5.5.7 Transport d'oxygène

Macro-hémodynamique
 
Le coeur fournit l'énergie motrice indispensable à la perfusion tissulaire. Le transport d'oxygène (DO2) est réglé par la ventilation, le débit cardiaque, le contenu en Hb et la distribution périphérique. 
 
    DO2 = CaO2 • DC    où:  CaO2: contenu artériel en oxygène
                                                        DC: débit cardiaque
 
    CaO2 = (1.39 • Hb • sat O2) + (0.0031 • PaO2)
 
Normalement, la consommation d'oxygène (VO2) est indépendante du transport pour deux raisons: 
 
  • Le DO2 est en net excès par rapport à la VO2;
  • L'extraction d'oxygène augmente parallèlement à la demande, comme le démontre la baisse progressive de la saturation veineuse centrale (SvO2). 
Il arrive que cette situation soit dépassée: si le transport d'O2 chute en dessous d'un certain seuil (DO2 critique), l'extraction ne peut plus augmenter proportionnellement à la demande, et la consommation d'O2 devient dépendante de son transport (Figure 5.72). Les cellules souffrent alors d'hypoxie et le métabolisme anaérobique produit des valences acides en quantité proportionnelle à cette souffrance: le taux de lactate augmente. La valeur de ce seuil se situe entre 9 et 10 mL/min/kg [1] ; il est abaissé à 8 ml/min/kg en anesthésie générale (Tableau 5.6) [10]. 
 

Figure 5.72 : Rapport entre la consommation et le transport d'O2 chez le sujet normal. La courbe bleue représente le sujet normal. La courbe rouge illustre la modification induite par une sepsis: le couplage du transport et de la consommation d’oxygène s’étend sur une plus grande plage de valeurs.
 

 
Physiologiquement, l'organisme répond à une demande accrue en oxygène en augmentant le débit cardiaque (jusqu'à cinq fois), la ventilation (jusqu'à quinze fois) et l'extraction tissulaire de l'oxygène (variable selon les organes), avec la contribution active de l'effet de pompe de la musculature, de la respiration et de la paroi abdominale. Lorsque le débit cardiaque baisse ou que la consommation d'oxygène augmente excessivement, seul l'accroissement de l'extraction périphérique de l'oxygène permet de subvenir aux besoins cellulaires; ceci est secondaire à un équilibre dynamique entre les zones en vasoconstriction sympathique d'origine centrale et celles en vasodilatation d'origine locale et métabolique (recrutement capillaire) [9]. Ce mécanisme est très performant puisqu'il permet de conserver un métabolisme aérobique jusqu'à une extraction maximale de 70%, ce qui se traduit par des valeurs de SvO2 très basses. Au-delà de cette capacité d'extraction, le métabolisme devient partiellement anaérobe et le taux de lactate dépasse 1.5 mmol/L [4].
 
Dans de nombreuses situations pathologiques, la VO2 est dépendante du transport d'O2 sur une vaste échelle de valeurs, parce que l'extraction d'oxygène reste basse (coefficient d’extraction, ou EO2, < 35%). C'est le cas notamment dans le SDRA, le choc septique et le choc hypovolémique; on a retrouvé la même dépendance dans des cas d'insuffisance cardiaque congestive aiguë ou chronique [5,8]. Cette incapacité à creuser l'extraction d'O2 a plusieurs causes possibles: défaut de la vasorégulation périphérique, lésion endothéliale, oedème interstitiel, dysfonction mitochondriale, dysfonction du système NO/endothéline. Elle rend la mesure de la SvO2 inappropriée pour évaluer le débit cardiaque périphérique [12]. Par contre, une lactacidémie supérieure à 2 mmol/L semble être un bon marqueur du passage dans la zone où la VO2 est dépendante du transport [11].
 
Lorsque le transport d'oxygène est limité ou lorsque la consommation d'O2 en dépend linéairement, il devient capital de lutter contre tous les facteurs qui contribuent à l'augmentation de la VO2: stress, douleur, décharge de catécholamines endogènes ou exogènes, fièvre (+ 10% / °C), frissons (+ 100-400%), activité musculaire (curarisation), anémie. Malgré le gain sur le travail cardiaque lié à la baisse de la viscosité, la chute de l’hémoglobine peut devenir le facteur limitatif au transport si le débit cardiaque est bas et/ou le métabolisme élevé. La valeur limite est située aux environs de 80 gm/L chez un individu sain et de 100 gm/L chez un patient insuffisant cardio-pulmonaire ou septique (voir Chapitre 28 Critères de transfusion). La prise en charge périopératoire d'un insuffisant cardiaque doit impérativement tenir compte de ces contraintes. 
 
 
Transport d'O2 (DO2)
Le DO2 est le produit du contenu en O2 (CaO2) et du débit cardiaque: DO2 = CaO2 • DC, où:
CaCO2  =  (1.39 • Hb • satO2) + (0.0031 • PaO2)
Normalement, la consommation d'O2 (VO2) est indépendante du DO2. Mais si le DO2 devient < DO2 critique, la VO2 devient dépendante du DO2, avec risque de lactacidémie et d'acidose métabolique. Compensations possibles: ↑ DC et ↑ ventilation, ↑ extraction de l'O2 au niveau tissulaire (max 70%). Dans certaines situations (SDRA, sepsis, hypovolémie, insuffisance ventriculaire congestive), l'extraction d'O2 reste basse et la VO2 est dépendante du DO2 sur une plus vaste échelle de valeurs.
 

Microcirculation
 
Le but de la prise en charge d'une insuffisance circulatoire ou d'un état de choc est de permettre au débit cardiaque d'être en adéquation avec les besoins des différents organes [3]. Or la réaction de stress opératoire, le délabrement chirurgical et les perturbations hémodynamiques induisent une dette d'O2 qui perdure au-delà de l'intervention et dont tous les patients ne se remettent pas. D'où l'idée d'une prise en charge pro-active visant à maintenir un rapport DO2/VO2 optimal avec des moyens invasifs (perfusion, transfusion, agents inotropes, etc) [6]. Bien qu'on s'attende à ce qu'une normalisation de l'hémodynamique macroscopique (pression artérielle, débit cardiaque, etc) soit suffisante pour parvenir à un apport d'O2 satisfaisant aux besoins tissulaires, l'examen de la microcirculation montre que la corrélation est bonne dans les situations physiologiques normales mais loin d'être acquise dans les situations de choc cardiogène, hypovolémique ou septique. L'observation de la microcirculation, par exemple au niveau de la langue, permet de définir quatre situations différentes dans lesquelles il n'y a plus de cohérence entre la macro- et la micro-circulation [7].
 
  • Obstruction capillaire par des cellules endothéliales et des érythrocytes lésés par l'inflammation, l'infection, l'ischémie ou la sepsis.
  • Hémodilution excessive entrainant une vasconstriction capillaire; la résistance excessive causée par l'hémoconcentration conduit au contraire à une vasodilatation capillaire.
  • Vasoconstriction microcirculatoire.
  • Augmentation de la distance de diffusion capillaire-cellule, par exemple par l'œdème ou la réaction inflammatoire.
Plusieurs techniques permettent d'évaluer cliniquement l'adéquation du transport, de la consommation et de l'extraction d'O2 [2].
 
  • Le taux de lactate artériel.
  • La SvO2 (cathéter pulmonaire dans l'AP) et la SvcO2 (voie centrale dans l'OD); valeur normale: > 65%.
  • L'extraction d'O2 : EO2 = (SaO2 – SvO2) / SaO2 (en %); valeur normale: 25-35% (variable selon les organes).
  • La différence véno-artérielle de la P CO2 (Pv – Pa CO2); valeur normale: < 5 mmHg.
  • La spectroscopie infra-rouge (NIRS, near-infrared spectroscopy), qui évalue la saturation tissulaire en O2; valeur normale > 66%. La mesure se fait au niveau cérébral (ScO2) ou musculaire (StO2 au niveau de l'éminence thérnar) (voir Chapitre 06, Oxymétrie cérébrale).
  • La microscopie portative au niveau de la langue; différents dispositifs permettent la visualisation directe de la circulation capillaire.
Malheureusement, la corrélation entre l'hémodynamique et la microcirculation est complexe; leur degré de cohérence est variable selon les circonstances et selon les études.
 
 
DO2, VO2 et microcirculation
La microcirculation et le DO2 tissulaire ne sont pas toujours en cohérence avec l'hémodynamique générale (débit cardiaque, pression artérielle, etc), ce qui entraine une dette d'O2 périopératoire directement liée au pronostic vital. 
 
Plusieurs techniques permettent d'évaluer l'adéquation entre le débit cardiaque et les besoins tissulaires: taux de lactate, SvO2, Pv – PaCO2, oymétrie tissulaire. 


© CHASSOT PG  Août 2010, dernière mise à jour Novembre 2018
 
 
Références
 
  1. CAIN SM. Supply dependency of oxygen uptake in ARDS: myth or reality? Am J Med Sci 1984; 288:119-24
  2. CARSETTI A, WATSON X, CECCONI M. Haemodynamic coherence in perioperative setting. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2016; 30:445-52
  3. CECCONI M, DE BAKER D, ANTONELLI M, et al. Consensus on circulatory shock and hemodynamic monitoring. Task Force of the European Society of Intensive Care Medicine. Intens Care Med 2014; 40:1795-815
  4. DANTZKER DR, FORESMAN B, GUTTIEREZ G. Oxygen supply and utilization relationships. Am Rev Resp Dis 1991; 143:675-9
  5. DORINSKY PM, COSTELLO JL, GADEK JE. Relation ships of oxygen uptake and oxygen delivery in respiratory failure not due to ARDS. Chest 1988; 93:1013-19
  6. HAMILTON MA, CECCONI M; RHODES A. A systematic review and meta-analysis on the use of preemptive hemodynamic intervention to improve postoperative outcomes in moderate and high-risk surgical patients. Anesth Analg 2011; 112:1392-402
  7. INCE C. Hemodynamic coherence and the rationale for monitoring the microcirculation. Crit Care 2015; 19(Suppl 3): S8
  8. MOHSENIFAR Z, AMIN D, JASPER AC, et al. Dependance of oxygen consumption on oxygen delivery in patients with chronic congestive heart failure. Chest 1987; 92:447-50
  9. SCHUMACKER PT, SAMSEL RW. Oxygen delivery and uptake by peripheral tissues: physiology and pathophysiology. Critical Care Clinics 1989; 5:255-69
  10. SHIBUTANI T, KOMATSU T, KUBAL K, et al. Critical level of oxygen delivery in anesthetized man. Crit Care Med 1983; 11:640-3
  11. VINCENT JL, ROMAN A, DEBACKER D, et al. Oxygen uptake/supply dependency. Effects of short-term dobutamine infusion. Am Rev Respir Dis 1990; 142:2-6
  12. WEG JG. Oxygen transport in adult respiratory distress syndrome and other acute circulatory problems: relation ship of oxygen delivery and oxygen consumption. Critic Care Med 1991; 19:650-7