4.4.4 Analgésie péridurale

Qu’elle soit cervicale ou thoracique haute (préférence pour questions de facilité technique : C7-D1), la péridurale a été utilisée de manière sporadique depuis les années quatre-vingts en chirurgie cardiaque. Elle est pratiquée dans 7% des cas en Amérique du Nord [6]. Après plus de 60 études contrôlées et près de 90'000 cas réalisés, essentiellement lors de pontages aorto-coronariens à bas risque, la place de cette technique reste assez marginale à cause du risque d'hématome péridural lors de l'héparinisation de la CEC [2,3,8,11,13,16,18,19]. 
 
Les avantages cliniques relevés dans les principales études randomisées, dans cinq méta-analyses [1,4,11,13,20] et deux revues [3,15] sont les suivants:
 
  • Amélioration de l'antalgie, diminution de 50% du score de douleur et de sédation ;
  • Raccourcissement très significatif du temps d'extubation ;
  • Diminution des complications respiratoires de 25% ;
  • Diminution du taux d'arythmies (FA) de 20-50% ;
  • Diminution de l’ischémie peropératoire (40%) et de l’incidence d’infarctus postopératoire (25%) ;
  • Faible diminution des troubles cognitifs immédiats.
L'effet sur la mortalité et l'incidence d'infarctus est discutable, car on note une tendance à la diminution, mais aucune étude n’atteint un degré de signification indiscutable (RR 0.78 et 0.7, respectivement) [1,11,20]. Il n'y a pas de baisse dans l'incidence d’ictus ou d’insuffisance rénale [13,16,17,18,19,20]. Certains auteurs mentionnent toutefois un bénéfice sous forme d’une baisse du taux d’événements ischémiques et d'arythmiques périopératoires [12,20]. Mais les études ne sont guère comparables, portent sur un petit nombre de cas, et les populations sont différemment sélectionnées. La péridurale offre certainement une excellente analgésie et une grande qualité de confort postopératoire [2] ; elle atténue la réponse au stress et améliore le rapport DO2/VO2 myocardique. La réduction du taux de complications respiratoires peut être un avantage majeur particulièrement précieux chez les malades souffrant de BPCO, de syndrome restrictif ou d'obésité morbide [18]. Pourtant, l’efficacité clinique et le rapport risque/bénéfice de la péridurale restent incertains [7]. Dans les dernières études publiées, la péridurale ne diminue ni la durée de ventilation postopératoire ni le temps de séjour en soins intensifs par rapport aux techniques intraveineuses de fast-track ; elle n’améliore pas significativement le confort des patients [16,19]. Elle ne raccourdit pas la durée de séjour hospitalier [15].
 
Cependant, l’invasivité de la technique et le risque d’un hématome péridural sous anticoagulation sont certainement des freins majeurs à son utilisation à large échelle. D'après le nombre de cas rapportés, on estime le risque à 1:3552 cas [11]. Des effets comme la réduction du délai d'extubation, la baisse de la mVO2 et la diminution des arythmies sont aisément obtenus par d'autres techniques moins invasives, comme, respectivement, l’anesthésie fast-track (faibles dose d’opiacés de courte durée d’action + halogéné ou propofol), la dexmédétomidine, les β-bloqueurs et l'amiodarone [13,19]. Le confort postopératoire, habituellement supérieur avec la péridurale, peut être très voisin avec des techniques conventionnelles, mais au prix d'un score de sédation plus profond [5,12,19]. La meilleure indication à la loco-régionale est la chirurgie sans CEC par thoracotomie (MIDCAB par exemple), parce que cette voie d’abord est beaucoup plus douloureuse que la sternotomie. Lors de pontages aorto-coronariens, les prélèvements de l’artère radiale et de la mammaire interne sont situés dans les métamères bloqués par la péridurale thoracique, mais non la dissection de la veine saphène interne aux membre inférieurs ; dans ce cas, une analgésie systémique supplémentaire est nécessaire pour assurer le confort du patient. Quant à la possibilité de réaliser une intervention cardiaque sous péridurale seule chez un malade éveillé, elle relève de l'exploit pour l'anesthésiste mais non du bénéfice pour le patient [9,10,21]. 
 
La technique de la péridurale est la suivante :
    
  • Ponction C7-D1 ou D2-D4 la veille de l’intervention ;
  • Installation du bloc : 4 mL bupivacaïne 0.75% + 4 mL fentanyl en 12 min ; alternative : 5-7 mL bupivacaïne 0.5% + sufentanil 2.5 mcg/mL ;
  • Entretien : bupivacaïne 0.75% + 50 mcg fentanyl à 2 mL/h ; alternative : bupivacaïne 0.25% ou ropivacaïne 0.25% + sufentanil 1 mcg/mL à 4-6 mL/h; 
  • Induction de l’anesthésie : etomidate ou propofol ;
  • Intubation sous protection de lidocaïne topique ;
  • Maintien de l’anesthésie : propofol, isoflurane ou sevoflurane.
Le remplacement de la bupivacaïne par la lévobupivacaïne diminue le risque de cardiotoxicité de cette dernière (arythmie, bradycardie, hypotension). L'utilisation d'halogénés en peropératoire augmente fortement l'incidence de nausées postopératoires lors d’utilisation de morphiniques intrarachidiens. Il faut garder à l’esprit que le taux d’échecs techniques et fonctionnels de la péridurale thoracique s’élève jusqu’à 30% dans certaines séries [14].
 
 
Péridurale en chirurgie cardiaque
Avantages de la péridurale en chirurgie cardiaque:
    - Excellente antalgie
    - Extubation précoce
    - Diminution des complications respiratoires
    - Diminution de l'incidence de FA
    - Possible amélioration du rapport DO2/VO2 chez le coronarien

L'effet sur la mortalité et l'incidence d'infarctus est discutable, car on note une tendance à la diminution, mais aucune étude n’atteint un degré de signification indiscutable. Il n'y a pas de baisse dans l'incidence d’ictus ni d’insuffisance rénale.


© CHASSOT PG, BETTEX D, MARCUCCI C, Septembre 2010, dernière mise à jour, Décembre 2018
 
 
Références
 
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  2. CAPUTO M, ALWAIR H, ROGERS CA, et al. Thoracic epidural anesthesia improves early outcomes in patients undergoing off-pump coronary artery bypass surgery. Anesth Analg 2011; 114:380-90
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  4. DJAIANI G, FEDORKO L, BEATTIE S. Regional anesthesia in cardiac surgery: A friend or a foe ? Semin Cardiothorac Vasc Anesth 2005; 9:87-104
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