5.10.4 Le monoxyde d'azote (NO•)

Le NO est un transmetteur physiologique sécrété par les cellules endothéliales normales, qui induit une myorelaxation vasculaire par activation du GMPc. Il fonctionne également comme transmetteur cholinergique dans le système nerveux central et périphérique. Il inhibe modestement l'aggrégation plaquettaire et, en dose excessive, devient un agent cytotoxique.
 
Biochimie
 
Le NO est un radical libre issu de la transformation de la L-arginine en citrulline sous l'action de la NO-synthétase (NOS). Cet enzyme est une flavoprotéine qui existe sous deux isoformes: l'une est présente constitutivement dans l'endothélium des vaisseaux et dans le système nerveux central; elle est dépendante du calcium; l'autre est induite dans les macrophages par les cytokines et les endotoxines et participe aux systèmes de défense immunitaire de l'organisme, par exemple dans la sepsis [11]. Les deux formes sont inhibées par les analogues de la L-arginine, tels la NG monométhyl L-arginine (LNMMA). Les atomes d'oxygène du NO et de la citrulline proviennent de l'O2; en son absence, la NO-synthétase est inhibée. L'hypoxie désactive donc la vasodilatation dépendant du NO et potentialise les spasmes vasculaires [8]. 
 
De l'endothélium où il est sécrété, le NO diffuse très librement vers le muscle lisse vasculaire où il active un enzyme hémoprotéique, la guanylate-cyclase, ce qui entraîne la formation de guanosine monophosphate cyclique (GMPc) à partir de GTP; par liaison à une protéine-kinase, cette dernière est à l'origine de la myorelaxation: le Ca2+ libre baisse dans le myocyte vasculaire par extrusion de la cellule ou recaptage par le réticulum sarcoplasmique [12]. Mais le NO peut activer d'autres enzymes protéiques que le GMPc et interférer ainsi avec de nombreux processus mitochondriaux et cellulaires; ces phénomènes participent probablement à sa toxicité potentielle (peroxydation des lipides de la membrane, altération du surfactant, apoptose). Le NO est aussi présent dans l’endothélium des cavités cardiaques, où sa production induit un effet inotrope négatif ; les cytokines comme le TNFα et l’IL-6, par exemple, ont un effet inotrope négatif marqué par le biais d'une synthèse accrue de NO endocardique [2]. Les anti-phsophodiestérases-5 comme le sildenafil (Viagra®) inhibent la dégradation du GMPc et agissent comme le NO ; ce sont de bons vasodilatateurs pulmonaires [6].
 
La demi-vie du NO dans l'organisme, où il est à l'état gazeux, est très brève: 5-10 secondes [11]. De plus, il réagit très activement avec nombre de substances, notamment l'oxygène et les métalloprotéines à noyau hème. Ainsi, son affinité pour l'hémoglobine est 1’500 fois plus élevée que celle du CO; elle conduit à une fixation rapide par cette dernière avec formation de nitrosyl-hémoglobine, qui est oxydée en méthémoglobine; celle-ci n'est pas augmentée lors d'inspiration de NO à moins de 80 ppm (taux normal: jusqu'à 0.5%), et n'a pas dépassé 1.3% lors d'administration à long terme [13]. Le NO est donc inactivé de façon immédiate dès qu'il est solubilisé dans le sang, même à des concentrations inhalées de 1’000 ppm: il est sans effet systémique lorsqu'il est administré par voie aérienne. 
 
L'instabilité du NO• est à l'origine de sa toxicité: en présence d'O2 il s'oxyde rapidement en NO2 de manière proportionnelle à la quantité de NO en présence, à la FiO2 et au temps de contact entre les deux. Le NO2 est un polluant produit par les combustions à haute température (moteur à essence, cigarette, etc); il provoque des lésions pulmonaires graves (œdème pulmonaire), proportionnelles à sa concentration et à sa durée d'exposition: activation des cytokines pro-inflammatoires, hyperplasie alvéolaire, hypertrophie de l'épithlium bronchique [10]. Il est important de mesurer la concentration de NO2 dans les gaz ventilés lors de l'administration clinique de NO: elle doit rester inférieure à 1 ppm si la durée est prolongée, ou à 5 ppm pour des expositions brèves [3]. L'homme peut respirer une moyenne de 25 ppm de NO sans risque. Pour des périodes brèves, cette valeur peut monter à 80 ppm [12]. A titre d’exemple, un trafic automobile lourd produit 1.5 ppm, et la fumée de cigarette jusqu’à 1'000 ppm. Par contre, le NO2 provoque des lésions pulmonaires dès une concentration de 2 ppm. 
 
Physiopathologie
 
La production locale de NO maintient activement une vasodilatation dans les vaisseaux résistifs. Les principaux stimuli physiologiques à sa formation sont le flux pulsatile et la pression d'étirement exercée sur la paroi vasculaire [14]. Il faut que les cellules endothéliales soient normales et intactes: sa synthèse est perturbée dans les lésions endothéliales extensives (athérosclérose, ischémie) ou lors de manipulations agressives de l'endothélium (greffons vasculaires, endartériectomies). A une augmentation du flux sanguin et du stress de paroi, l’endothélium normal répond pas une vasodilatation liée au NO, mais l’endothélium malade répond par une vasoconstriction due à une sécrétion excessive d’endothéline. De manière analogue, des substances comme l'acétylcholine, la bradykinine ou l'histamine, ont un effet dilatateur sur les vaisseaux normaux, mais vasoconstricteurs en cas de lésions endothéliales. Des substances normalement vasodilatatrices ont une activité vasoconstrictrice puissante dans les pneumopathie sévères, les transplantation pulmonaires, les hypertensions pulmonaires chroniques ou après des CEC prolongées [1]. Au niveau des vaisseaux coronariens, le tonus vasculaire de base est réglé par une sécrétion constante de NO par l'endothélium. L'hypoxie en augmente la production et provoque une dilatation puissante. Dans l'artériosclérose, l'hypertension et le diabète, la production et/ou la réactivité coronarienne locale au NO sont perturbées.
 
Le NO est produit en permanence dans la circulation pulmonaire, où il maintient une vasodilatation active, particulièrement dans les vaisseaux résistifs périalvéolaires de petit diamètre. L'hypoxie inhibe son activité et induit localement une vasoconstriction. A raison de 5 à 80 ppm dans les gaz inspirés, il est possible de renverser une vasoconstriction pulmonaire non-fixée sans vasodilatation systémique. Les résistances vasculaires pulmonaires baissent de 10 à 35% selon les séries; l'effet, directement dépendant de la dose, s'installe en 1 à 3 minutes, mais disparaît rapidement à l'arrêt du NO [4]. Par contre, il n'est pas possible d'abaisser les RAP en-dessous de leur valeur de base chez un individu normal. Les résultats expérimentaux chez l'animal démontrent l'extrême efficacité du NO sur des modèles de vasoconstriction pulmonaire hypoxique induite activement dans des poumons normaux [3]. Cependant, la réactivité est loin d'être identique dans les situations cliniques où les vaisseaux pulmonaires sont anormaux et où l'hypertension possède une composante fixée. L’avantage du NO sur les autres vasodilatateurs artériels est sa capacité à ne vasodilater que les zones ventilées, et à ne pas interférer avec la vasoconstriction des zones non-ventilées ; ainsi la saturation artérielle ne baisse pas [4]. Les vasodilatateurs pharmacologiques à effet pulmonaire sont des substances qui provoquent une hypotension systémique importante, car aucun d'entre eux n'est un vasodilatateur spécifique de l'arbre pulmonaire. Ils ont de plus la potentialité d'augmenter l'effet shunt par blocage de la vasoconstriction pulmonaire hypoxique et d'aggraver les échanges gazeux (↓ PaO2), ce que ne font ni l'hyperventilation ni le NO. L’arrêt du NO peut induire une poussée hypertensive pulmonaire par effet rebond [7].
 
Le NO a également une activité inhibitrice sur l’adhésivité plaquettaire, une activité bactéricide au niveau des macrophages et des neutrophiles polynucléaires, et une activité myorelaxante au niveau des bronches. L'inhalation de NO diminue les résistances des voies aériennes et augmente la compliance dynamique pulmonaire [9]; cette bronchodilatation, démontrée seulement chez l'animal et non chez l'homme, débute dans la première minute de l'inhalation; elle est décelable pour des concentrations de 5 ppm déjà. 
 
Les vasodilatateurs nitrés comme la nitroglycérine (NTG) subissent, au contact de l'endothélium, une réduction enzymatique qui libère du NO et provoque la myorelaxation. Les capacités réductrices des vaisseaux étant variables, la réponse à la NTG sont hétérogènes. Les grandes veines, les vaisseaux de capacitance et les vaisseaux coronariens de diamètre supérieur à 0.1 mm libèrent enzymatiquement le NO, alors que la microcirculation ne répond qu'au NO direct ou aux substances qui le libèrent spontanément, mais ne possède pas les enzymes pour l'extraire des dérivés nitrés, d'où son peu de réponse à ces derniers [5]. 
 
Le NO en chirurgie cardiaque
 
Parmi les innombrables travaux sur le NO en chirurgie cardiaque adulte, seuls 18 essais sont des études randomisées. Leur méta-analyse donne des résultats plutôt décevants: le NO diminue la durée de ventilation mécanique d'environ 5 heures et celle du séjour en soins intensifs d'un demi-jour, mais il ne modifie pas la mortalité; plus important, la pression artérielle pulmonaire n'est pas significativement abaissée [15]. Il n'y a pas de différence par rapport à l'iloprost, à la prostacycline ou à la prostaglandine E1, sauf que son utilisation est plus complexe et plus coûteuse (environ 3'000 $/jour). Il améliore les indices d'oxygénation chez les malades en détresse respiratoire, mais il ne réduit la mortalité que chez les nouveau-nés.
 
 
 
Le monoxyde d’azote (NO)
Le NO est un transmetteur physiologique sécrété par les cellules endothéliales normales, qui induit une myorelaxation vasculaire. Il fonctionne également comme transmetteur cholinergique dans le système nerveux central et périphérique. Sa demi-vie est de 5-10 secondes ; il est rapidement fixé par l’hémoglobine (methémoglobine). En présence d'O2 il s'oxyde rapidement en NO2 toxique. Il inhibe modestement l'aggrégation plaquettaire et, en dose excessive, devient un agent cytotoxique. Dosage : 10-20 ppm dans les gaz inspirés. 


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2018
 
 
Références
 
  1. DINH-XUAN AT, HIGENBOTTAM TW, CLELLAND CA, et al. Impairment of endothelium-dependent pulmonary artery relaxation in chronic obstructive lung disease. N Engl J Med 1991; 324:1539-47
  2. DREXLER H. Nitric oxide synthase in the failing heart: a double-edged sword ? Circulation 1999; 99:2971-5 
  3. FROSTELL C, BLOMQVIST H, HEDENSTIERNA G,  et al. Inhaled nitric oxide selectively reverses human hypoxic pulmonary vasoconstriction wuthout causing systemic vasodilatation. Anesthesiology 1993 78:427-435
  4. GRIFFITH MJD, EVANS TW. Inhaled nitric oxide therapy in adults. N Engl J Med 2005; 353:2683-95
  5. HARRISON DG, BATES JN. The nitrovasodilators: new ideas about old drugs. Circulation 1993; 87:1461-7
  6. ICHINOSE F, ERANA-GARCIA J, HROMI J, et al. Nebulized sildenafil is a selective pulmonary vasodilator in lambs with acute pulmonary hypertension. Crit Care Med 2001; 29: 1000-5
  7. ICHINOSE F, ROBERTS JD, ZAPOL WR. Inhaled nitric oxide. A slective pulmonary vasodilator. Circulation 2004; 109: 3106-11
  8. JOHNS RA. Endothelium, anesthetics, and vascular control. Anesthesiology 1993; 79:1381-91
  9. KIM K, DUPUY PM, STANEK K, et el. A comparison of inhaled nitric oxide and halothane as a bronchodilator in metacholine constricted guinea pigs. Anesthesiology 1992; 77:1225
  10. MEYER KC, LOVE RB, ZIMMERMANN JJ. The therapeutic potential of nitric oxide in lung transplantation. Chest 1998; 113:1360-71
  11. MONCADA S, PALMER R, HIGGS E. Nitric oxide: physiology, pathophysiology and pharmacology. Pharmacological Review 1991; 43:109-42
  12. RICH GF, JOHNS RA. Nitric oxide and the pulmonary circulation. Advances in Anaesthesia 1994; 11:1-25
  13. ROSSAINT R, FALKE KJ, LOPEZ F, et al. Inhaled nitric oxide in adult respiratory distress syndrome. N Engl J Med 1993; 228:399-405
  14. RUBANYI G, ROMERO J, VANHOUTTE P. Flow-induced release of endothelium-derived relaxing factor. Am J Physiol 1986; 250:H1145-H1149
  15. SARDO S, OSAWA EA, FINCO G, et al. Nitric oxide in cardiac surgery: a méta-analysis of randomized trials. J Cardiothorac Vasc Anesth 2018; 32:2512-9