18.3.7 Anesthésie

La technique d'anesthésie importe moins que la gestion de la protection cérébrale (Tableau 18.6). La technique de choix est des plus classique: fentanyl (10-50 mcg/kg) ou sufentanil (2-5 mcg/kg), propofol, midazolam ou sevoflurane. Il est capital que le degré d'anesthésie et de curarisation soit profond au moment de l'arrêt circulatoire ou du bas débit cérébral. Une intervention sur la crosse peut être planifiée, ou survenir en cours d'intervention sur l'aorte ascendante parce qu'un anévrysme ou une dissection se prolongent distalement. L'abord de la crosse peut se faire par sternotomie ou thoracotomie gauche selon la portion d'aorte impliquée; dans le deuxième cas, une intubation bronchique sélective est de rigueur pour assurer un collapsus pulmonaire adéquat dans le champ opératoire. On utilise à cet effet un tube 2-L gauche. Un contact avec l'opérateur est essentiel pour planifier une stratégie commune. Le type de canulation de CEC (fémorale, ascendante, sous-clavière droite), par exemple, commande les sites de canulation artérielle spécifiques pour le monitorage. Il faut éviter de placer les voies veineuses à haut débit au bras gauche, parce que l'opération peut occasionner une lésion de la veine innominée et compromettre l'apport de volume. 

 
Avant la CEC et pendant la phase de refroidissement, il est important de contrôler la glycémie afin d'éviter toute hyperglycémie au-delà de 10 mmol/L. Les mesures habituelles de protection cérébrale comprennent plusieurs points [1].
 
  • Installation d'appuis aux épaules pour retenir le malade pendant la position de Trendelenburg nécessaire à la prévention d'embolisation gazeuse dans les vaisseaux de la gerbe.
  • Installation des capteurs de ScO2.
  • Déplacement de la sonde de température oesophagienne dans le nez jusqu’à toucher les cellules ethmoïdales pour enregistrer la température la plus voisine possible du cerveau.
  • Refroidissement de la salle d’opération à 16°C, glace pilée autour de la tête, casque de chimiothérapie.
  • S’ils sont utilisés comme protection cérébrale, la méthylprednisolone (20 mg/kg) et le mannitol (0.5 gm/kg) sont administrés dans la CEC au minimum 30-45 minutes avant l'arrêt. Le thiopental (5-10 mg/kg) et le magnésium (10 mmol) sont injectés 2-3 minutes avant l’arrêt.
  • Curarisation et approfondissement de l'anesthésie (midazolam 5-10 mg, Fentanyl 500 mcg) 10 minutes avant l'arrêt.
  • Plus aucun médicament ne peut être administré pendant la durée de l'arrêt, puisque rien ne circule.
La durée de l'arrêt et du bas débit (500 – 1'000 ml/min) est chronométrée. La pression de perfusion cérébrale est lue dans l'artère radiale gauche en cas de perfusion sous-clavière droite ou dans les canules de CEC en cas de perfusion isolée des carotides. La pression veineuse jugulaire est mesurée dans la bras latéral de l’introducteur et lue sur le canal de la Swan-Ganz. En hypothermie profonde (20°C), les pupilles sont en mydriase bilatérale fixe ; elles reprennent spontanément leur motricité au réchauffement.
 
Le but recherché par le chirurgien et l’anesthésiste est triple :
 
  • Restreindre au minimum la durée de l’ACC;
  • Assurer une perfusion cérébrale minimale pendant les temps critiques (PPC ≥ 60 mmHg, débit 500-800 mL/min);
  • Maintenir la ScO2 > 50% des deux côtés.
Après une hypothermie profonde, plusieurs conséquences dominent le postopératoire.
 
  • Une vasoplégie artérielle est fréquente pendant quelques heures à cause du réchauffement et de la libération d’endotoxines par l’ischémie digestive; une perfusion de nor-adrénaline est en général nécessaire ; si elle est insuffisante, on ajoute de la vasopressine.
  • Les hémorragies diffuses sur trouble de la crase sont importantes, car l’hypothermie freine l'agrégation plaquettaire (abolie < 30°), induit une séquestration périphérique des thrombocytes (< 25°), et diminue la quantité circulante de facteurs de coagulation, notamment de fibrinogène et de plasminogène [1]. Il faut prévoir l'administration de fibrinogène, de plaquettes, et éventuellement de facteurs de coagulation, mais ces substances ne sont pas administrées avant que toute la protamine n'ait été injectée et qu’un test de coagulation comme un thromboélastogramme ait défini quelles sont les lacunes (voir Chapitre 8). 
  • Une lactacidémie élevée peut persister 12-24 heures à cause des perturbations du métabolisme hépatique à basse température. 
  • Un syndrome de fuite capillaire est fréquent.
La crainte majeure est celle des séquelles neurologiques centrales. La fragilité des tissus et des anastomoses oblige à maintenir la pression artérielle dans des valeurs assez basses, mais cependant assez élevées pour assurer une perfusion maximale des tissus qui ont été ischémies [2]. 
 
 
Anesthésie pour la chirurgie de la crosse aortique
Anesthésie : maintenir la précharge, la contractilité et la postcharge normales ; maintenir PAM ≥ 80 mmHg, ScO2 ≥ 60%.
    - Normotendu - normocarde
    - Induction : etomidate (propofol possible si stable) 
    - Maintien : propofol ou sevoflurane, fentanyl/sufentanil 
    - Surveillance normoglycémie et équilibre acido-basique 
    - Si sternotomie : tube simple ; si thoracotomie gauche : tube 2-L
 
Monitorage :
    - Cathéter artériel fémoral + radial droit/gauche selon canulation de CEC 
    - Cathéter pulmonaire de Swan-Ganz et ETO 
    - Saturométrie cérébrale (ScO2
    - (Potentiels évoqués auditifs)
 
Post-CEC : 
    - Vasoplégie (RAS basses) 
    - Hémorragie (coagulopathie) 
    - Acidose métabolique 
    - Syndrome de fuite capillaire
    - Risque d’AVC et d’ischémie médullaire
 
 
©  CHASSOT PG, TOZZI P, BETTEX D, Octobre 2010, Dernière mise à jour, Avril 2018
 

Références
 
  1. CASTHELY PA, BADACH M. Anesthesia for aortic arch aneurysm surgery. In: SIMPSON JI, ed. Anesthesia for aortic surgery. Boston, Butterworth-Heinemann 1997, 159-74
  2. SCHRAAG S. Postoperative management. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2016; 30:381-93