deux système ventilatoires : les poumons et l’oxygénateur 
    - Température minimale 32°C (risque de fibrillation ventriculaire < 32°C)
    - Monitorage comme en chirurgie cardiaque
    - Surveiller SpO2 et SvO2
    - Fi des gaz identique sur le respirateur et l’oxygénateur
    - Gérer la pression artérielle en variant la précharge par le réservoir veineux de la CEC


© CHASSOT PG, GRONCHI F, Avril 2008, dernière mise à jour, Avril 2018
 
 
Références
 
  1. BIRNBAUM DE. Extracorporeal circulation in non-cardiac surgery. Eur J Cardiothorac Surg 2004; 26:S82-5
  2. DE HOYOS A, DEMAJO W, SNELL G, et al. Preoperative prediction for the use of cardiopulmonary bypass in lung transplantation. J Thorac Cardiovasc Surg 1993; 106:787-96
  3. LIMATHE J, ATMACA N, MENGHESHA, D, KRIAN A. Combined procedures using the extracorporeal circulation and urologic tumor operation - experiences in six cases. Interact Cardiovasc Surg 2004; 3:132-5
  4. MURRAY MJ, COOK DJ. Noncardiovascular applications of cardiopulmonary bypass. In: GRAVLEE GP, ed. Cardiopulmonary bypass, principles and practice. Philadelphia: Lippincott, Williams & Wilkins, 2000, 704-23
  5. SCHWARZ B, MAIR P, MARGREITER J, et al. Experience with percutaneous venoarterial cardiopulmonary bypass for emergency circulatory support. Crit Care Med 2003; 31:758-64