26.2.3 Flux doppler

Flux Doppler couleur

L'étendue du jet couleur dans l'OG est un excellent moyen de détecter la présence d'une IM et de se faire une idée de son importance ou de sa direction, mais elle n'est nullement un moyen de quantifier la régurgitation (Vidéo) [4]. Le flux d'IM que l'on voit à l'écran est une cartographie des vélocités, mais il ne représente pas le volume régurgité. La classification basée sur l’extension du jet tourbillonnaire dans l’OG n'est plus recommandée, car la dimension de son image dépend d'une série de facteurs, et d'abord du réglage de l'appareil: gain de la couleur, dimension de la fenêtre, angle du faisceau Doppler avec le flux, et limite de Nyquist; l’échelle de couleur doit être calée sur 0.7 – 0.8 m/s; on peut l’augmenter en déplaçant la ligne de base dans le sens opposé au flux [9]. Une échelle trop basse amplifie excessivement la taille du jet dans l’OG. La fenêtre du Doppler couleur doit être réduite à la dimension minimale englobant le jet de manière à disposer d'une cadence d'image élevée. Seule la zone tourbillonnaire en mosaïque est prise en compte dans la mesure de l'étendue de l'IM.


Vidéo: insuffisance mitrale centrale symétrique au Doppler couleur; l'image est une cartographie des vélocités qui permet une semi-quantification intuitive de l'IM (mineure, modérée ou sévère).

D'autre part, l'étendue et l'intensité du flux couleur, qui représentent le nombre et la vélocité des hématies, sont fonction du gradient de pression (ΔP) instantané entre le VG et l’OG en systole. Ce dernier dépend de plusieurs éléments.
 
  • La force de contraction du VG (P d’amont); la Vmax de l’IM baisse si la fonction du VG est diminuée.
  • La pression dans l’OG et sa compliance (P d’aval).
  • La pression systolique ventriculaire en cours d’éjection; elle augmente si les résistances artérielles systémiques s’élèvent.
  • La dimension de l’orifice de régurgitation; plus l'orifice est petit, plus le jet accélère; plus l’orifice est grand, plus la Vmax baisse. Lors d’une rupture complète de pilier, l’orifice est si vaste et le choc cardiogène si profond que le flux n’est même plus tourbillonnaire.
  • La géométrie de l’orifice de régurgitation; si ce dernier est circulaire, la surface du flux couleur est identique dans tous les plans, mais ce n'est plus le cas si l'orifice est ovale. Lors de défaut de coaptation sur dilatation annulaire ou ventriculaire, l'orifice conserve la forme en fente de la commissure entre les deux feuillets; le jet couleur apparaît alors comme un pinceau fin dans un plan et comme un rideau dans le plan orthogonal, de manière analogue au jet engendré par l'occlusion partielle d'un tuyau d'arrosage avec le pouce (effet de spray).
Alors que la combinaison d'un bon VG et d'un petit orifice donne un jet de haute vélocité très brillant à l'écran, celle d'un VG défaillant et d'un large orifice genère au contraire un jet de basse vélocité sans aliasing; c'est fréquemment le cas dans les IM aiguës. Le volume régurgité effectif est surestimé dans le premier cas et sousestimé dans le second [2]. L’importance réelle d’une IM tient encore à d’autres facteurs.
 
  • Durée de la régurgitation ; une IM qui n’apparaît qu’en début ou en fin de systole est moins importante qu’une IM pansystolique. Une coupe en mode TM à travers le jet couleur permet aisément de mesurer sa durée (Figure 26.31).
  • Localisation de la fuite ; l’importance de l’IM est différente si elle est cantonnée à une portion restreinte de la valve ou si elle s’étend d’une commissure à l’autre. Il importe de toujours balayer la totalité de la valve dans différents plans de coupe (au minimum deux plans orthogonaux) et de ne pas se contenter d’une seule vue pour évaluer une IM.
  • Fuite centrale ; issue d’un orifice quasi-circulaire, cette fuite est symétrique et apparaît pratiquement la même dans tous les plans de coupe. Lorsque la fonction ventriculaire est bonne, sa Vmax (5-6 m/s) est suffisante pour exercer un effet Venturi au sein de l’OG ; le jet visible à l’écran est alors augmenté par des hématies déjà dans l’oreillette au moment de la systole. En vues mi-oesophagiennes, le jet est dirigé vers le capteur et l’effet Doppler est maximal (Vidéo et Figure 26.32B). L’image couleur tend donc à surestimer l’importance de ce type d’IM.
  • Fuite excentrique ; la fuite d’un prolapsus ou d’une restriction asymétrique est dirigée vers la paroi auriculaire ; elle s’y aplatit et perd de l’énergie parce qu'elle y est freinée. Elle a donc moins d’effet Venturi, et ne peut recruter du sang que sur une portion de sa circonférence (effet Coanda). Comme l’image bidimensionnelle est une tomographie, on ne voit pas l’étendue de l’IM dans les autres plans ; elle peut s’étaler sur la moitié de la paroi auriculaire, mais ne pas être épaisse et donner ainsi l’image d’un jet relativement fin (Vidéos et Figure 26.32D). Ces raisons font que l’image couleur sous-estime les IM excentriques (jusqu’à 40%) [1].


    Vidéo: insuffisance mitrale centrale symétrique de type I.


    Vidéo: insuffisance mitrale excentrique sévère (type II) sur prolapsus du feuillet postérieur; elle est dirigée vers le septum interauriculaire.


    Vidéo: insuffisance mitrale excentrique sévère (type II) sur prolapsus du feuillet antérieur; elle est dirigée vers la paroi latérale de l'OG.
     


Figure 26.31 : Durée de l’IM vue en mode TM. A: IM protosystolique de courte durée apparaissant comme une simple flammèche (jet orange). B: IM pansystolique apparaissant comme un rideau.



Figure 26.32 : Evaluation de l’IM par l’étendue et la durée du jet au Doppler couleur (méthode non-quantitative). A : IM minime. B : IM modérée. C : IM sévère avec PISA important (flèche). D : IM excentrique sévère.

Néanmoins, la dimension du jet tourbillonnaire dans l’OG reste une manière aisée d’évaluer intuitivement l’importance de l’IM (Vidéos et Figure 26.32). On peut la graduer en 3 degrés (faible, modérée, sévère) ou anciennement en 4 stades (I à IV). Une trace d’IM est présente chez 40% des individus sains. Un jet occupant 20% de l’OG correspond à une IM modérée et un jet occupant ≥ 40% une IM sévère [9]. L'appréciation d'une IM doit se faire sur une période de rythme cardiaque régulier et de fréquence normale, en évitant le renforcement post-extrasystolique. En cas de FA, on moyenne plusieurs mesures réalisées dans une période de 2-4 cycles dont la fréquence voisine 60-70 batt/min. D'une manière générale, un jet central dans l'OG suggère plutôt la présence d'une IM fonctionnelle, alors qu'un jet oblique et excentrique traduit le plus souvent une IM organique liée à une pathologie des feuillets.


Vidéo: minime insuffisance mitrale centrale, sans signification hémodynamique.


Vidéo: insuffisance mitrale torrentielle sur rupture complète du muscle papillaire antérieur.

Il arrive que la taille du jet d'IM soit discordante entre deux plans différents, par exemple fine en vue 4-cavités et très large en vue bicommissurale. Il s'agit en général d'une IM secondaire qui prend la forme de la fente laissée ouverte par la commissure valvulaire. Elle est mince lorsqu'on la voit par la tranche et large lorsqu'on la regarde de face, parce qu'elle est analogue à un rideau. Sa quantification repose sur l'analyse de sa largeur et de son étendue.

Flux Doppler spectral

L'examen du flux mitral antérograde au Doppler pulsé, avec le volume d'échantillonnage positionné entre les extrémités des feuillets où la vélocité du flux est la plus grande, montre un flux E dont la vélocité est ≥ 1.2 m/s [8]. Cette accélération est due au grand volume qui passe par la mitrale en début de diastole, puisque le volume de remplissage normal d'un cycle cardiaque est augmenté du volume régurgité pendant la systole précédente. L’onde E est beaucoup plus grande que l’onde A; un rapport E/A < 1 exclut pratiquement une IM sévère [7]. Le rapport entre l'intégrale des vélocité à travers la mitrale et à travers la valve aortique (VTIVM/VTIVAo ou VTIVM/VTICCVG) est > 1.3 dans les IM sévères [5]. Ces remarques s'appliquent essentiellement à l'IM primaire; dans l'IM secondaire, il devient difficile de distinguer l'élévation de la Vmax du flux E due à l'insuffisance mitrale de celle liée à la dysfonction diastolique restrictive [3].

Pour l'examen du flux de la régurgitation, l’axe d’analyse Doppler est placé dans l’axe du flux, à l’endroit précis où la fuite traverse la valve en systole, et non dans le tourbillon intra-auriculaire. Ceci est aisé pour les IM centrales, mais peut être impossible dans les IM excentriques. Au Doppler continu, l’IM présente une trace spectrale dense et compacte de Vmax 5-6 m/s située au-dessus de la ligne de base (Figure 26.33). Cette densité est fonction du nombre de globules régurgités ; elle est d’autant plus marquée que l’IM est plus sévère. Mais elle aussi tributaire du réglage du gain. Lorsque la fonction ventriculaire est diminuée, la Vmax baisse (3.5 – 4.0 m/s) et la pente ascensionnelle s’incline.



Figure 26.33 : Image spectrale du flux Doppler d’une insuffisance mitrale. La trace dense et compacte traduit une IM sévère. A : fonction normale du VG, Vmax > 5 m/s et pente ascensionnelle très raide. B : fonction du VG diminuée, Vmax plus basse et pente plus faible.

Lorsque l'IM est de faible importance, la trace est incomplète et peu dense au Doppler spectral. Il arrive aussi qu'une IM sévère se traduise par un pic de vélocité précoce suivi d'une courbe tronquée, à cause de l'impossibilité pour le VG d'atteindre sa pression systolique maximale normale et à cause de l'élévation de la pression dans l'OG, qui se traduit par une onde "v" proéminente sur la courbe de PAPO [4,7]. L'IM et la sténose aortique créent toutes deux des flux accélérés systoliques s'éloignant de l'apex. A l'examen transthoracique comme à l'examen transoesophagien, ces deux flux peuvent se confondre, mais leur morphologie et leur durée les différencient. Le flux d'IM est arrondi, débute pendant la phase de contraction isovolumétrique et se termine pendant la phase de relaxation isovolumétrique, alors que le flux aortique a une forme plus triangulaire et une durée réduite à la phase d'éjection (Figure 26.34).
 


Figure 26.34 : Flux Doppler spectral en cas d'IM (Doppler continu). A: IM sévère; la Vmax est 5-6 m/s, la trace est compacte et dense, l’enveloppe est bien définie et arrondie. B: IM sévère: le pic de vélocité est protosystolique mais la courbe est tronquée à cause de la POG élevée. C: flux Doppler d'une IM modérée; la trace est peu dense et l'enveloppe incertaine. D: le flux mitral démarre dès que la PVG dépasse 5-8 mmHg, bien avant l’ouverture de la valve aortique au moment de laquelle débute le flux artériel systémique; il n’y a donc pas de vraie phase isovolumétrique. Le flux aortique est plus triangulaire et sa durée est restreinte à la phase d'éjection.

Le flux veineux pulmonaire est aisément repérable dans la veine pulmonaire supérieure gauche qui est bien alignée avec l’axe d’interrogation Doppler. La fenêtre du Doppler pulsé est placée 1-2 cm à l’intérieur de la veine. Comme l’IM augmente la pression auriculaire pendant la systole, la composante systolique (S) du flux veineux pulmonaire est modifiée : diminuée en cas d’IM modérée, elle s’inverse partiellement ou totalement lorsque l’IM est sévère (Figure 26.35) [6]. Ce reflux systolique dans les veines pulmonaires est caractéristique de l’IM sévère, mais il est sujet à d’importantes variations.
 
  • Il dépend de la compliance de l’OG : lorsqu’elle est dilatée, l’OG absorbe le volume régurgité sans augmentation significative de pression. Une IM sévère peut ne pas produire de reflux systolique veineux pulmonaire.
  • Son importance est très dépendante de l’hémodynamique ; le reflux s’efface lorsque la pression systémique est basse.
  • L’angle entre l’axe des veines pulmonaires et celui de l’IM est plus accentué à gauche qu’à droite parce que les hiles pulmonaires sont dans un plan frontal alors que le coeur est dans un plan oblique au sein du thorax ; le reflux prédomine donc dans les veines droites. Le reflux systolique est discordant entre les deux côtés dans 15-35% des cas.
  • En cas d’IM excentrique, le flux régurgité peut être dirigé vers les veines pulmonaires d’un seul côté et épargner les veines controlatérales ; cette asymétrie peut donner lieu à un OAP unilatéral.
  • Les modifications flux systolique en veine pulmonaire sont moins pertinentes dans les IM secondaire à cause de la dysfonction diastolique du VG, car l'amortissement du flux systolique est lié à l'élévation de la POG.


Figure 26.35 : Reflux systolique dans les veines pulmonaires. A : image spectrale au Doppler pulsé dans la veine pulmonaire supérieure gauche dans un cas d'IM sévère; les flèches indiquent le reflux systolique. B : les veines droites présentent moins d’angle que les veines gauches par rapport à l’axe d’une IM centrale symétrique. C : la composante systolique du flux veineux pulmonaire n’est pas modifiée par une trace d’IM, mais est diminuée dans une IM modérée, partiellement inversée dans une IM modérée-à-sévère et renversée dans une IM sévère ; ce reflux progressif n’existe pas si l’OG est dilatée et très compliante, si la fonction diastolique du VG est diminuée ou si la pression artérielle systémique est basse.

Il est donc capital d’examiner le reflux systolique dans les veines pulmonaires des deux côtés, en général dans les veines supérieures qui sont mieux placées dans l’axe du faisceau Doppler. Il est important d’interpréter ce flux en fonction de la taille de l’OG et de la pression artérielle, car il est un signe spécifique mais non sensible d’une IM sévère : sa présence en est caractéristique, mais son absence ne l’infirme pas. S’il est présent, le reflux systolique veineux pulmonaire signe une IM sévère, mais une IM sévère peut ne pas déclencher ce reflux.

 
Insuffisance mitrale : flux Doppler
La taille du jet couleur de l’IM est fonction de sa vélocité maximale ; celle-ci dépend de plusieurs éléments
    - Réglage de l’appareil (limite de Nyquist, gain)
    - Pression systolique intraventriculaire (contractilité, pression artérielle systémique)
    - Dimension de l’orifice de régurgitation
L'absence de jet couleur permet d'exclure une IM, mais sa dimension ne permet pas de la quantifier.

Flux spectral
      - Vmax IM : 5-6 m/s (fonction VG normale)
      - Vmax E : ≥ 1.2 m/s
      - Reflux systolique dans les veines pulmonaires (dépend de la compliance de l’OG et du côté), peut être absent en cas d’IM sévère

IM et hémodynamique
    - IM fonctionnelles (type I et IIIb) : très sensibles à l’hémodynamique (↑ avec ↑ postcharge)
    - IM organiques (type II et IIIa) plus stables
    - Si la taille VG ↓ (hypovolémie, stimul sympathique) : ↓ IM type I et III, ↑ IM type II
    - Anesthésie: IM ↓ de 1-2 degrés (sur 4)


© CHASSOT PG, BETTEX D. Octobre 2011, Juin 2019; dernière mise à jour, Mars 2020


Références
 
  1. CAPE EG, YOGANATHAN AP, WEYMAN AE, LEVINE RA. Adjacent solid boundaries alter the size of regurgitant jets on Doppler color flow maps. J Am Coll Cardiol 1991; 17:1094-102
  2. CHERRY SV, JAIN P, RODRIGUEZ-BLANCO YF, FABBRO M. Noninvasive evaluation of native valvular regurgitation: a review of the 2017 American Society of Echocardiography Guidelines for the perioperative echocardiographer. J Cardiothorac Vasc Anesth 2018; 32:811-22
  3. COBEY FC, PATEL V, GOSLING A, URSPRUNG E. The emperor has no clothes: recognizing the limits of current echocardiographic technology in perioperative quantification of mitral regurgitation. J Cardiothorac Vasc Anesth 2017; 31:1692-4
  4. GRAYBURN PA, WEISSMAN NJ, ZAMORANO JL. Quantitation of mitral regurgitation. Circulation 2012; 126:2005-17
  5. PALMIERO G, ASCIONE L, BRIGUORI C, et al. The mitral-to-aortic flow velocity integral ratio in the real world echocardiographic evaluation of functional mitral regurgitation before and after percutaneous repair. J Interv Cardiol 2017; 30:368-73
  6. PU M, GRIFFIN BP, VANDERVOORT PM, et al. The value of assessing pulmonary venous flow velocity for predicting severity of mitral regurgitation: A quantitative assessment integrating left ventricular function. J Am Soc Echocardiogr 1999; 12:736-43
  7. THOMAS L, FOSTER E, SCHILLER NB. Peak mitral inflow velocity predicts mitral regurgitation severity. J Am Coll Cardiol 1998; 31:174-9
  8. ZOGHBI WA, ADAMS D, BONOW RO, et al. Recommendations for noninvasive evaluation of native valvular regurgitation: a report from the ASE developped in collaboration with the SCMR. J Am Soc Echocardiogr 2017; 30:303-71
  9. ZOGHBI WA, ENRIQUEZ-SARANO M, FOSTER E, et al. Recommendations for evaluation of the severity of native valvular regurgitation with two-dimensional and Doppler echocardiography. Eur J Echocardiogr 2003; 4:237-61