18.6.3 Endoprothèses de l'aorte abdominale

L'endoprothèse est réservée à des lésions anévrysmales sous-rénales ou iliaques présentant un collet libre d'au moins 1.5 cm en dessous du départ des artères rénales, un diamètre < 32 mm et un bon alignement entre le collet et l’anévrysme (angle < 60°); le diamètre et la forme des artères iliaques doivent assurer une étanchéité distale adéquate. La prothèse est surdimensionnée de 10-20% par rapport à l'aorte native [6]. Les deux tiers (jusqu'à 68%) des anévrysmes abdominaux sont éligibles pour la technique [14]. La mortalité hospitalière de l’endoprothèse est 3-4 fois plus basse que celle de la cure ouverte (1.2% versus 4.8%) ; cette diminution est d’autant plus importante que le patient est plus âgé et présente davantage de risques [4,11]. Au-delà de la deuxième année, les mortalités sont identiques [12]. Les réinterventions vasculaires sont en général plus fréquentes lors d’endoprothèses que lors de cure par laparotomie (en moyenne 10.6% versus 4.2%) [3,5,11], mais leur taux chute à 1-2%/an dans les centres qui en ont une grande expérience [1]. Cependant, cet excès de réopérations vasculaires est compensé par une disparition des complications chirurgicales liées à la laparotomie (brides, occlusions, éventration, etc) [11].
 
La technique d'anesthésie est commandée par le fait que le patient doit rester immobile pendant 1-2.5 heures, mais que l'intervention est peu douloureuse. Seule l'ischémie de la jambe dont l'artère fémorale est clampée pour permettre le passage de l'endoprothèse peut occasionner une douleur que l'anesthésie locale ne contrôle pas. Trois techniques d'anesthésie sont possibles.
 
  • Anesthésie générale (AG avec masque laryngé ou tube endotrachéal) ; confortable pour le malade dont l'immobilité est assurée, elle n'a pas besoin d'être très profonde. Le patient est réveillé et extubé sur table en fin d'intervention; la douleur ischémique de la jambe est couverte. L’intubation offre la meilleure option en cas de passage en laparotomie et permet l’usage de l’ETO.
  • Anesthésie-analgésie péridurale (lombaire); elle est surtout indiquée pour les malades souffrant de pathologies respiratoires graves; le cathéter doit être mis en place assez tôt et retiré assez tard vu l'héparinisation systémique peropératoire. La sympathicolyse de la péridurale est moins efficace que lors de cure par laparotomie, car le taux de sécrétion des hormones de stress est de toute manière faible. Le gain sur les douleurs et le confort postopératoire est marginal parce que l'opération est peu douloureuse et l'amputation respiratoire minime [2,10].
  • Anesthésie locale et sédation; lorsque l'équipe chirurgicale est bien rôdée et le temps opératoire moyen inférieur à 1.5 heures, il est possible de pratiquer une infiltration inguinale (xylocaïne 0.5-1%, bupivacaïne 0.5%) accompagnée d'une simple sédation de confort (rémifentanyl, propofol, dexmédétomidine ou midazolam); c'est la technique la plus simple, la plus stable hémodynamiquement, et celle qui offre le plus court séjour hospitalier [2]. Le patient peut ressentir des douleurs ischémiques du ou des membres inférieurs dont l’artère fémorale est clampée. Le confort de l’installation sur table est primordial. Le taux de conversion en AG est inférieur à 1% [1,12]. L’anesthésie locale offre une meilleure stabilité hémodynamique et réduit les besoins liquidiens [1,2].
L'équipement consiste en un cathéter artériel radial et deux voies veineuses, dont une de gros calibre (14-G). Une voie centrale n'est pas indiquée de routine [12]. Une sonde urinaire permet de monitorer la perfusion rénale après le placement de la prothèse. L'ETO n'est d'aucun apport pour les lésions abdominales, et le peu de perturbation hémodynamique ne justifie pas son utilisation pour la surveillance fonctionnelle. Lors du déploiement de la prothèse, il est nécessaire de baisser la pression artérielle (PAsyst 80 mmHg, PAM 50 mmHg) pour éviter que le flux sanguin ne la propulse vers le bas et qu'elle s'ancre trop distalement dans l'aorte. Comme pour les endoprothèses thoraciques, on peut utiliser plusieurs moyens:
 
  • PEEP momentanée à 20 cm H2O; 
  • Phentolamine (Régitine®), bolus répétés de 1 mg; 
  • Gonflement d'un ballon dans l'aorte proximale ou dans l'OD (introduit par voie veineuse fémorale) pour baisser abruptement la précharge [9]; 
  • Pause systolique par un bolus d'adénosine (24-90 mg iv) [7];
  • Les nouvelles endoprothèses disposent d'un système d'ancrage proximal qui ne réclame qu'une hypotension momentanée par un vasodilatateur (phentolamine, nitroglycérine, nicardipine, clévidipine).
Lorsque l'opération se prolonge, l'hypothermie est fréquente. Il est donc nécessaire de placer une couverture chauffante sur le malade. 
 
Parmi les principales complications, on relèvera [12]:
 
  • Endofuites; 
  • Néphropathie induite par le produit de contraste; veiller à une hydratation suffisante;
  • Ischémie médullaire; le risque est identique à celui de la cure ouverte (0.25%);
  • Syndrome inflammatoire systémique postopératoire (fièvre, leucocytose , élévation de la CRP) et hyperagrégabilité plaquettaire.
 
Anévrysme abdominal rompu
 
Ces dernières années, l’indication à l’endoprothèse a été étendue aux anévrysmes abdominaux rompus, avec possibilité de procéder sous anesthésie locale et sédation [8]. Les avantages sont significatifs : absence de clampage aortique (pas d’élévation de postcharge pour le VG, pas d’ischémie digestive), moins de saignements (absence de dissection rétropéritonéale), moins de complications abdominales (pas de laparotomie ni d’iléus), meilleure stabilité hémodynamique (maintien de la pression abdominale, pas de curarisation) [1]. La mortalité est de 8-20% au lieu de 30-40% pour la cure ouverte [13]. La prise en charge doit être rigoureuse (d'après le protocole UniversitätsSpital Zürich).
 
  • Hypotension permissive : maintien de la plus petite pression systémique compatible avec la perfusion des organes pour diminuer le risque hémorragique. Trois situations:
    • Hémodynamique maintenue; nitroglycérine 25-50 mcg, esmolol 5-10 mg; antalgie avec fentanyl 25-50 mcg ou remifentanil ≤ 3 mcg/kg/h;
    • Choc compensé; maintien de la pression artérielle systolique à 70-90 mmHg;
    • Etat de choc; PA visée ≥ 70 mmHg; noradrénaline 0.1 mcg/kg, Ringer-lactate 5 mL/kg. Si nécessaire: ballon intra-aortique monté par l'artère fémorale, placé en position proximale de l’anévrysme pour réaliser un clampage interne au-dessus de la rupture.
  • Equipement: 2 voies veineuses de gros calibre, ECG, SpO2, O2 au masque + PetCO2, manchette à pression.
  • Laboratoire (Hb, Ht, thrombos, électrolytes, urée, créatinine), commande de 6 unités de sang, ACT, thromboélastographie, agrégation plaquettaire si nécessaire.
  • Angio-CT et décision opératoire: cure ouverte ou endoprothèse.
  • Option thérapeutique préférentielle: endoprothèse sous anesthésie locale + sédation.
  • Sonde urinaire. Mesure la pression intra-abdominale (PIA normale: 5-7 mmHg). 
    • Syndrome du compartiment abdominal: PIA > 20 mmHg; 
    • Pression de perfusion des organes = PAM – PIA; si < 60 mmHg, envisager laparotomie.
  • Pose d'un cathéter artériel radial; alternative en cas d'échec: mesure par le bras latéral de l'introducteur de l'endoprothèse ou par l'extrémité distale du ballon intra-aortique.
  • Pose d'une voie centrale (jugulaire interne droite).
  • Prophylaxie thrombo-embolique: héparine 50 UI/kg pour ACT > 200 sec. Prophylaxie antibiotique: cefuroxim (Zinacef®).
  • Maintien de l'hémodynamique pour pression de perfusion abdominale > 60 mmHg;  
    • Perfusions;
    • Vasoconstricteur, agent inotrope.
  • Endoprothèse sous anesthésie locale + sédation.
    • Infiltration locale (accès fémoral) avec lidocaïne 0.5-1%;
    • Rémifentanil (2-3 mcg/kg/h);
    • Dexmédétomidine (0.2-0.5 mcg/kg/h) si hémodynamique stabilisée;
    • L'hypotension est tolérée tant que le patient est conscient.
  • Dès que la prothèse est en place, on rétablit une hémodynamique et une pression artérielle normale pour le patient.
  • Durée moyenne de l'intervention: 2 heures.
 
Endoprothèses de l’aorte abdominale
Lorsque l'anatomie s'y prête, l'endoprothèse réduit la mortalité opératoire de 66% par rapport à la chirurgie par laparotomie, mais ce bénéfice se perd au bout de 2 ans et le taux de réintervention secondaire augmente.
 
La prothèse est un tube de Dacron™ armé imperméable introduit par voie percutanée (cathétérisme fémoral). Conditions de réalisation:
    - Vaisseau fémoral > 7.5 mm et axe ilio-aortique libre 
    - Collet d’amarrage ≤ 30 mm de diamètre et ≥ 15 mm de longueur 
    - Longueur de la lésion < longueur de la prothèse 
    - Contrôle de la mise en place par fluoroscopie et ultrasons intravasculaires (IVOS)
 
Lors du déploiement de la prothèse, il est nécessaire de baisser la pression artérielle (PAM 50 mmHg) pour éviter que le flux sanguin ne la propulse vers le bas et qu'elle s'ancre trop distalement dans l'aorte.
    - Vasodilatation (phentolamine) 
    - Baisse du retour veineux (PEEP 20 cm H2O) 
    - Pause systolique (adénosine) 
 
Anesthésie générale (immobilité, durée 1-2 heures), ALR lombaire (incision inguinale) ou anesthésie locale avec sédation; tendance actuelle: AL + sédation. Monitorage : cathéter artériel radial.


©  CHASSOT PG, TOZZI P, BETTEX D, Octobre 2010, Dernière mise à jour, Avril 2018
 
 
Références
 
  1. BETTEX DA. New techniques in endovascular surgery: challenges for the anaesthetist ? Anaesthesia Intern 2012; 6:28-33
  2. BETTEX DA, LACHAT M, PFAMMATER T, et al. To compare general, epidural and local anaesthesia for endovascular aneurysm repair. Eur J Vasc Endovasc Surg 2001; 21:179-84
  3. BLANKENSTEIJN JD, DE JONG SECA, PRINSSEN M, et al. Two-year outcomes after conventional or endovascular repair of abdominal aortic aneurysms. N Engl J Med 2005; 352:2398-405
  4. DANGAS G, O'CONNOR D, FIRWANA B, et al. Open versus endovascular stent graft repair of abdominal aortic aneurysms: a meta-analysis of randomized trials. JACC Cardiovasc Interv 2012; 5:1071-80
  5. GREENHALGH RM, BROWN LC, KWONG GPS, et al, for EVAR trial participants. Comparison of endovascular aneurysm repair with open repair in patients with abdominal aortic aneurysm (EVAR trial 1), 30-day operative mortality results: randomised controlled trial. Lancet 2004; 364:843-8
  6. GREENHALGH RM, POWELL JT. Endovascular repair of abdominal aortic aneurysm. N Engl J Med 2008; 358:494-501
  7. KAHN RA, MOSKOWITZ DM, MARIN ML, et al. Safety and efficacy of high-dose adenosine-induced asystole during endovascular AAA repair. J Endovasc Ther 2000; 7:292-6
  8. LACHAT ML, PFAMMATTER T, WITZKE HJ, BETTEX D, et al. Endovascular repair with bifurcated stent-grafts under local anaesthesia to improve outcome of ruptured aortoiliac aneurysms. Eur J Vasc Endovasc Surg 2002; 23:528-36
  9. MARTY B, CHAPUIS MORALES C, TOZZI P, RUCHAT P, CHASSOT PG, VON SEGESSER L. Partial inflow occlusion facilitates accurate deployment of thoracic aortic endografts. J Endovasc Ther 2004; 11:175-9
  10. SALARTASH K, STERNBERGH WC, YORK JW, et al. Comparison of open tarnsabdominal AAA repair with endovascular AAA repair in reduction of postoperative stress response. Ann Vasc Surg 2001; 15:53-9
  11. SCHERMERHORN ML, O’MALLEY AJ, JHAVERI A, et al. Endovascular vs open repair of abdominal aortic aneurysms in the Medicare population. N Engl J Med 2008; 358:464-74
  12. SMAKA TJ, COBAS M, VELAZQUES OC, et al. Perioperative management of endovascular abdominal aortic aneuvrysm repair: update 2010. J Cardiothorac Vasc Anesth 2011; 25:166-76
  13. VEITH FJ, LACHAT M, MAYER D, et al. Collected world and single centre experience with endovascular treatment of ruptured abdominal aortic aneurysms. Ann Surg 2009; 250:815-24 
  14. WOLF YG, FOGARTY TJ, OLCOTT C, et al. Endovascular repair of abdominal aortic aneurysms: Eligibility rate and impact of open repair. J Vasc Surg 2000; 32:519-23