21.2.4 Chirurgie cardiaque et non-cardiaque chez la personne âgée

Chirurgie cardiaque
 
Toute marge de sécurité physiologique a disparu chez la personne âgée. Dès lors, les interventions majeures comme celles de la chirurgie cardiaque ne sont possibles que si elles se déroulent sans aucun incident. La moindre complication entraîne la catastrophe. Cela se traduit cliniquement par une mortalité opératoire et postopératoire immédiate (< 30 jours) élevée, mais par une excellente survie à 5 ans lorsque l’intervention est réussie. La mortalité globale des octogénaires est plus que doublée par rapport à celle des sexagénaires (Figure 21.12) [2,11,13,19].
 
  • Pontage aorto-coronariens                                    4-8%      (< 60 ans : 0.5-2%) ;
  • Remplacement valvulaire aortique (sténose)     6%         (< 60 ans : 1-3%) ;
  • Remplacement valvulaire mitral                            18%       (< 60 ans : 4.1%).


Figure 21.12: Mortalité de la chirurgie cardiaque en fonction de l’âge des patients. PAC: pontages aorto-coronariens. RVA: remplacement valvulaire aortique. RVM: remplacement valvulaire mitral [d’après références 2,11,13].
 
Chez les nonagénaires, la mortalité moyenne est de 13% [15]. Le calcul de l’EuroSCORE prédit une mortalité de 15-25% chez les malades de > 75 ans. Le taux de complications postopératoires est de 20-35% chez les octogénaires et de 42% chez les nonagénaires [2,11,15,19]. Ces complications sont essentiellement des pneumopathies (25%), une insuffisance rénale (18%), un ictus (9%), un infarctus (8%) ou une hémorragie (8%) (Figure 21.13) [7]. 
 

Figure 21.13: Complications de la chirurgie cardiaque en fonction de l’âge des patients. On voit que le taux d’insuffisance rénale est celui qui augmente le plus rapidement avec l’âge. AVC: accident vasculaire cérébral [2,11,15,19].
 
L’AVC postopératoire est directement lié aux manipulations de l’aorte ascendante et à son degré d’athéromatose. Des incidents moins graves sont très fréquents, comme la FA (35-50%) et le délire (34%). Les facteurs de risque sont nombreux (par ordre d’importance) [2,7,11].
 
  • Angor instable, dysfonction ventriculaire     OR 4.8
  • Insuffisance rénale (créat > 200 μmol/L)     OR 4.7
  • Durée de CEC > 120 minutes                          OR 4.2
  • Artériopathie périphérique                              OR 2.1
  • BPCO                                                                  OR 1.6
  • Diabète                                                               OR 1.5
  • Infarctus                                                            OR 1.3
Malgré une mortalité opératoire plus que doublée par rapport aux sujets plus jeunes, la survie à 5 ans des octogénaires est excellente puisqu’elle est identique à l’espérance de vie de la population normale appariée (Figure 21.14) [6]. Pour les pontages aorto-coronariens (PAC), la survie à 5 ans est de 64% > 80 ans et 89% < 70 ans [5] ; pour les remplacements valvulaires aortiques, elle est respectivement de 66% et 86% [6]. L’opération est donc curative, même si elle est risquée, puisque ces survies sont équivalentes à celles des individus du même âge ne souffrant pas de pathologie cardiaque. 


Figure 21.14: Survie à long terme des patients octogénaires (courbe rouge) opérés de remplacement valvulaire aortique pour sténose serrée [6]. Bien que la survie à 5 ans soit plus faible que celle des malades de moins de 70 ans (courbe bleue), elle est superposable à l’espérance de vie d’individus sains du même âge (ligne blanche).
 
Lors de PAC au-delà de 70 ans, la mortalité peut être abaissée de 4.6% à 1.9% en respectant un protocole très rigoureux et un strict contrôle peropératoire des variables hémodynamiques, métaboliques, respiratoires et hématologiques [5]. Cela s'obtient avec une attitude proactive marquée, fondée sur un monitorage invasif (échocardiographie transoesophagienne, cathéter de Swan-Ganz, SvO2, ScO2, etc) et une correction immédiate des déviations repérées. De nouvelles stratégies opératoires moins invasives que les interventions en CEC semblent particulièrement bien adaptées à la population âgée à haut risque. Les pontages aorto-coronariens à cœur battant (OPCAB : Off-pump coronary artery bypass) diminuent le taux de complications opératoires (10% au lieu de 28%) et améliorent les résultats à court terme au-delà de 70 ans, mais ne font pas de différence dans les résultats à long terme [3,4,8]. Le taux d’AVC est diminué (1% versus 8%) particulièrement dans les pontages tout artériels sans manipulation de l’aorte (voir Chapitre 10, Résultats chirurgicaux du TAVI). Dans les sténoses aortiques, l’implantation percutanée ou transapicale d’une prothèse valvulaire biologique de manière minimalement invasive (TAVI : transcatheter aortic valve implantation) diminue de moitié (HR 0.55) la mortalité postopératoire et de 60% (HR 0.39) la mortalité cardiovasculaire chez les malades âgés en moyenne de 83 ans [10]. Une comparaison récente entre TAVI et RVA en CEC chez des patients âgés à haut risque montre que la mortalité à 1 an est diminuée avec le TAVI (14.2% vs 19.1%); le taux de complications est également plus faible (20% vs 27%), et celui d’AVC n’est pas augmenté (4%) [1].
 
 
Chirurgie cardiaque chez la personne âgée
Le succès de la chirurgie cardiaque chez la personne âgée tient à un maintien rigoureux de l’homéostase et à l’absence de complications opératoires. Vu la perte de réserve fonctionnelle, tout incident entraîne la catastrophe. L'anesthésiste doit donc veiller à corriger immédiatement toute déviation significative des variables hémodynamiques, respiratoires, métaboliques ou hématologiques.
 
La mortalité opératoire > 75 ans est 2 à 4 fois plus élevée que < 60 ans. Une fois passée la période périopératoire à risque, l’espérance de vie à long terme du RVA et des PAC est la même que celle des personnes saines de même âge. Les interventions minimalement invasives et/ou sans CEC sont particulièrement adaptées à la sénescence (OPCAB, TAVI, MitraClip™).
 
Chirurgie générale et orthopédie
 
Après chirurgie générale chez les personnes âgées, toutes opérations confondues, la mortalité moyenne à 30 jours est de 5% et le taux de complications de 20%. Par rapport aux patients de < 65 ans, la mortalité opératoire est doublée au-delà de 70 ans et quadruplée au-delà de 90 ans. Par rapport aux risques ASA I et II, les stades III et IV augmentent la mortalité par un facteur de 3 et de 12, respectivement (OR 3.1 et 12.4) [12]. Les complications sont lourdes de conséquences : leur présence élève la mortalité postopératoire de 13 fois [9]. Les facteurs qui pèsent le plus gravement sur la mortalité sont la présence de complications, le status ASA, l’urgence de la chirurgie, le taux d’albumine préopératoire et le nombre de transfusions sanguines [17].
 
L’urgence est un facteur qui augmente considérablement la mortalité. Pour la cure d’anévrysme de l’aorte abdominale, la laparotomie et la fixation de la fracture du col fémoral, celle-ci passe respectivement de 5%, 6% et 1% en situation élective à 38%, 15% et 8% en urgence [16]. Bien que ces résultats soient perturbants, un délai pour stabiliser le patient médicalement n’améliore pas la situation. Au contraire, il tend à aggraver la mortalité périopératoire de 3 à 5 fois s'il se prolonge au-delà de 24-36 heures [14,18]. 
 
 
Chirurgie générale chez la personne âgée
La mortalité moyenne est de 5% et le taux de complications de 20%. La mortalité double > 70 ans et quadruple > 90 ans. Bien que l'urgence augmente le risque, la temporisation préopératoire tend à aggraver le pronostic.


© CHASSOT PG, Septembre 2007, dernière mise à jour, Décembre 2018
 
 
Références
 
  1. ADAMS DH, POPMA JJ, REARDON MJ, et al. Transcatheter aortic-valve replacement with a self-expanding prosthesis. N Engl J Med 2014; 370:1790-8
  2. ALEXANDER KP, ANSTROM KJ, MUHLBAIER LH, et al. Outcomes of cardiac surgery in patients age ≥ 80 years: Results from the National Cardiovascular Nertwork.. J Am Coll Cardiol 2000; 35:731-8
  3. BEAUFORD RB, GOLDSTEIN DJ, SARDARI FF, et al. Multivessel off-pump revascularization in octogenarians: early and midterm outcomes. Ann Thorac Surg 2003; 76:12-7
  4. CARTIER R. Off-pump coronary artery revascuarization n octogenarians: is it better ? Curr Opin Cardiol 2009; 24:544-52
  5. FILSOUFI F, RAHMANIAN PB, CASTILLO JG, et al. Results and predictors of early and late outcomes of coronary artery bypass graft surgery in octogenarians. J Cardiothorac Vasc Anesth 2007; 21:784-92
  6. FILSOUFI F, RAHMANIAN PB, CASTILLO JG, et al. Excellent early and late outcomes of aortic valve replacement in people aged 80 and older. J Am Geriatr Soc 2008; 56:255-61
  7. GATTI G, CARDU G, LUSA AM, PUGLIESE P. Predictors of postoperative complications in high-risk octogenarians undergoing cardiac operations. Ann Thorac Surg 2002; 74:671-7
  8. HIROSE H, AMANO A, TAKAHASHI A. Off-pump coronary artery bypass grafting for elderly patients. Ann Thor Surg 2001; 72:2013-9
  9. KHURI SF, HENDERSON WG, DEPALMA RG, et al. Determinants of long-term survival after major surgery and the adverse effect of postoperative complications. Ann Surg 2005 ; 242 :326-41
  10. LEON MB, SMITH CR, MACK M, et al. Transcatheter aortic-valvue implantation for aortic stenosis in patients who cannot undergo surgery. N Engl J Med 2010; 363:1597-607
  11. LIKOSKY DS, DACEY LJ, BARIBEAU YR, et al. Long-term survival of the very elderly undergoing coronary artery bypass grafting.. Ann Thorac Surg 2008; 85:1233-8
  12. McNICOL L, STORY DA, LESLIE K, et al. Postoperative complications and mortality in older patients having non-cardiac surgery at three Melbourne teaching hospitals. Med J Austr 2007 ; 186 :447-52
  13. MEHTA RJ, EAGLE KA, COOMBS LP, et al. Influence of age on outcomes in patients undergoing mitral valve replacement. Ann Thorac Surg 2002; 74:1459-67
  14. SHIGA T, WAJIMA Z, OHE Y. Is operative delay associated with increased mortality of hip fracture patients ? Systematic review, meta-analysis, and meta-regression. Can J Anaesth 2008 ; 55 : 146-54
  15. SPEZIALE G, NASSO G, BARATTONI MC, et al. Operative and middle-term results of cardiac surgery in nonagenarians. A bridge toward routine practice. Circulation 2010; 121:208-13
  16. STONEHAM M, MURRAY D, FOSS N. Emergency surgery : the big three – abdominal aortic aneurysm, laparotomy, and hip fracture. Anaesthesia 2014 ; 69 (Suppl 1) : 70-80
  17. STORY DA. Postoprative mortality and complications. Best Pract Res Clin Anaesthesiol 2011; 25:319-27
  18. SU YH, YEH CC, LEE CY, et al. Acute surgical treatment of perforated peptic ulcer in the elderly patients. Hepatogastroenterol 2010; 57:1608-13
  19. ZINGONE B, GATTI G, RAUBER E, et al. Early and late outcomes of cardiac surgery in octogenarians. Ann Thorac Surg 2009; 87:71-8