8.5.3 Tests de coagulation peropératoires

Les situations difficiles évoluent rapidement en salle d’opération. Les examens classiques de la coagulation nécessaires à choisir la thérapeutique la plus appropriée occasionnent un délai souvent trop long (45-90 minutes) et dépendent de la disponibilité d’un laboratoire d’hématologie. D’autre part, les tests conventionnels (TT, aPTT, TP, INR, etc) ne reflètent que la mise en route de la cascade coagulatoire in vitro et n’apportent aucun renseignement sur la participation des plaquettes, ni sur la stabilité du caillot, ni sur la fibrinolyse [28]. Ils sont de faibles prédicteurs du risque hémorragique. Le développement de tests faisables au lit du malade (POC tests : point-of-care tests) a changé la donne, même si ces tests ne sont pas aussi fiables que ceux pratiqués dans un laboatoire spécialisé. D'un point de vue pratique, on peut grouper ces tests en 4 catégories.
 
  • Tests conventionnels de la cascade coagulatoire in vitro (TP, aPTT, TT);
  • Temps de coagulation activée (ACT);
  • Tests de résistance viscoélastique du caillot (TEG™, ROTEM™, Sonoclot™);
  • Tests d'agrégabilité plaquettaire (Multiplate™, VerifyNow™, PFA-100™, etc).
L’implémentation de ces tests dans la routine de chirurgie cardiaque a pour objectif d'individualiser la prise en charge et de gérer l'hémostase de manière dirigée au lieu de perfuser divers composants de manière indiscriminée. On a déjà démontré qu’elle permet de diminuer le taux d’hémorragie postopératoire, la consommation de produits sanguins et la morbidité par rapport à la prise en charge conventionnelle [27]. Mais elle implique une formation adéquate du personnel d’anesthésie et un contrôle de qualité permanent.
 
Tests conventionnels
 
Les test de coagulation habituels sont facilement disponibles, mais sont diversement influencés par les différents anticoagulants (voir Monitorage et Tableau 8.4) [2,17].
 
  • Le TP et l'INR sont l'examen de choix pour les agents anti-vitamine K. Le TP est sensible aux agents anti-Xa directs (rivaroxaban, apixaban, edoxaban), mais insensible aux agents anti-IIa directs (dabigatran). Il est partiellement corrélé au taux plasmatique de rivaroxaban, mais moins bien au taux d'edoxaban et très peu au taux d'apixaban. Un TP normal n'exclut pas un effet anticoagulatoire des xabans.
  • L'aPTT est performant pour évaluer l'effet de l'héparine non-fractionnée (HNF), mais très approximatif pour les héparines à bas poids moléculaire (HBPM). L’aPTT est sensible au dabigatran mais de manière non-linéaire; il est non-sensible aux xabans. Un aPTT normal n'exclut pas un effet anticoagulatoire du dabigatran.
  • Le TT (temps de thrombine) est hypersensible au dabigatran; un TT normal exclut la présence de la substance. Cet excès de sensibilité est corrigé par le TT dilué (dTT) et calibré pour le dabigatran (Hemoclot™), qui permet une détermination quantitative de son effet.
  • Les tests anti-Xa calibrés pour l'anticoagulant recherché sont requis pour un dosage quantitatif de l'effet des HBPM, du fondaparinux et des xabans. 
 
ACT
 
Le test le plus utilisé en chirurgie cardiaque est l’ACT (Activated clotting time) : du sang complet est mis en contact avec un activateur de la voie intrinsèque (célite, kaolin, verre ou une combinaison de ces produits), et réchauffé à 37°C. L’appareil mesure le temps nécessaire à transformer le sang liquide en un gel coagulé. Les résultats sont prolongés en cas de déficience en facteurs de la voie intrinsèque (facteur XII, prékallikréine) ou en fibrinogène, et en présence d’aprotinine; cette dernière allonge l’ACT utilisant la célite comme activateur. Il est donc préférable de recourir à un test au kaolin lorsque le patient reçoit de l’aprotinine [6]. L’ACT est essentiellement utilisé pour quantifier l’effet de l’héparine ; bien qu’il soit très sensible, il est peu spécifique.
 
La valeur de l’ACT normal est située entre 80 et 120 secondes. L’ACT minimal nécessaire pour éviter des problèmes thrombotique ou hémorragique pendant une CEC est toujours discutée, mais une valeur > 450 secondes, correspondant à une héparinémie de > 2 U/mL, est généralement acceptée comme référence pour les circuits standards, et une valeur de > 250 secondes pour les circuits pré-héparinés. Si l'ACT est < 400 secondes (ou < 250 secondes), il est recommandé de ne pas commencer la CEC sans ajouter une dose supplémentaire d'héparine (5'000 – 10'000 UI) ; on procède à un nouveau contrôle après 3 minutes [13]. Il se peut que l’ACT ne s’allonge pas suffisamment malgré une dose adéquate d’héparine; il s’agit probablement d’une résistance à l’héparine liée à un défaut en AT III (voir Coagulopathie peropératoire). Bien que linéaire, la corrélation de l’ACT avec la concentration plasmatique d’héparine est n’est pas exacte: l’ACT tend à sous-estimer l’héparinémie réelle. De ce fait, il se peut que le blocage de la thrombine et de la fibrinolyse soit moins complet qu’attendu [3]. 

Thromboélastographie
 
La thromboélastographie décrite par Hartert en 1948 est une manière élégante et rapide d’évaluer le développement et la résistance physique du thrombus formé au cours du processus coagulatoire, et sa dissolution au cours de la fibrinolyse. L’échantillon de sang complet est placé dans une petite cuve chauffée à 37°C ; le développement de la fibrine se traduit par un couplage progressif des mouvements rotatoires entre la cuvette et une tige qui y est plongée (Figure 8.16). 


Figure 8.16 : Systèmes de thromboélastographie. A: système TEG™; le couplage progressif des mouvements de la cuve (oscillation de 4°45’ autour de son axe) avec ceux d’une tige est enregistré par un capteur électromagnétique ; il traduit la formation et la solidité des ponts de fibrine. B: système ROTEM™; les mouvements oscillatoires sont impartis à la tige et non à la cuve et la transmission est optique et non électro-magnétique [d’après référence 25].
 
Le signal électrique est affiché sous forme d’une trace dont la déflection est proportionnelle à la solidité du caillot (Figure 8.17). 
 

Figure 8.17 : Thromboélastogramme. A: représentation schématique d’un thromboélastogramme normal. TC: temps de coagulation. TFC: temps de formation du caillot (temps écoulé entre le début de la formation du caillot et une amplitude de courbe de 20 mm). A10: amplitude 10 minutes après le TC. FMC: fermeté maximale du caillot. IL: index de fibrinolyse. α: angle représentant la pente du TFC, mesurée entre le point de démarrage du caillot et une amplitude de 20 mm. B: Illustration de thromboélastogrammes correspondant à différentes pathologies [d’après référence 25].
 
Cette trace permet de mesurer une série de paramètres correspondant aux propriétés visco-élastiques du thrombus sous une force de cisaillement correspondant à celle qui règne dans la circulation veineuse [25].
 
  • TC (temps de coagulation) : temps écoulé entre le début de la mesure et le début de la formation du caillot. Valeur normale : 55 secondes; la valeur normale varie selon le type de test.
  • TFC (temps de formation du caillot) : temps écoulé entre le début de la formation du caillot et une amplitude de courbe de 20 mm. Valeur normale : 95 secondes; la valeur normale varie selon le type de test.
  • Angle alpha (pente du TFC) : vitesse de formation de la fibrine. Valeur normale : 22-38° (sang natif), 53-67° (activation par kaolin).
  • A10: amplitude 10 minutes après le temps de coagulation (TC); valeur normale : 43-68 mm. Une amplitude de 0 mm signifie une absence totale de thrombus; le maximum de 100 mm indique que le système est complètement bloqué par le caillot (au-delà de 10 minutes).
  • FMC (fermeté maximale du caillot, exprimée en mm) : amplitude maximale du tracé, en général à la 15ème minute ; il définit les propriétés visco-élastiques finales du caillot. Valeur normale : 47-71 mm.
  • IL, LM (index de lyse, ou lyse maximale) : pourcentage de la fermeté du caillot (FMC) à 30 ou 60 minutes. Valeur normale : < 18% à 60 minutes.
Il existe deux modèles de thromboélastographie en version utilisable au lit du malade (POC-test): le thromboélastogramme (TEG™) et le thromboélastomètre rotatoire (ROTEM™). Dans le système TEG™, le sang est placé dans une cuvette qui oscille sur son axe de 4°45’; le développement de la fibrine se traduit par un couplage progressif des mouvements du tube avec ceux d’une tige, dont les oscillations sont enregistrées par un capteur électromagnétique La technologie du ROTEM diffère en ce sens que les mouvements oscillatoires sont impartis à la tige et non à la cuve et que la transmission est optique et non électro-magnétique (Figure 8.16). Le système est plus stable et plus simple d’emploi. L’échantillon consiste en sang citraté et recalcifié ; il est réparti en aliquots additionnés de différents activateurs (figurant entre parenthèses dans la liste ci-dessous) permettant plusieurs analyses en parallèle. Outre le temps de coagulation et la cinétique du caillot, le ROTEM™ offre ainsi plusieurs autres données (Figure 8.18) [24].
 

Figure 8.18 : Exemples de tracés thromboélastographiques ROTEM™. A: tracé normal. B: tracé de thrombocytopénie. C: tracé de fibrinolyse excessive. D: tracé sous héparinisation complète (CEC). MCF: fermeté maximale du caillot. CT : temps de coagulation. ML : lyse maximale (pourcentage de MCF à 60 minutes) [d’après référence 24].
 
  • INTEM (+ acide ellagique + phospholipide + calcium): information sur la voie intrinsèque ; le TC de l’INTEM est équivalent à l’aPTT.
  • EXTEM (+ facteur tissulaire + calcium): information sur la voie extrinsèque, équivalente au TP.
  • HEPTEM (acide ellagique + héparinase): neutralisation de l’héparine par de l’héparinase ; permet de diagnostiquer des anomalies alors que le patient est sous héparine (CEC).
  • APTEM (facteur tissulaire, calcium, + aprotinine): neutralisation de la fibrinolyse par de l’aprotinine ; met en évidence une hyperfibrinolyse en comparaison avec l’EXTEM.
  • FIBTEM (élimination de la participation plaquettaire au caillot par la cytochalasine D): évaluation de la fonctionalité du fibrinogène, puisque la formation du thrombus ne dépend plus que de ce dernier.
  • ECATEM (+ écarine): information équivalente à l’Ecarin clotting time pour l’évaluation des inhibiteurs directs de la thrombine (bivalirudine, desirudine, dabigatran).
L’EXTEM, l’INTEM et l’APTEM sont directement asociés aux taux de fibrinogène et de plaquettes [26]. L'HEPTEM associé à l'INTEM autorise un diagnostic des anomalies de facteurs de la coagulation alors que le patient est sous héparine en CEC; on peut ainsi prévoir quels seront les éléments à corriger après la sortie de pompe [22]. Le prolongement du TC de l'INTEM (> 240 sec) et de l'EXTEM (> 100 sec), ainsi que l'allongement de la FMC et la réduction de l'angle alpha, sont utiles pour déterminer les besoins en PCC (Prothrombin  complex concentrate), qui contient les facteurs II, VII, IX, X [8]. Toutefois, un excès d'héparine ou de protamine peut également prolonger l'INTEM-TC. Une valeur de FIBTEM A10 < 5 mm est un bon indicateur d'hypofibrinogénémie (< 1 g/L) ; un FIBTEM de 10 mm correspond à environ 2 g/L de fibrinogène (méthode de Clauss) ; si la FMC de l’EXTEM ne s’améliore pas après perfusion de fibrinogène, l’indication est posée à une transfusion de plaquettes. La comparaison entre EXTEM et FIBTEM permet le diagnostic différentiel entre thrombocytopénie et hypofibrinogénémie, ce qui offre la possibilité de n'administrer que l'élément en défaut. Toutefois, la fonction plaquettaire n'est pas correctement investiguée par la thromboélastographie, sauf dans une version spécifique du système TEG (TEG-PlateletMapping™). Les premiers résultats de ces tests tombent en 5 à 10 minutes, mais il faut attendre jusqu’à 60 minutes pour un examen complet (selon la durée de la fibrinolyse). Comme ces tests ont une haute valeur prédictive négative, leur normalité en présence d’hémorragie est une indication formelle à une reprise chirurgicale [17]. 
 
Agrégabilité plaquettaire    
 
Le thromboélastogramme ne dit malheureusement rien sur la fonction plaquettaire. Il est donc judicieux de lui adjoindre un test d’agrégabilité plaquettaire, mais celle-ci est un phénomène complexe et multifactoriel, dont il est malaisé de juger la fonctionalité avec un examen standard, rapide et univoque. Plusieurs examens sont disponibles mais ils évaluent des mécanismes différents du fonctionnement des plaquettes ; leur degré de cohérence est modeste. De ce fait, il n’existe pas de consensus clair sur la meilleure méthode à utiliser ni sur la valeur à considérer comme le seuil au-delà duquel le risque hémorragique devient très élevé. Deux appareils sont fréquemment utilisés en peropératoire (voir Chapitre 29, Tests d’activité plaquettaire) [4,5].
 
  • Multiplate Electrode Aggregometry (MEA™). Il est fondé sur l’augmentation de l’impédance électrique entre des électrodes plongées dans le plasma lorsque celles-ci se recouvrent d’amas plaquettaires. Il mesure l’agrégation entre thrombocytes par les récepteurs GP-IIb/IIIa, point de convergence de la stimulation de tous les autres récepteurs plaquettaires. Il évalue l’agrégation liée à différents agents selon l’agoniste utilisé: aspirine (acide arachidonique), bloqueurs du récepteur ADP (ADP). 
  • VerifyNow™. Cet examen mesure la baisse de densité optique lorsque les plaquettes forment des agrégats, facilités par la présence de microbilles recouvertes de fibrinogène. Il évalue l’agrégation entre thrombocytes par les récepteurs GP-IIb/IIIa. Selon l’agoniste utilisé, il mesure l’agrégation liée à différentes substances : acide arachidonique (aspirine) ou ADP (clopidogrel, prasugrel, ticagrelor). Le test est simple, rapide, semi-automatique, basé sur l’utilisation de cartouches ne réclamant aucun pipettage. Il se réalise au lit du malade. Il n’est fiable que dans les limites normales du taux plaquettaire et de l’hématocrite. Il est relativement peu sensible aux très hauts et très bas degrés d’inhibition plaquettaire. Le VerifyNow™ est l’examen actuellement le plus utilisé et le mieux validé dans les essais cliniques.
Ces tests d’agrégabilité plaquettaire effectués avant l’héparinisation permettraient de prévoir quels sont les patients qui réclameront le plus de transfusions érythrocytaires et plaquettaires : une inhibition de > 60% identifie 72-91% des patients polytransfusés. Ils ont une meilleure valeur prédictive que le délai entre l’opération et la dernière prise de clopidogrel [22]. Lorsque leurs plaquettes sont inhibées à > 70%, les patients ont 11 fois plus de risque d’être transfusés, quelle que soit la durée d’interruption (surface sous la courbe ROC pour valeur-seuil à 70% : 0.77) [19]. Cependant, hormis quelques applications spécifiques, aucun des tests utilisés actuellement ne détecte adéquatement les hypo- ni les hyper-répendeurs aux antiplaquettaires ; aucun ne permet d’individualiser le traitement de façon à améliorer significativement les résultats cliniques [11]. La dysfonction plaquettaire liée à l'hypothermie (< 33°C) étant réversible, il convient d'effectuer les tests sur du sang réchauffé à 37°C.
 
Prise en charge ciblée
 
Pendant longtemps, l’hémostase a été assurée de manière empirique et aveugle, car on ne disposait pas de critères objectifs ni d’évidences cliniques sur lesquels fonder une attitude rationnelle pour l’administration des procoagulants. La situation a beaucoup évolué ces dix dernières années avec la mise au point de tests de coagulation spécifiques faciles à réaliser en salle d’opération. Ceci a permis de définir des stratégies logiques dirigées sur des cibles précises (goal-directed), qui évitent de donner à l’aveugle une quantité de produits sans rapport avec les besoins réels. Un algorithme basé sur l'utilisation du thromboélastogramme et d’un test d’agrégabilité plaquettaire permet de déterminer l’origine du saignement et de stratifier l'administration des différents facteurs hémostatiques en fonction des lacunes décelées (exemple basé sur le ROTEM™ à la Figure 8.19) [7,12,23]. 


Figure 8.19 : Exemple d’algorithme pour l’administration des agents hémostatiques basé sur l’utilisation du ROTEM™ en fin de CEC et complété par un test de fonction plaquettaire (CHUV, Lausanne) [12]. Il est recommandé de procéder à un nouveau test après le renversement de l’héparine par la protamine. TC: temps de coagulation (secondes). LM: lyse maximale du caillot à 60 minutes (%). FMC: fermeté maximale du caillot (mm).
 
Dans sa version pour la chirurgie cardiaque, cet algorithme est variable selon les institutions, mais est en général constitué de plusieurs étapes identiques (voir Hémothérapie peropératoire) [1,7,12,27,28].
 
  • Correction des altérations physiologiques: maintien du pH > 7.3, de la température > 36°C, du [Ca2+]i > 1 mmol/L, et de l'Ht > 25%.
  • Hémostase chirurgicale soigneuse, compression, coagulation, colles tissulaires.
  • Mesures thérapeutiques prises en fonction des résultats des gazométries, des thrombo-élastogrammes et des tests d'activité plaquettaire réalisés sur place (point-of-care tests), complétés par des taux de plaquettes et de fibrinogène (laboratoire). La première batterie de tests est effectuée pendant le réchauffement de CEC, avant la sortie de pompe, et le traitement entrepris dès que la mise en charge est réalisée (la perfusion de facteurs de coagulation pendant la CEC risque de thromboser les filtres). 
  • Si TCIN > 240 sec mais TCHEP normal: protamine (0.8 mg pour 1 mg d'héparine) pour ACT < 130 sec.
  • Administration d'un antifibrinolytique (LMAP > 15%): acide tranexamique ou acide ε-amino-caproïque (voir Antifibrinolytiques).
  • En cas de persistance des saignements malgré les mesures conventionnelles:
    • Si TCIN et TCHEP > 240 sec + TCEX > 80 sec: fibrinogène (selon taux plasmatique), PFC (si hypovolémie).
    • Si FMCFIB < 9 mm: fibrinogène; maintenir le taux > 2.0 g/L avec Fibrinogène™ 25-50 mg/kg; assurer la correction du fibrinogène est la première mesure à prendre dans la correction des facteurs de coagulation.
    • Si FMCFIB > 9 mm et thrombopénie (taux < 50'000/mcL) : thrombocytes (5 U).
    • Si agrégabilité plaquettaire abaissée (Multiplate™, VerifyNow™): desmopressine (0.3 mcg/kg), thrombocytes (2-5 U) (voir Normalisation des plaquettes).
    • Si monomères de fibrine + FMC < 9mm: facteur XIII (Fibrogammin P® 10-30 UI/kg) [16].
    • Si baisse des facteurs II, VII, IX et X: concentré de complexe prothrombinique (PCC) avec 3 ou 4 facteurs (20-30 UI/kg) (voir Facteurs de coagulation).
  • Mesures extrêmes (sauvetage), pour autant que soient normalisés l'Ht (> 25%), le fibrinogène (> 2.0 g/L), la calcémie (> 1 mmol/L) et les plaquettes (> 70'000/mcL), justifiée seulement en cas d’hémorragie persistante malgré l’utilisation de tous les moyens hémostatiques, inclus la chirurgie, l'endoscopie et la radiologie interventionnelle: 
    • PCC activé (FEIBA™, 50 UI/kg).
    • Facteur rVIIa (NovoSeven™, 90 mcg/kg).
  • La chute de l'Hb < 70 g/L commande la transfusion de poches de sang; à partir de 4 unités, il est de routine d'administrer simultanément du PFC dans un rapport 1:1 [7]. 
Cette manière de faire est basée sur une utilisation sélective des différents éléments impliqués dans l’hémostase, et non dans une administration à l’aveugle du maximum de composants qui rappelle la phrase fameuse du Maréchal Ney (1769-1815) : "L’abondance de la mitraille compense l’imprécision du tir ".
 
Plusieurs études cliniques ont déjà démontré les bénéfices de cette attitude. L’adoption d’un algorithme basé sur la thromboélastométrie permet d’économiser les transfusions sanguines (RR 0.88), les transfusions plaquettaires (RR 0.78) et le plasma frais décongelé (RR 0.68); elle réduit l’incidence de transfusions massives de 2.5 fois; elle diminue de moitié le taux de ré-exploration chirurgicale pour hémostase et celui d’évènements thrombo-emboliques. La durée du séjour en soins intensifs tend à baisser (- 31 heures) [23]. Par contre, elle augmente l’utilisation de fibrinogène et de PCC (concentré de complexe prothrombinique) [9,10]. Une première étude contrôlée et randomisée (100 patients de chirurgie cardiaque) comparant un guidage par des tests conventionnels à un guidage par thromboélastographie (ROTEM™) et agrégométrie plaquettaire (Multiplate™) démontre clairement que le suivi ciblé diminue les transfusions (5 versus 3 poches), l’administration de PFC (5 versus 0 unités) et l’utilisation de facteur VIIa (12 versus 1 patients traités), mais aussi la morbidité (insuffisance rénale, sepsis, thrombose) et la mortalité (20% versus 4%, p = 0.013) [27]. Une deuxième étude corrobore ces résultats: l’administration de produits sanguins selon un algorithme basé sur le ROTEM™ diminue significativement le taux de transfusions érythrocytaires (OR 0.50), de plaquettes (OR 0.22) et de PFC (OR 0.20) sans modifier les perfusions de fibrinogène [15]. Une troisième étude (7'402 patients) confirme que l'implantation de la thromboélastographie dans un algorithme de transfusion pour les produits dérivés permet de réduire les transfusions érythrocytaires de 13%, les transfusions de plaquettes de 24% et les saignements de 20%; par contre, l'administration de facteurs de coagulation tend à augmenter (+ 26%) [14]. Les mesures de sauvetage comme les transfusions massives, la ré-exploration chirurgicale et le Facteur VIIa sont moins fréquentes, sans que le taux de complications soit modifié. Dans les situations à haut risque hémorragique comme la chirurgie cardiaque, les polytraumatismes ou la transplantation hépatique, tout porte à croire qu’une gestion ciblée de la coagulation diminue les coûts globaux [18].
 
Bien qu'elle permette de mieux orienter la thérapeutique en cas de saignement, la thromboélastométrie n'offre qu'une faible valeur prédictive positive pour le risque hémorragique en sortant de CEC. Sa valeur prédictive négative est élevée (89-94%), mais elle ne peut pas déterminer quels sont les patients susceptibles de fortes pertes sanguines postopératoires, contrairement à sa bonne capacité prédictive dans le polytraumatisme. Seul le temps de coagulation à l'INTEM et à l'HEPTEM présente une certaine corrélation avec le risque hémorragique (r = 0.67 et 0.66 respectivement) [20]. Les meilleurs prédicteurs de saignement restent la durée de CEC, la complexité de la chirurgie et un rapport protamine:héparine > 1 [21]. Le bénéfice le plus important des tests comme le ROTEM est essentiellement d'enrichir les connaissances des anesthésistes dans le domaine de la coagulation et, par ce biais, d'améliorer la prise en charge des patients. 
 
 
 
 Tests de coagulation peropératoires
Tests réalisés en salle d’opération dans un délai de < 20 minutes qui permettent de stratifier l'administration des différents facteurs hémostatiques en fonction des déficits spécifiques décelés au lieu de perfuser divers agents de la coagulation de manière indiscriminée.
 
ACT : temps de coagulation activé (normal 80 - 120 sec), utilisé pour le suivi de l’héparinisation. Valeur recherchée :
    - CEC conventionnelle > 450 sec
    - Circuit pré-hépariné 250-300 sec
    - Allongement insuffisant après une dose adéquate d’héparine : déficience en AT III
 
Thromboélastographie (TEG™, ROTEM™) : mesure du développement et de la résistance physique du thrombus, puis de sa dissolution au cours de la fibrinolyse.
    - Temps de coagulation
    - Temps de formation du caillot
    - Vitesse de formation de la fibrine
    - Fermeté maximale du caillot
    - Lyse maximale du caillot
Permet de différencier les besoins en protamine, antifibrinolytique, fibrinogène, thrombocytes ou facteurs de coagulation. 
 
Agrégabilité plaquettaire : évalue l’effet résiduel des antiplaquettaires (transfusion de plaquettes fraîches, desmopressine).
 
L’utilisation de ces tests au sein d’un algorithme basé sur l’administration ciblée de procoagulants permet de diminuer le taux d’hémorragie postopératoire, la consommation de produits sanguins et la morbidité par rapport à la prise en charge conventionnelle.


© CHASSOT PG, MARCUCCI C, Décembre 2013, dernière mise à jour, Novembre 2018
 
 
Références
 
  1. BROWN C, JOSHI B, FARADAY N, et al. Emergency cardiac surgery in patients with acute coronary syndromes : a review of the evidence and perioperative inmplications of medical and mechanical therapeutics. Anesth Analg 2011 ; 112 : 277-99
  2. CUKER A, SIEGAL DM, CROWTHER MA, et al. Laboratory measurement of the anticoagulant activity of the non-vitamin K oral anticoagulants. J Am Coll Cardiol 2014; 64:1128-39
  3. DESPOTIS GJ, JOIST JH, HOGUE CW, et al. More effective suppression of hemostatic system activation in patients undergoing cardiac surgery by heparin dosing based on heparin blood concentrations rather than ACT. Thromb Haemost 1996 ; 76 : 902-8
  4. FAVALORO EJ, LIPPI G, FRANCHINI M. Contemporary platelet function testing. Clin Chem Lab Med 2010; 48:579-98
  5. FERREIRO JL, SIBBING D, ANGIOLILLO DJ. Platelet function testing and risk of bleeding complications. Thromb Haemost 2010; 103:1128-35
  6. FINLEY A, GREENBERG C. Heparin sensitivity and resistance : management during cardiopulmonary bypass. Anesth Analg 2013 ; 116 :1210-22
  7. GHADIMI K, LEVY JH, WELSBY IJ. Perioperative management of the bleeding patient. Br J Anaesth 2016; 117(suppl 3):iii18-iii30
  8. GHADIMI K, LEVY JH, WELSBY IJ. Prothrombin complex concentrates for bleeding in the perioperative setting. Anesth Analg 2016; 122:1287-300
  9. GÖRLINGER K, DIRKMANN D, HANKE AA ; et al. First-line therapy with coagulation factor concentrates combined with point-of-care coagulation testing is associated with decrease allogeneic blood transfusion in cardiovascular surgery. Anesthesiology 2011 ; 115 : 1179-91
  10. GÖRLINGER K, FRIES D, DIRKMANN D, et al. Reduction of fresh frozen plasma requirements by perioperative point-of-care coagulation management with early calculated goal-directed therapy. Transfus Med Hemother 2012 ; 39 :104-13
  11. GOROG DA, FUSTER V. Platelet function tests in clinical cardiology. Unfulfilled expectations. J Am Coll Cardiol 2013; 61:2115-29
  12. GRONCHI F, RANUCCI M. Perioperative coagulation in cardiovascular surgery. In : MARCUCCI C, SCHOETTKER P, editors. Perioperative hemostasis. Coagulation for anesthesiologists. Heidelberg : Springer Verlag, 2014, 243-66
  13. JOBES DR. Safety issues in heparin and protamin administration for extracorporeal circulation. J Cardiothorac Vasc Anesth 1998; 12:17-20
  14. KARKOUTI K, CALLUM J, WIJEYSUNDERY D, et al. Point-of-care hemostatic testing in cardiac surgery. A stepped-wedge clustered randomized controlled trial. Circulatioon 2016; 134:1152-62
  15. KARKOUTI K, McCLUSKEY SA, CALLUM J, et al. Evaluation of a novel transfusion algorithm employing point-of-care coagulation assays in cardiac surgery. Anesthesiology 2015; 122:560-70
  16. KORTE WC, SZADKOWSKI C, GÄHLER A, et al. Factor XIII substitution in surgical cancer patients at high risk for intraoperative bleeding. Anesthesiology 2009; 110: 239-45
  17. KOZEK-LANGENECKER SA. Perioperative coagulation monitoring. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2010 ; 24 : 27-40
  18. KOZEK-LANGENECKER SA, AHMED AB, AFSHARI A, ALBALADEJO P, et al. Management of severe perioperative bleeding : Guidelines from the European Society of Anaesthesiology. First update 2016. Eur J Anaesthesiol 2017; 34: 332-95  
  19. KWAK YL. KIM JC, CHOI YS, et al. Clopidogrel responsiveness regardless of the discontinuation date predicts increased blood loss and transfusion requirement after off-pump coronary artery bypass graft surgery. J Am Coll Cardiol 2010; 56:1994-2002
  20. MEESTERS MI, BURTMAN D, VAN DE VEN PM, BOER C. Prediction of postoperative blood loss using thromboelastometry in adult cardiac surgery: cohort study and systematic review. J Cardiothorac Vasc Anesth 2018; 32:141-50
  21. MEESTERS MI, VEERHOEK D, DE LANGE F, et al. Effect of high or low protamine dosing on postoperative bleeding following heparin anticoagulation in cardiac surgery. Thromb Haemost 2016; 116:251-61
  22. RANUCCI M, BARYSHNIKOVA E, SORO G, et al. Multiple electrode whole-blood aggregometry and bleeding in cardiac surgery patients receiving thienopyridines. Ann Thorac Surg 2011; 91:123-30
  23. SERRAINO GF, MURPHY GJ. Routine use of viscoelastic blood tests for diagnosis and treatment of coagulopathic bleeding in cardiac surgery: updated systematic review and meta-analysis. Br J Anaesth 2017; 118:823-33
  24. TANAKA KA, BOLLIGER D, VADIAMUDI R, NIMMO A. Rotational thromboelastometry (ROTEM)-based coagulation management in cardiac surgery and major trauma. J Cardiothorac Vasc Anesth 2012 ; 26 :1083-93
  25. THAKUR M, AHMED A. A review of thromboelastography. Int J Periop Ultrasound Appl Technol 2012 ; 1 : 25-9
  26. THEUSINGER OM, SCHRÖDER CM, EISMON J, et al. The influence of laboratory coagulation tests and clotting factor levels on Rotation Thromboelalstometry (ROTEM™) during major surgery with hemorrhage. Anesth Analg 2013 ; 117 :314-21
  27. WEBER CF, GÖRLINGER K, MEININGER D. Point-of-care testing : a prospective randomized clinical trial of efficacy in coagulopathic cardiac surgery patients. Anesthesiology 2012 ; 117 : 531-47
  28. WEBER CF, KLAGES M, ZACHAROWSKI K. Perioperative coagulation management during cardiac surgery. Curr Opin Anaesthesiol 2013 ; 26 : 60-84